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F Déambulatoire de Saint-Étienne de Maringues (plan 15)

Le déambulatoire de l’église ouvre actuellement sur trois chapelles et une sacristie, seules deux chapelles (chapelle nord et chapelle axiale) sont d’origine, car les transformations furent nombreuses à partir du XIVe siècle.

Les chapiteaux romans du déambulatoire, formant la première couronne autour du rond-point, au nombre de huit, ont été conservés, et plusieurs sujets figurés sont particulièrement intéressants : au sud des minotaures et des archanges, au nord un singe tenu en laisse et un avare. Il faut y ajouter un personnage agenouillé au niveau de la fenêtre sud et un personnage derrière une tenture au niveau de la fenêtre nord, et, pour terminer, des griffons autour d’un vase dans la chapelle axiale.

Première couronne

1 - Les minotaures (Sd1) (fig. 197)

Ce chapiteau représente deux minotaures placés sur les angles de la corbeille, et un texte est gravé sur la poitrine de celui de droite. Les chapiteaux avec inscription étant rares, ils sont en général bien connus et ont été maintes fois cités et étudiés516. L’inscription permet de les identifier sans

hésitation : MEDIO TAURI, c’est-à-dire à moitié taureau. Leurs têtes humaines portent des oreilles et des cornes bien visibles, les distinguant des centaures. Ils tiennent chacun, sur la face principale, un rameau feuillu dont la base s’enroule autour de celle du voisin. On note sur ce chapiteau une très grande symétrie : personnages identiques, positions semblables, et au centre de la face principale les rameaux portent des feuilles identiques et les mains alignées se rejoignent au centre. Ils tiennent chacun, de l’autre main, leur queue terminée par un énorme fruit en forme de pomme de pin.

Lors de l’étude du rond-point de Saint-Myon, nous avions conclu à une représentation de la situation de l’homme sur terre comparé à celle du Minotaure enfermé dans le labyrinthe. Mais il reste deux questions sans réponse : pourquoi tiennent-ils toujours un arbre ou une plante d’une main et pourquoi leur queue se termine-t-elle en pomme de pin? Cette végétation qu’ils serrent d’une main pourrait-elle représenter le salut auquel ils essaient de s’accrocher ? Ou bien simplement une façon de montrer la terre à laquelle ils appartiennent ? Et cette énorme fruit qui fait partie de leur moitié animal, quel rôle joue-t-il ? Ils sont obligés de les tenir, ils sont lourds et les encombrent, ou bien sont-ils montrés fièrement ? Notons simplement que la partie humaine se raccroche à un végétal alors que la partie animale produit du végétal : deux façons d’être terrestre. Jean Wirth est le seul à émettre une hypothèse. Il pense que « « les minotaures […] sont en fait des caricatures des centaures de Mozat, défigurés par l’adjonction de cornes et d’oreilles allongées. Leurs queues végétales se terminent par des fruits qu’ils cueillent eux-mêmes, ce qui nous ramène au thème grégorien des appétits

charnels. 517» Il est bien difficile d’adhérer à ce commentaire.

2 - Les archanges (Sd4) (fig. 198)

Deux anges auréolés tiennent chacun un phylactère horizontal sur lequel est écrit leur nom. Mais alors que pour Michaël il est précisé son statut d’ange, pour Gabriel seul le nom est inscrit. D’autre part le titre d’archange serait plus juste. Ils ont des proportions très trapues, leurs ailes sont énormes en proportion, et leurs cheveux courts font ressortir leurs oreilles. Sur la face principale, au niveau de leurs têtes, une longue série d’arcades comble le vide: s’agit-il d’une évocation de la

516 Citons quelques auteurs : SWIECHOWSKI 1973, p.290, explique qu’au Moyen Âge on confondait

le centaure et le minotaure ; WIRTH 1999, p. 292-293, le cite comme exemple et en donne une photo.

