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Six chapiteaux sont répartis autour du rond-point : quatre essentiellement ornés de feuillages et trois à sujets figurés.

1 Ŕ Le donateur (Sr1) (fig. 112)

Caroline Roux parle de scène de fondation et souligne la rareté du sujet415. Il faudrait ajouter :

rare par son ampleur, par comparaison avec le chapiteau du chœur de Notre-Dame-du-Port, puisqu’ici la scène de donation occupe un chapiteau entier et qu’un autre chapiteau consacré aux vertus

cardinales peut sans doute y être associé, comme la psychomachie à Notre-Dame-du-Port est associée au donateur.

Sur ce chapiteau, les personnages et les objets se détachent en fort relief sur un fond figurant un mur appareillé de petites briques très régulièrement disposées en lits successifs. Ce dispositif produit l’effet d’être à l’extérieur d’une sorte de tour, même si l’on pense qu’il s’agit plutôt de la représentation d’un intérieur fragmenté en quatre scènes. Un long texte explicatif court tout autour du tailloir (qui ne fait pas partie du chapiteau mais dont l’iconographie est totalement liée à ce dernier).

Face tournée vers l’autel

La face tournée vers l’autel montre un civil et un ecclésiastique debout de chaque côté d’une colonne surmontée d’un chapiteau à feuillage et supportant une double arcature, dont ils tiennent le fût. Les deux personnages occupent les angles de la corbeille. Leurs gestes sont symétriques : une main sur la colonne l’autre posé à plat devant lui-même comme pour désigner soit la colonne soit l’autre personnage. Il y a donc action commune, donation ou plutôt fondation commune.

Le texte du tailloir, qui court sur l’ensemble des quatre faces, explique le but de la fondation : PRO

ANIMA SUA ET CONJUGIS INCIPIT DONALIA : SANCTI PRECTI : QUE FECIT : GUILLELMES : DE BEZAC (commence la donation de saint Priest que fit Guillaume de Bezac pour le son âme et celle

de son épouse)416. On note que, si l’épouse du donateur est associée dans l’inscription, elle ne l’est pas

sur l’image : c’est un ecclésiastique qui tient la colonne avec lui, contrairement aux autres exemples de la région sur lesquels le couple encadre une colonne : chapiteau de Saint-Beauzire de Trizac (15)417 ou

Saint-Vital-et-Saint-Agricol de Bulhon (63).Personne, jusqu’à ce jour, n’a pu identifier ce personnage, le toponyme n’a pas été relevé en Auvergne et la seule commune portant ce nom est en Ariège.

Autres faces

Les trois autres faces constituent une seule scène : deux anges placés sur les angles de la corbeille, tiennent des gonfanons sur la face médiane (à la façon de ceux qui gardent habituellement l’entrée de la Jérusalem céleste) et étalent leurs ailes sur les faces latérales, intégrant ainsi les éléments qui s’y trouvent.

Du côté de l’autel, l’ange passe la main droite derrière la colonne d’une sorte de ciborium pour bénir un calice posé sur un autel. Mais ce que l’on identifie d’abord comme un ciborium, à cause de l’échelle de la représentation, est construit à la façon d’une église : colonnes avec chapiteaux

supportant un arc ouvert dans un mur appareillé de la même façon que le fond du chapiteau et couvert d’un toit triangulaire à tuiles. Il s’agit donc probablement d’une représentation de la consécration de l’église fondée : l’autel avec le calice renvoyant à la messe de fondation. On peut en déduire l’idée

415 ROUX 2003, p.434. 416 FAVREAU 1995, p. 246. 417 MOULIER 1999, p. 145.

139 d’une bénédiction divine pour cette fondation.

Du côté du déambulatoire, l’autre ange tient un objet rond qui pourrait être un encensoir et la scène se termine par une sorte de caulicole : tronc terminé par une collerette d’où émergent deux feuilles et une tige centrale produisant elle-même une feuille encore enroulée : cet ensemble ressemble beaucoup aux caulicoles très répandus sur les chapiteaux à feuillages.

Par la position des ailes des anges, étalées au-dessus de l’ensemble des trois faces, on peut comprendre une protection divine. Donc, d’une part l’église est sous protection, ce que l’on comprend aisément, mais la plante de la face opposée aussi. Que représente-elle ?

On remarque alors que, placée dans le dos du fondateur, elle fait pendant à l’église placée dans le dos du clerc. Peut-on oser une explication ? Le clerc représente la vie religieuse, la vie spirituelle, le donateur la vie civile, la vie matérielle. L’église est le lieu d’action du religieux, la plante

représenterait donc la terre, lieu d’action du laïc. Dans cette fondation seraient donc réunis le religieux et le civil, mais aussi l’église et la terre, toutes deux sous protection divine.

