• Aucun résultat trouvé

Les huit chapiteaux du chœur sont ornés de feuillages : aucun personnage. Seul un chapiteau montre des oiseaux et deux autres ont un motif d’entrelacs au dé. Les feuilles sont toutes des feuilles d’acanthes, mais les variations sont multiples.

1 - Les aigles(fig. 104)

Sur le chapiteau est le plus à l’est de la moitié nord du rond-point (Nr4) huit oiseaux sont répartis autour de la corbeille : un à chaque angle et deux adossés au centre de chacune des deux faces tournées vers l’autel et vers le déambulatoire. Leur allure les rapproche des aigles : bec de rapace et pattes fortes. Mais leurs ailes sont perlées au bord, ce qui leur donne un aspect plus décoratif que réel, et la queue des aigles d’angle se prolonge en feuillage, montrant qu’il ne s’agit pas d’aigles ordinaires. Ces oiseaux, placés aux angles de la corbeille, n’ont pas le corps dirigé sur l’angle, mais se retrouvent de face sur les deux côtés où sont installés les deux autres aigles ; ils sont donc vus de profil sur les côtés où s’épanouissent les feuillages qu’ils produisent. Le résultat est deux faces avec quatre aigles et deux faces avec de larges feuilles.

Il y a ici volonté de créer un ensemble de quatre aigles rassemblés sur une même face, ce qui est très différent de ce que l’on trouve d’habitude. D’habitude il y a un aigle par face ou un aigle sur chaque angle, jamais une telle accumulation. On pense alors à la phrase qui conclut le chapitre XVII de l’évangile selon saint Luc : « Partout où sera le corps, là aussi se rassembleront les aigles ». Or cette fin de chapitre parle de l’avènement de Jésus-Christ. Il s’agit d’une sorte de locution proverbiale que l’on trouve aussi dans l’évangile selon saint Matthieu (XXIV, 28), également à propos du retour du Christ et qui a été comprise traditionnellement comme tous les hommes ressuscités et renouvelés comme les aigles se rassemblant autour du corps du Christ qui a été immolé pour eux398. De

nombreuses légendes sont attachées à l’aigle et le Physiologus en particulier en parle longuement399.

On peut penser que cette représentation suggère l’assemblée des apôtres ou des saints rassemblés autour du Christ dans l’au-delà. En effet, l’ensemble des chapiteaux du rond-point, avec leur végétation luxuriante, pourrait représenter le paradis mais, contrairement à celui de Mozac, en serait une évocation plus intellectuelle, sans personnages.

Le fait que les aigles produisent eux-mêmes des feuillages aurait un sens dans ce contexte, puisqu’il est dit souvent que les justes poussent comme des arbres comme on l’a déjà noté : l’Éden est le jardin céleste « orné de toutes sortes de bons arbres, ce qu’il faut comprendre de la réunion des justes et du lieu saint sur lequel est bâtie l’Église […] jardin spirituel de Dieu, comme à l’Orient […]. »400

Les deux autres faces montrent cette plante exubérante issue du plumage des oiseaux : elle est

398 Les commentateurs se sont posé beaucoup de questions, la phrase faisant, en apparence, référence

aux rapaces qui se réunissent autour d’une charogne. VULGATE éd. GLAIRE, p. 2403 : « L’aigle proprement dit ne se nourrit pas de cadavres, ordinairement du moins. L’oiseau de proie dont il s’agit ici est le vautour percnoptère qui ressemble beaucoup à l’aigle et que Pline considère comme formant la quatrième espèce du genre aigle. »

399 PHYSIOLOGOS éd. ZUCKER, p. 78, article « aigle » : il cite entre autres celle-ci qui a été comprise

par rapport au baptême ou à la résurrection : « Lorsqu’il devient vieux […] il cherche une source d’eau pure et s’élève jusqu’aux régions de l’air qui sont près du soleil et il brûle ses vieilles plumes […] puis il descend vers la source, s’immerge trois fois, et il est renouvelé. Agis donc comme cela, toi aussi, homme, […] Ta jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle».

