Points de repère historiques
L’église est celle d’une ancienne abbaye située dans les faubourgs de Riom, ville à seulement dix kilomètres de Clermont. Actuellement très composite, elle garde les traces d’une église
carolingienne (tour-porche et crypte), des ajouts et reconstructions du XVe siècle (transept et chœur en
particulier), mais surtout une nef romane et une partie des chapiteaux de son ancien chœur roman. Pour cette abbaye les documents sont finalement assez nombreux, mais ne résolvent pas les problèmes de datation des sculptures. Dès 1872 Hippolyte Gomot analyse toutes les données et publie en annexe de son ouvrage toutes les chartes existantes177. Les auteurs, suivants vont reprendre et
répéter inlassablement les mêmes propos. Par exemple Louis Gondelon en 1886: église dépendant d’une abbaye de bénédictins fondée vers 681 par un seigneur d’Auvergne Calminius, ruinée par les sarrasins vers 731, restaurée par Pépin le Bref vers 762 […], après une nouvelle invasion Robert la fait rebâtir en 915, c’est de cette église que proviennent les restes de crypte et de porche. Elle sera ensuite donnée en 1095 à l’abbaye de Cluny par l’évêque Durand. L’église actuelle daterait de la fin du Xe
siècle, et l’abside aurait été reconstruite au XVe siècle par l’abbé Raymond de Marcenat (1459-1467)
après un tremblement de terre178 .
La fondation d’un monastère à Mozac est mentionnée dans une charte de Pépin le Bref en 768. Le fondateur, Calminus y est dit Comte d’Auvergne et duc d’Aquitaine, et sera enterré à Mozac. En 764 le corps de saint Austremoine est transporté de Volvic à Mozac. Au IXe siècle, une vaste église
aurait été construite après les invasions normandes et, en 1095, le monastère est affilié à Cluny (le comte d’Auvergne est alors Robert et l’abbé de Cluny saint Hugues). En 1102 Hugues de Semur, neveu de cet abbé de Cluny (saint Huguesc devient abbé de Mozac. En 1131 Pierre le Vénérable (d’origine auvergnate) abbé de Cluny, nomme abbé de Mozac son frère Eustache de Montboissier. Certains pensent que c’est sous cet abbatiat qu’aurait été construite l’église romane. Bruno Phalip179
propose aussi cette date (deuxième tiers du XIIe siècle), même s’il arrive à cette conclusion par un tout
autre chemin (il s’intéresse à l’intervention de l’évêque de Clermont). En 1165 l’abbaye est mise sous la protection spéciale du Saint-Siège (bulle du pape Alexandre III). En 1197 les moines d’Issoire lui contestent la possession des reliques de saint Austremoine.
Donc, jusqu’à présent, certains chercheurs pensaient que la nef romane datait de son affiliation à Cluny, c’est-à-dire de la fin du XIe siècle, d’autre lui donnaient une origine plus tardive. En 2004 Jean
Wirth essaie de démontrer, en prenant les sculptures pour référence, qu’elle daterait des années 1080- 1095180. On note donc que, malgré le nombre important de documents parlant de l’abbaye, cela
n’apporte aucune confirmation quant à la date de construction de l’église. Il semble raisonnable de penser que la tour-porche et la crypte sont les restes d’une première église du XIe siècle, et que la nef
177 GOMOT 1872 178GONDELON, p. 5-6. 179 PHALIP 2013, p. 38
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appartient à la seconde église. Dernièrement D. Hénault rediscute cette question de la datation et étale la construction de l’ensemble de l’abbaye entre 1085 et 1122 en analysant le bâti181.
Présentation de l’église (fig. 49)
L’entrée ouest se faisait par la tour-porche qui avait été conservé mais qui est actuellement condamnée. Elle fait partie du musée lapidaire installé dans un bâtiment annexe. Il n’y avait donc pas d’avant-nef. L’accès à la nef se fait actuellement par le portail situé sur la façade nord (fig. 50). De la façade romane nord ne subsiste que la partie basse jusqu’à la hauteur des tribunes et une petite partie de la galerie supérieure conservée comme témoin (fig. ). La porte ouvre sous un porche fortement remanié mais qui garde, sur son archivolte une inscription particulièrement intéressante :
INGREDIENS TEMPLUM REFERAT AD SUBLIMIA VULT (us) : INTRATURI AULAM VENERANSQUE LIMINA XRI ; que Bernard Craplet traduit ainsi182 : « en abordant cette église
levez bien haut vitre regard : vous allez pénétrer dans la demeure du Christ : il faut en franchir le seuil avec respect ».
La nef a perdu son collatéral sud, sa voûte romane et ses tribunes. Pour le reste, les piliers sont, comme d’habitude, cantonnés de trois colonnes laissant lisse le mur intérieur de la nef principale (fig. 51). Ce sont les quarante-sept chapiteaux de cette nef qui font la renommée de cette église.