2 Ŕ Les vertus cardinales (Sr3) (fig. 113)

De la même façon que sur le chapiteau précédent, les textes sont écrits au-dessus des scènes, ici sur l’abaque du chapiteau. Le fond de la corbeille est composé de godrons verticaux recouvrant entièrement la surface et sur lequel se détachent quatre personnages placés dans les angles qui tiennent chacun un objet dans chaque main, ces objets étant placés au centre de chaque face. Un seul n’en tient qu’un.

Trois de ces personnages sont des religieux barbus, un est un soldat imberbe. Les inscriptions placées au-dessus semblent alors faire référence aux objets placés en dessous. Seul un des

personnages, comme on l’a signalé, tient un de ses bras rabattu devant lui, rompant ainsi la chaîne continue des gestes. Cette cassure dans l’enchaînement des figures nous incite à voir ici le début du déroulement des idées.

Justice (face nord)

Sur la face nord, l’inscription est JUSTITIA. Au centre est représentée la balance, attribut habituel de la justice. C’est un religieux, vêtu d’une longue aube, recouverte d’une chasuble retenue au centre par une agrafe, qui tient cette balance de la main droite. De la main gauche il tient, sur la face suivante, une lance conjointement avec le soldat. Il réunit donc, dans sa personne, la justice et la tempérance.

Tempérance (côté autel)

Le soldat, vêtu d’une côte de maille s’arrêtant aux genoux et aux coudes, tient de la main droite la lance, sa main étant placée au-dessus de celle du religieux qui la tient de sa main gauche. L’inscription est ici : TEMPERANTIA. Tous deux sont donc sensés discipliner leurs désirs et leurs passions. Mais pourquoi une lance comme attribut de la tempérance ? À moins que la tempérance ne soit signifiée par le geste du religieux qui, en se saisissant de la lance du soldat, le contrôle, c’est-à- dire l’empêche de s’en servir. L’idée serait alors qu’il joint la justice et le contrôle de la guerre, il modère les impulsions guerrières du soldat par l’exercice de la justice qui peut éviter les agressions.

Force (face sud)

Sur cette face le texte est FORTITUDO. De sa main gauche le soldat tient un bouclier. La partie basse de l’objet est endommagé, mais on peut penser qu’il reposait sur l’astragale. Le soldat est donc dans une position de repos, la lance et le bouclier présentés symétriquement, comme en

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représentation. Au-dessus du bouclier un religieux tient un livre. Les deux gestes s’opposent : main par-dessus le bouclier et main sous le livre. Le livre est fermé. Tenu par un ecclésiastique, un livre ne peut être que religieux, et très certainement le livre par excellence, c’est-à-dire la Bible. L’idée de protection du soldat par un bouclier serait-elle unie à la protection divine de la Bible pour le religieux ? On pense alors aux très célèbres paroles de l’épître aux Ephésiens (VI, 16) : « Prenez surtout le bouclier de la foi […] », mais aussi au leitmotiv des psaumes, qui répète sans cesse que le Seigneur est le bouclier du croyant418. On aurait donc ici l’idée de guerre vue parallèlement sur les

deux plans civile et religieux, la protection matérielle du bouclier étant montrée inférieure, par sa position, à la protection divine du texte sacré placée au-dessus.

Le soldat semble contraint des deux côtés : tempérer ses pulsions guerrières représentées par la lance ; préférer la protection divine à la protection matérielle du bouclier.

Humilité (côté déambulatoire)

L’inscription est : UMILIT[AS]. Le religieux qui propose la protection divine de sa main droite, tient de sa main gauche une plante qui semble encore petite et pousse sur l’astragale. Il serre dans sa main une tige qui sort d’un ensemble de feuilles et qui, bizarrement ne ressort pas au-dessus de sa main. Alors que sa main droite, tournée vers le haut, portait bien haut le livre, sa main gauche est dirigée vers le bas. Manifestement il est fait une opposition entre la plante terrestre en bas et les paroles célestes en haut. Dans ce personnage seraient unies la force de la parole divine du livre et l’humilité de la condition terrestre.

Le quatrième personnage participe à l’idée d’humilité en brandissant une épée. S’agissant aussi d’un religieux, on pense de nouveau à l’épître de saint Paul (Ep. VI, 17) qui recommande de prendre aussi « le glaive de l’Esprit qui est la parole de Dieu ». Le « E » majuscule de cette citation montre bien qu’il s’agit de la pensée divine qui, sur l’image, domine la condition terrestre de l’individu.

Mais pourquoi « le glaive de l’Esprit » pour exprimer l’humilité ? Faut-il comprendre que l’esprit est au-dessus du corps ? Que l’esprit doit combattre le corps ? L’humilité serait alors à

comprendre comme une incitation à intérioriser la vie terrestre, ce que pourrait exprimer le geste de ce dernier personnage : la main gauche refermée sur sa poitrine.