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Jérusalem céleste ou tout simplement d’un décor godronné ? La première hypothèse peut sembler logique puisque traditionnellement les archanges sont au plus près de Dieu pour le servir : Michel est le chef de la milice angélique, Gabriel le messager de Dieu et Raphaël qui, dans la Bible n’apparaît que comme compagnon de Tobie, est le médecin. Dans les églises romanes auvergnates, ces archanges sont peu représentés, citons la petite église de Saint-Avit où ils sont également identifiés par une inscription.

Récemment M. Angheben518 a montré que ces deux archanges, placés au plus près de la

théophanie absidiale, étaient des archanges-avocats transmettant les prières des fidèles récitant le Pater lors de l’eucharistie. Son étude s’appuie sur leurs représentations dans des peintures italiennes de ces deux archanges représentés déployant des inscriptions : petitio, postulatio. Cette analyse pourrait expliquer leur présence ici au plus près de la chapelle axiale et de l’autel. On peut aussi évoquer les archanges de Conques qui tiennent aussi des phylactères, mais qui sont placés très haut au niveau du transept, ou ceux de la chapelle d’axe de Compostelle.

3 - Le singe tenu en laisse (Nd2) (fig. 199)

Comme sur les autres exemples, un personnage habillé (ici à droite) tient en laisse un

personnage ressemblant à un singe, nu, et au visage marqué de profondes striures autour de la bouche. Mais le personnage habillé porte un casque rond maintenu sous le menton par un lien et chevauche un cheval. D’autre part, la partie haute du cheval et de son cavalier sont bien représentés alors que la partie basse est très réduite, une des jambes de l’homme semble avoir été oubliée et l’arrière du cheval s’arrête le long d’une plante sur la face droite du chapiteau. Inhabileté du sculpteur ou priorité donnée aux éléments signifiants ? Sans doute les deux à la fois.

Si, comme on l’a déjà vu, il s’agit du thème de la conversion, du contrôle de soi, la présence du cheval semble faire redondance, puisque le plus souvent il représente : « la passion aux jambes nombreuses, bestiale et impétueuse […] « selon Clément d’Alexandrie519 qui se réfère à Platon et au

mythe de Phaëton pour expliquer qu’il est l’irrationalité accompagnée de la colère et de la convoitise. Ou encore Origène qui fait du cheval une représentation des passions et déclare qu’il est « un espoir trompeur du salut »520, l’âme l’enfourchant est précipitée dans les abîmes521. Au XIIe siècle Hildebert

reprend ces propos traditionnels (le cheval c’est l’orgueil et la tromperie) mais les nuance en montrant qu’ils peuvent aussi représenter les apôtres, cavaliers du Christ522, ou encore annonce que le cheval

« c’est notre corps puisque le soldat c’est l’esprit »523 et continue en expliquant que le soldat qui a bien

dompté son cheval c’est le chrétien qui a réprimé son corps et l’a soumis en esclavage, faisant référence à la première épître aux Corinthiens(IX, 27) : « Mais je châtie mon corps, et le réduit en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres je ne sois moi-même réprouvé. »

Donc, en général, le cavalier doit contrôler sa monture qui représente ses instincts fougueux, d’où la similitude d’idée avec le singe cordé. Cette lecture expliquerait pourquoi ce cheval, représenté la gueule ouverte, montrant ses dents, semble plutôt agressif. Mais l’absence de rênes, brides, étriers, contraste avec la présence du casque. On pense alors à l’habituelle référence au « casque du salut »524,

et les autres harnachements ne présentant pas de références bibliques ont pu être supprimés. Il est possible aussi de penser à une implication plus personnelle, à un conseil donné plus particulièrement à des cavaliers. En effet, d’autres exemples de ce thème multiforme du singe tenu en laisse, qui a sans

518 ANGHEBEN 2014, p. 738 et suivantes. 519 S.C. 278, p.111. 520Ps. XXXII, 17. 521 S.C. 71, p. 335-337. 522P. L. 171, col. 743. 523P. L. 171, 870. 524 Ep. (VI, 17).