Du chœur roman, qui comprenait un hémicycle de huit colonnes, ont été conservés quatre chapiteaux, imposants par la taille et l’habileté du sculpteur. L’empreinte de l’ancien chœur est visible à l’extérieur par les restes de son déambulatoire (fig. 52), et la salle principale de l’ancienne crypte est conservée sous le chœur actuel.
Le transept sud donnait accès au cloître dont il ne reste rien. A été placé là un linteau en bâtière dont on ne connait pas l’emplacement primitif, mais qui devait être celui de la porte donnant accès au cloître. Il serait donc à peu près à son emplacement d’origine. La moitié d’un autre linteau roman est conservé au musée Mandet de Riom.
Les études sur la sculpture
G. A. Mallay183 est le premier, en 1841 à parler des sculptures de l’église de Mozac (qu’il écrit
alors Mauzac). Après s’être intéressé à l’histoire de cette grande abbaye, il consacre deux pages à évoquer les chapiteaux et le tympan de la porte donnant sur le cloître. Il ne s’y attarde pas, énumérant quelques sujets qui l’on frappé : anges avec boucliers, chimères, enfants à cheval sur des animaux fantastiques, griffons auprès d’un vase antique et vendangeurs. Soit 5 sujets sur 24 environ. Il insiste sur le tympan et remarque le portail nord. Il traite tout cela de remarquable.
En 1872, Hippolyte Gomot 184, tout comme ses prédécesseurs185, s’intéresse
presqu’exclusivement à l’histoire de l’abbaye. Il faut attendre 1816 et l’étude de Louis Gondelon 186
pour avoir quelques réflexions sur les sculptures. Il signale les 52 chapiteaux de la nef dont il vante la pureté du dessin et l’exécution admirable. Il cite celui qui représente la délivrance de saint Pierre et annonce que « les autres chapiteaux ne sont que des fantaisies d’artiste, ils représentent des génies avec des boucliers, semblant vouloir étouffer une figure humaine qui cherche à les repousser, des, des
181 HÉNAULT 2017, p. 167. 182 CRAPLET 1955, p. 227. 183 MALLAY 1841. 184 GOMOT 1872. 185 COHADON 1842, p. 1-47. 186 GONDELON 1886.
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enfants à califourchon sur des animaux bizarres, des griffons, des vendangeurs, etc. » Son analyse occupe à peine une demie page. Il consacre ensuite une page au tympan installé à l’entrée du cloître.
Georges Desdevises du Dézert187, en 1912, est un nouvel admirateur des sculptures et, cette
fois, remarque un chapiteau provenant de l’ancien chœur. Son propos insiste sur l’inspiration antique : « les chapiteaux des colonnes ont été sculptés avec un art si savant que les anciens romains eux- mêmes en auraient admiré le travail ; quelques-uns semblent arrachés à quelque temple païen tant les proportions en sont justes, tant la composition en paraît régulière […] ». Il y voit des légendes familières et des figures symboliques des Livres Saints. Mais son propos, voulant imaginer les impressions d’un pèlerin arrivant à l’église, est si fantaisiste, qu’il est bien difficile, par moment, de comprendre de quoi il parle exactement. Que viennent faire, par exemple, « les figures hideuses, les monstres aux dents aiguës et aux langues baveuses » à propos des chapiteaux de l’ancien chœur ? Il s’attarde longuement sur la représentation des saintes femmes au tombeau remarquant que « ces figures sont si bien faites et si adroitement travaillées que l’on dirait des personnes vivantes et naturelles ».
En 1956188, puis en 1974189 Bernard Craplet produit deux études sur l’abbaye et l’église. En
1956, le fascicule, comme les autres de la série des revues de l’édition Zodiaque, contient, au centre, un cahier de photographies dont la grande majorité concerne les chapiteaux. Il est suivi d’une étude sur les sculptures sur trois pages. L’auteur distingue deux ateliers, l’un pour les chapiteaux de l’ancien chœur, l’autre pour les 42 chapiteaux de la nef qu’il juge « presque tous à thème décoratif », les sculpteurs étant « libres d’orner les corbeilles à leur guise, ils l’on fait en s’inspirant des modèles qu’ils avaient sous les yeux : manuscrits ou étoffes syriennes ou byzantines […] ou bien bas-reliefs et poteries gallo-romaines ». Presque vingt ans plus tard, sa deuxième étude est très différente. Sur 11 pages l’étude des chapiteaux mêle illustration et commentaire en regard. Un plan de situation des sculptures accompagne des vues rapprochées de têtes.