134

couronnée d’un bandeau perlé et de deux volutes accolées et produit elle-même deux feuilles sortant d’une gaine torsadée se terminant par une collerette perlée.

L’idée du chœur comme représentation du paradis est une idée ancienne. A. Grabar401

l’évoque à propos de la tradition ancienne qui installait deux arbres à l’entrée du chœur, en général deux palmiers, eux-mêmes symbole du paradis. Jean Daniélou rappelle que la tradition voit dans le banquet messianique de la Sagesse, qui a lieu sur la montagne de Sion, l’accomplissement du banquet liturgique (l’eucharistie) qui a lieu dans le chœur de l’église, et souligne les trois niveaux de

signification : le banquet sacré de l’Ancien Testament, le repas du Christ dans le Nouveau Testament et le banquet messianique annoncé par les prophètes et les apocalypses402. Il n’est donc pas impossible

que, dans la mesure où l’autel, au milieu du chœur, est considéré à la fois comme lieu du sacrifice, mais aussi comme figure du corps du Christ, le chœur soit conçu comme une image du paradis, les colonnes seraient alors une image des justes poussant comme des arbres, comme on l’a déjà vu à propos du chœur de Mozac.

Ajoutons que Marcello Angheben rejoint cette analyse en citant, à propos de son étude sur la prééminence des aigles sur les autres animaux et leur lien avec le chœur, les mêmes textes de Matthieu (XXIV, 28) et de Luc (XVII, 37) et cite à ce propos des exégèses très intéressantes pour notre propos. D’abord Jérôme et Hilaire pour qui les aigles sont les saints, puis le Traité sur le baptême

d’Ambroise : « pense à l’endroit où tu reçois les sacrements célestes. Si le corps du Christ se trouve ici, les anges y sont aussi établis […] Là où est le corps du Christ, là aussi sont les aigles qui ont coutume de voler pour fuir ce qui est terrestre, s’élancer vers ce qui est céleste. » Le catéchumène, en s’approchant de l’autel après son baptême devient un aigle qui s’envole vers le ciel403.

2 - Les chapiteaux à Feuillage

Tous sont composés de feuilles d’acanthe de très belle facture, en général placées sur deux niveaux, et de volutes aux angles supérieurs. Mais chacun se distingue par des particularités plus ou moins marquées, la différence étant généralement dans la variété du motif placé au dé de chaque face. Il faut ici renvoyer aux descriptions très savantes de L. Cabrero-Ravel qui analyse avec précision tous les chapiteaux à feuillage de cette église404 . En introduction elle fait référence au chapiteau corinthien

romain : « par les caractères de leur épannelage, leurs proportions, le traitement de leurs volumes, les principes d’altération de leur composition et leur types végétaux, les chapiteaux corinthiens et leurs dérivés qui constituent l’essentiel du décor sculpté de Notre-Dame d’Orcival témoignent pleinement de l’engouement des sculpteurs auvergnats pour les formes de l’Antiquité, que pouvaient leur inspirer les vestiges encore en place à proximité (Temple de Mercure sur le puy de Dôme, termes du Mont- Dore). »405

Deux chapiteaux portent, à cet emplacement, des entrelacs, l’un au nord et l’autre au sud (Nr2) et (Sr1) Ceux du chapiteau placé au nord (Nr2) (fig. 105) sont composés de deux brins qui, à chaque fois, sont issus du tronc torsadé de caulicoles placés symétriquement par rapport à la feuille centrale, et se terminent en rejoignant le feuillage issu de ces mêmes arbres. Ils forment une sorte de « 8 » dont chaque cercle serait traversé par une croix. Exprimé de cette façon, on serait tenté d’y voir une certaine symbolique, mais il faut rester prudent. L. Cabrero-Ravel explique 406: « L’entrelacs inséré au

401 GRABAR 1968, p. 360. 402 DANIÉLOU 1951, p. 190-213. 403 ANGHEBEN 2003, p.94. 404CABRERO-RAVEL 2008, p. 28 et suivantes. 405Ibidem. 406Ibid. p. 33.