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doute été très populaire, vu le nombre très important de représentations, personnalisent le propos : le personnage tient un marteau et des pinces à Droiturier (Allier) (fig. 200) s’adressant sans doute à des artisans, une femme et son panier accompagnent l’homme à Besse-en-Chandesse (Puy-de-Dôme)(fig. 201) oriente plutôt vers une connotation sexuelle.

4 - L’avare (Nd4) (fig. 202)

Un personnage barbu, une bourse au cou, est assis au centre de la face principale sur un siège suggéré par deux éléments verticaux formant accoudoirs, sur lequel sa main gauche s’appuie. Il est encadré par deux diables placés aux angles de la corbeille. Ils ont tous les deux un visage entièrement marqué de striures, et des oreilles proéminentes ; celui de droite a une touffe de cheveux qui part du nez et se dresse à la verticale, alors que les cheveux de celui de gauche sont coupés en forme de casque. Ils portent une courte robe échancrée en bas en forme de W. Celui de droite tient de la main droite un des cordons de la bourse et de la main gauche une fourche ; celui de gauche tient l’autre cordon de la bourse et de l’autre main un bras de l’avare qui semble désigner une fleur placée sur la face gauche du chapiteau.

Un avare entre deux diables est une représentation que l’on retrouve en de nombreux exemplaires (par exemple Orcival, Ennezat, mais aussi Conques). Ce qui est intéressant ce sont les variantes qui personnalisent le sujet. Ici ce sont les cordons de la bourse qui sont tenus par les diables et surtout un objet posé par terre à droite de l’avare, et qui a obligé le sculpteur à incliner le diable de gauche. Cet objet est difficile à identifier : le propos voudrait que ce soit une cassette, un trésor, comme on en voit au pied de l’avare de Notre-Dame-du-Port ou celui d’Ennezat, même si la forme, très carrée en haut, fait plutôt penser à un chapiteau renversé. Cet avare, muni à la fois d’une bourse et d’une cassette, serait donc à la fois un avare et un usurier.

Deuxième couronne

1 - Personnage agenouillé (Sf1-2) (fig. 205)

Au niveau de la baie du sud, un personnage habillé d’un bliaud court échancré au niveau du cou, a les genoux au sol et les jambes écartées sur les côtés, dans la même position que l’on a déjà analysée pour Ève à Notre-Dame-du-Port ou le pécheur à Saint-Nectaire. Il tient, de chaque côté, une plante en forme de caulicole bagué produisant deux feuilles : l’une, à trois lobes, tend sa pointe vers son oreille, l’autre, développant de nombreux lobes en éventail, retombe vers les bas de la corbeille. Il s’agit donc sans doute, ici aussi, d’un homme pécheur. Mais il n’est pas encadré par des diables et il est habillé. L’idée est peut-être différente mais en l’absence d’éléments significatifs, il est bien

difficile de l’expliquer.

2 - Personnage derrière une tenture (Nf1-2) (fig. 206)

Occupant une position identique, mais au niveau de la baie du nord, un personnage tend devant lui une draperie qui le cache entièrement, ne laissant voir que ses mains et son visage souriant. Ce drapé rappelle le tissu tendu par Abraham recueillant les âmes au paradis. Aurait-on ici une version raccourcie de cette idée de paradis ? Faisant face à l’homme pécheur au sud, on aurait l’image du juste promis au paradis.