Conclusion

L’opposition du matériel et du spirituel est mis en évidence par la superposition des objets et l’alternance des personnages, dans un jeu de rapports tout à fait savant. De plus, la face tournée vers l’autel, sur laquelle un religieux et un laïc tiennent la même arme, renvoie visuellement à la première face du chapiteau de la fondation sur laquelle, de la même façon, un religieux et un laïc tiennent la même colonne. Mais alors que pour la Tempérance la main du religieux est placée en dessous de celle du soldat, sur la scène de fondation elle est placée au-dessus de celle du civil.

La similitude d’organisation des deux chapiteaux incite à voir dans le second une explication du premier : les vertus cardinales comme idéal des deux personnages réunis dans cette donation.

Une autre remarque s’impose : les religieux des scènes allégoriques sont barbus contrairement au religieux de la scène contemporaine, montrant certainement par là une idée de sagesse intemporelle.

418 (Ps. VI, 16) : « Seigneur, tu es mon bouclier », (Ps. XVIII, 31) : « Il est le bouclier de tous ceux qui

141 3- Les anges-évangélistes (Nr3) (fig. 114)

On retrouve ici le sujet des évangélistes, déjà analysé à propos du chœur de Mozac, représenté par des anges. Il n’est donc pas nécessaire d’y revenir. Notons simplement ici la variation du motif qui s’intercale entre les anges, en bas de la corbeille : deux feuilles et une fleur, le quatrième motif ayant été cassé. Seule la fleur présente des particularités : une corolle composée de pétale retournés vers l’intérieur et encadrant un vide dans lequel pénètre une sorte de tige issue de l’astragale et qui ressort au-dessus, se dirigeant vers la gauche pour monter en oblique derrière la manche de l’ange portant le nom de Jean. Le but de cette représentation singulière nous échappe.

4 Ŕ Les chapiteaux à feuillage

L’un (Sr2) (fig.115) ne porte que des feuilles, organisées sur deux rangs, d’où sortent des volutes qui viennent s’enrouler aux angles de la corbeille. Il sépare le chapiteau du donateur de celui des vertus.

Un autre (Nr2) (fig. 116) possède une couronne de feuilles en bas d’où sortent des tiges produisant en haut des caulicoles qui s’enroulent ou sont liés ; au niveau supérieur le centre de chaque face est alternativement une fleur ou un entrelacs.

Le troisième (Nr1) (fig. 117) est également organisé sur deux niveaux : une couronne de feuilles en bas, un grand caulicole en haut qui se divise en deux branches, enroule ses feuilles aux angles et produit un fruit sous le dé. Mais sur la face tournée vers le déambulatoire c’est un visage d’homme barbu qui semble pousser sur la tige centrale. Elle est grande (environ les deux-tiers de la hauteur de la corbeille) et est encadrée par deux larges feuilles d’acanthe qui constituent les angles. Que vient faire ici ce visage ? Veut-il simplement suggérer que l’homme appartient à la nature ?

Conclusion

On remarque que les trois chapiteaux figurés (donation, vertus, évangélistes) ont leur surface entièrement occupée par des personnages et des objets, ils parlent d’idées en rapport avec l’église et la religion, ils n’accueillent aucune végétation, mis à part l’énigmatique rameau de « l’humilité » ou le grand caulicole placé derrière le donateur. Placer un végétal derrière un personnage semble indiquer un renouveau : le personnage « reverdit » grâce à son action, c’est-à-dire se renouvelle spirituellement. Ici c’est grâce à son don (de même que sur le chapiteau de l’église de Bulhon) alors que sur un

chapiteau de l’église Saint-André de Besse-en-Chandesse, c’est en se contrôlant (singe tenu en laisse). Les quatre autres chapiteaux sont au contraire couverts de végétation et n’accueillent qu’un seul personnage, réduit à une tête. Pourrait-il s’agir de l’homme ordinaire, qui appartient au monde terrestre ? Alors que les autres personnages font partie de l’histoire soit de l’église, soit de l’Église ?

Quand on connaît le goût des hommes de cette époque pour les chiffres, on note comme argument supplémentaire l’opposition entre trois chapiteaux dans le premier groupe (personnages) et quatre dans le second (végétation). Chiffres qui renvoient habituellement au ciel (à cause de la Trinité) d’une part et à la terre (à cause des quatre éléments) d’autre part.

On est alors tenté de comprendre, pour les chapiteaux végétaux, que la terre produit des feuilles, des fleurs, des fruits, mais aussi des idées plus abstraites (entrelacs) et des humains. D’autre part, le donateur et le clerc, seuls personnages terrestres dans le premier ensemble (surtout composé d’anges et de personnages allégoriques), pourraient inciter à penser que cette fondation commune les a sortis du contexte terrestre (les quatre chapiteaux végétaux) et les a introduits dans un monde plus céleste où règnent les anges et les personnages allégoriques.

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