135

troisième registre de la corbeille perturbe peu le schéma corinthien. Il est substitué aux demi-feuilles engainantes des caulicoles. Dans la partie inférieure, deux couronnes dont les feuilles sont disposées une par face et par angle sont superposées. »

Les entrelacs du chapiteau placé au sud (Sr1) (fig. 106) sont plus différenciés. En premier lieu la face tournée vers le déambulatoire n’en possède pas, ils sont remplacés par une palmette très discrète. Les entrelacs des trois autres faces sont très différents les uns des autres : du côté de l’autel, la figure est composée de deux brins se croisant au centre d’un carré ; à l’ouest on retrouve la composition décrite pour le chapiteau du nord, mais le « 8 » serait, cette fois, à base de carrés ; la figure de la face est se compose d’un cercle traversé par un seul brin qui se divise en deux au départ, l’une des branchesle traversant directement, l’autre formant des boucles, ce qui, au final, produit une sorte d’étoile.

Le deuxième chapiteau placé au sud (Sr2) (fig. 107) possède, sous le dé médian, de grosses fleurs. Seule la face est n’en possède pas, elle est remplacée par une grosse palmette formée d’une feuille descendante et retroussée en bas. Contrairement aux autres chapiteaux les feuillages sont plus complexes : grandes feuilles centrales et feuilles d’angle issus de quatre gaines torsadées (deux à chaque angle). La fleur placée du côté du déambulatoire est la plus simple : deux corolles emboitées, l’une, plus petite, servant de cœur à l’autre ; la fleur placée du côté de l’autel est une variation du même modèle mais une sorte de lien l’attache à l’abaque en son centre. La fleur placée à l’ouest est beaucoup plus complexe : elle semble issue de deux tiges produites par de petits arbres dissimulés derrière la grande feuille centrale ; ses pétales sont formés de feuilles inclinées, lui donnant l’aspect d’une roue en mouvement. L’originalité étant ici les caulicoles qui structurent les angles du chapiteau, leurs gaines torsadées marquant fortement son profil. Toutes ces différences entre les fleurs sont-elles de simples variations formelles ou sont-elles porteuses de signification ? Là aussi on hésite à se prononcer.

Les autres chapiteaux à feuillages Le premier de la partie nord (Nr1) (fig. 108) est identique sur ses quatre faces ; le troisième au sud (Sr3) (fig. 109) semble régulier au premier regard, mais de nombreuses variantes animent les faces et le motif placé au dé varie même s’il s’agit toujours de feuilles ; le dernier de la partie sud (Sr4) (fig.110) a ses quatre faces presqu’identiques d’infimes détails pouvant les distinguer.

Conclusion

Après avoir étudié les ronds-points des autres églises qui, à cet emplacement privilégié du bâtiment, proposent des sujets renvoyant à une pensée très élaborée, on ne peut se contenter de voir dans ce décor de feuillage une simple ornementation décorative. Il semble qu’il faille privilégier une pensée plus religieuse, même s’il est bien difficile d’en apporter la preuve. L’idée de voir dans le décor de ce rond-point une évocation du paradis est séduisante : les colonnes seraient des arbres plantés dans le paradis, les justes seraient rassemblés comme des arbres poussant et fleurissant autour du Christ- autel, et les saints rassemblés comme des aigles. Dans cette graduation peut-on voir différentes catégories d’occupants du paradis ?

Beaucoup de passages de la Bible utilisent la métaphore de l’arbre pour parler de l’homme et les exégètes n’ont pas manqué de leur emboîter le pas. Citons par ordre chronologique : Origène (ý vers 250) qui explique que l’homme est un arbre planté dans le Christ et doit porter des fruits407. Il

revient plusieurs fois sur le sujet : « Produisez des fruits qui soient dignes de la conversion […] la charité est le fruit de l’esprit, la joie est le fruit de l’esprit ainsi que la paix, la patience, la bénignité, la