3 - Chapelle axiale (cha-N2, cha-S1, cha-S3) (fig. 207)

Sur les six chapiteaux de la chapelle axiale, trois sont figurés, répartis régulièrement en alternance avec un chapiteau à feuillage. Au plus près de l’est, du côté sud (cha-S3), c’est l’image des

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griffons autour du calice. Du côté du sud (cha-S1) une tête animale engoule une tige entre larges feuilles aux lobes retroussés vers l’intérieur, alors que du côté du nord (cha-N2) une tête humaine domine un entrelacs où deux tiges, feuillues à chacune de leurs extrémités, se croisent dans un carré. On remarque que la tête animale est dirigée vers le bas alors que la tête humaine semble regarder vers le haut. Cette tête d’animal engoulant des tiges se retrouve dans de nombreuses enluminures, à l’origine de rinceaux et d’entrelacs le plus souvent végétaux, et semblent alors évoquer l’énergie créatrice de la terre, comme on l’a déjà suggéré. Mais ici elle semble en retrait, comme se cachant derrière les végétaux. À l’opposé, la tête humaine est en fort relief et émerge au-dessus des végétaux entrelacés. Si l’on continue la comparaison, on remarque que les feuilles, refermées sur elles-mêmes autour de la tête d’animal, sont au contraire largement étalées autour de la tête humaine. Ces

remarques formelles nous amènent à conclure à une forte opposition exprimée ici entre l’animal et l’homme, ce qui est une évidence mais ne nous permet pas de comprendre la signification de ce grand entrelacs qui fait office de corps à cette représentation humaine.

4 - Les chapiteaux à feuillage (fig. 208)

Sur l’ensemble du déambulatoire, onze chapiteaux à feuillage alternent avec les neuf chapiteaux figurés. On note donc une très forte proportion de sujets comportant des personnages ou des animaux et une quasi parité entre les deux solutions. Du côté nord, l’alternance est parfaite si l’on exclut la chapelle ; du côté du sud, on trouve d’abord deux chapiteaux à feuillage puis deux chapiteaux figurés, ce rythme étant rompu au niveau de la baie qui prolonge l’alternance précédente.

Les chapiteaux à feuillage sont particulièrement variés et semblent explorer toutes les possibilités d’organisation. Ces chapiteaux peuvent être regroupés par deux ou par trois, selon un motif similaire : de larges feuilles encadrées par sa propre tige formant bandeau autour d’elles (Sd1, Nd1, cha-N1) ; un grand caulicole bagué s’élevant entre deux larges feuilles (Sd2, cha-S2, cha-N3) ; des feuilles baguées ou liées en botte (Nf1-1, Nch2-2, Nch2-3) ; deux rangées de feuilles produisant en haut des fruits ou des volutes (Nd3, Nch2-1). Deux chapiteaux sont plus originaux (Sf1-1 et Nch2-4), ils sont ornés d’une très large feuille pendante, composée de deux feuilles à nombreux lobes réunies en haut par une double bague. Cette large feuille, occupant les trois-quarts de l’espace, imbrique, dans ses nervures, un anneau carré, posé sur l’angle au niveau de l’astragale. Mais alors que l’imbrication du premier chapiteau (celui du nord) crée un véritable entrelacs, la deuxième est formée d’un seul passage des nervures à travers l’anneau. De chaque côté de cet ensemble, des feuilles verticales sont liées en bottes.

Conclusion

Ce déambulatoire est très riche en images figurées. Pour la première couronne, on trouve au nord le singe tenu en laisse et l’avare, au sud deux minotaures, un personnage aux jambes écartées et des archanges. Les chapiteaux figurés de la deuxième couronne ne montrent pas de personnages entiers comme sur la première couronne, mais des têtes, l’ensemble étant conclu par le chapiteau des griffons autour du vase, affirmant le caractère eucharistique du lieu. On peut aussi noter que, à l’entrée de la chapelle axiale, encadrant son ouverture, le chapiteau du nord est animé par des diables, alors que celui du sud est investi par des archanges. Le déambulatoire se termine donc à l’est par des personnages ailés suggérant d’un côté l’enfer, de l’autre le paradis. Selon ce que l’on a déjà noté, pour d’autres déambulatoires, les personnages mis en scène à cet emplacement, sont tous des hommes pécheurs, il y a donc ici une particularité qui semble insister sur la chapelle axiale. Le rond-point étant vide d’images l’opposition est très forte.

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