136

bonté, la fidélité, la douceur, la tempérance et le reste.408 », et Grégoire le Grand (ý vers 604) précise

bien l’idée : « Le mot arbre évoque aussi l’homme […]. Que désigne l’arbre, sinon la vie de tout homme juste ? Car l’arbre garde l’espérance ; si on le coupe, il reverdira de nouveau, et lorsque dans la passion le juste est frappé de mort pour la vérité, il recouvre la vie dans la verte fraîcheur de la vie éternelle 409» Puis il continue les comparaisons en parlant des racines, du tronc et des fruits. Mais les

commentaires varient selon les circonstances. Par exemple la racine est la pensée personnelle, mais devient la sainte prédication chez le juste. Et l’homme est tantôt un arbre tantôt seulement la feuille d’un arbre, il peut aussi être comparé à une fleur ou à un fruit410.

Pour les auteurs plus proches chronologiquement des chapiteaux, citons Guerric d’Igny (ý en 1157) qui, dans deux sermons pour la fête de saint Benoit, abuse de la figure de l’arbre411 : « Celui-ci

(Benoît) a poussé ses racines jusqu’à l’eau (…). C’est qu’il a conscience qu’il est planté dans la foi et enraciné dans la charité (…) Alors pourquoi cet arbre béni craindrait-il la chaleur ou se soucierait-il de la sécheresse, lui qui a l’eau vive, c’est-à-dire la grâce de l’esprit, ne cesse de fournir le suc vital de l’espérance et de la charité, pour que son feuillage soit toujours vert, c’est-à-dire sa parole toujours pleine de grâce et de vérité et qu’il ne cesse jamais de porter comme fruit toute espèce d’œuvres de piété ». Il va aussi comparer l’homme à un arbre renversé412,cette idée qui se retrouve aussi dans un

texte de Guillaume de Conches413. Pour terminer, il faut faire mention des commentaires d’Honorius

(ý en 1153)qui, à propos des arbres, ne parle pas directement de l’homme mais de ses sentiments et de ses actes et en particulier l’amour : « la racine qui s’enfonce dans la terre c’est l’amour par lequel on honore le prochain sur la terre. Le tronc qui s’élève dans les hauteurs, c’est l’amour honorant Dieu. Les branches de l’arbre ce sont les différentes vertus de charité ; les feuilles ce sont les bonnes paroles ; les fleurs la bonne volonté ; les fruits les bonnes œuvres ; la semence la doctrine […]414 ».

En fait, l’arbre est un outil multiforme, qui sert à exprimer beaucoup de choses, et il est bien difficile de se prononcer avec certitude. Devant un décor aussi sophistiqué, on est séduit par ces figures introduites dans les feuillages et qui, par leur disposition, semblent n’avoir pas été mises au hasard, même si nous ne possédons pas les clefs pour comprendre la pensée qui est peut-être exprimée. Ce sont les oiseaux qui, par leur présence incongrue, nous ont fait imaginer une pensée différente d’une simple décoration. Puis les entrelacs posent question et, pour finir, les fleurs aussi. Par l’absence de personnages est signifiée une sorte d’intemporalité qui convient bien au lieu le plus sacré de

l’édifice, lieu qui doit, avant tout, mettre en valeur l’autel et la cérémonie qui s’y déroule. Et l’idée de paradis n’est pas en contradiction.

Faut-il alors revoir la lecture des autres ronds-points ? Les colonnes avec chapiteaux à feuillages du rond-point de Notre-Dame-du-Port, par exemple, feraient-ils allusion au paradis et ne seraient-ils pas simplement pour séparer les groupes de chapiteaux figurés ? Rien n’est moins évident. L’image de la colonne ou de l’arbre est multiforme et peut renvoyer à des idées très différentes. Dans l’art roman, aucune image n’est totalement univoque et sa signification dépend toujours du contexte.

408 ORIGÈNE S. C. 87, p. 307.

409 GRÉGOIRE LE GRAND S.C. 212, XII, 5, p.53 et suivantes. 410Ibid . XI, p. 125 et suivantes.

411 GUERRIC D’IGNY S.C. 262 ,1þ sermon, p. 41-2 ; S.C. 202, 2° sermon, p. 58-1. 412 Ibid., 2° sermon p. 37-7.

413 LEMOINE 2004, p. 110.

137