Z. Swiechowski, en 1973190, pose d’emblée les sculptures de l’église de Mozac à l’origine des
cycles auvergnats. Son analyse occupe seulement trois pages, rejetant l’étude des sculptures dans les autres chapitres, par thème, avec ceux des autres églises. Seuls les chapiteaux de l’ancien chœur ouvrent un nouveau chapitre, à la fin de l’ouvrage, « les ateliers de sculpture les plus anciens », où ils sont analysés en même temps que ceux de Brioude et de Chanteuges.
Mathieu et Jean-Marie Perona en 1967, 1969, 1974, 1994191, et 2004 reprennent les études
historiques précédentes et, pour la sculpture, analysent l’influence de « l’atelier de Mozac » dans la région. Ils décrivent les sujets représentés et s’attardent sur le linteau dont ils essaient d’identifier les personnages. Ils signalent le deuxième linteau conservé au musée Mandet à Riom. C’est en 2012192
qu’ils font paraitre un important volume consacré uniquement à la sculpture. C’est un magnifique ensemble de photographies, mais les commentaires n’apportent rien de nouveau quant à l’analyse des sujets. Ils pensent en effet que « les théories sur la symbolique des chapiteaux romans sont légion et qu’il faut bien se garder d’être catégorique. C’est à chacun de se forger sa propre opinion». Leur propos est surtout de valoriser les actions du Club Mozacois qui a découvert et conservé dans un musée lapidaire de nombreuses sculptures.
En 2000 Laurence Cabrero-Ravel193 résume bien la situation : deux thèses s’affrontent. D’une
part ceux qui pensent que les sculptures de l’église sont antérieures aux autres sculptures de la région 187 DESDEVISES DU DÉZERT 1912. 188 CRAPLET 1956-2. 189 CRAPLET, 1974. 190 SWIECHOWSKI 1973, p. 35-37. 191 PERONA, 1994. 192 PERONA, BARRET 2012. 193 CABRERO-RAVEL 2000, p. 313-324.
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(en relation avec son affiliation à Cluny, donc à la fin du XIe siècle) et leur auraient servi de modèle
(Bernard Craplet, Swiechowski) et ceux qui pensent à une date plus tardive (Louis Bréhier, Kingsley Porter). Les deux thèses s’appuient en fait sur le même argument : la perfection des sculptures. En 2004 Jean Wirth prend l’exemple de Saint-Pierre de Mozac pour démontrer l’absurdité des datations proposées pour les édifices auvergnats194. Il conclut à une antériorité de Mozac dont il situe les
chapiteaux du chœur, ainsi que ceux de la nef, vers 1080-1095. Ses références vont des grands édifices tels que Sainte-Foy de Conques ou Saint-Jacques de Compostelles aux édifices auvergnats tels que Saint-Julien de Brioude et Saint-Marcellin de Chanteuges.
Il faut ajouter à tout cela des études ponctuelles sur la crypte195 et la tour-porche de l’ancienne
église. Ce qui ne manque pas d’intérêt puisque les vestiges carolingiens sont rares en Auvergne. Il est sans doute ambitieux de prétendre résoudre un problème que tant de grands chercheurs ont tentés d’aborder, mais on peut peut-être espérer apporter quelques arguments supplémentaires en étudiant plus complètement l’iconographie présente dans le bâtiment. On s’aperçoit, en effet, que la signification religieuse des sujets et la raison de leur présence dans une église n’est que peu abordée jusqu’à présent.
Recencement des thèmes rencontrés (fig. 53) Classement par zone d’implantation
Nef Oiseaux avec queues en feuillage Oiseaux autour d’une tête d’animal Aigles
Griffons
Griffons autour d’un vase Centaures
Singe cordé
Victoires aux boucliers Têtes de personnages
Personnages dans des feuillages Personnages dans des arbres Personnages dans une vigne Personnages avec vase et boule Personnages chevauchant un bouc Histoire de Jonas Tobie et Samson Oiseaux Oiseaux Oiseaux Hybrides Hybrides Hybrides Personnage + animal Antiquité Personnages Personnages Personnages Personnages Personnage + animal Luxure Livre de Jonas
Livre de Tobie + Livre des Juges
Chœur et
transept Délivrance de saint Pierre Anges-évangélistes Actes des apôtres Personnages
194 WIRTH 2004, p.143-145 et p. 242-256. 195 BALME 1961, p. 36; HÉNAULT 2007.
67 Saintes femmes au tombeau Les quatre vents de l’Apocalypse Atlantes
Atlantes (musée Mandet de Riom)
Évangile de Matthieu Apocalypse
Personnages Personnages Tympans Vierge en majesté avec saints et moine
prosterné
La Cène (au musée Mandet de Riom)
Personnages
Évangiles de Marc et Luc,
Les titres des sujets sont, provisoirement, les plus couramment employés. De même que l’identification des sujets. En effet, c’est l’origine antique de plusieurs d’entre eux qui a surtout été repérée, occultant parfois la signification religieuse qu’il faudra définir.
De nombreux chapiteaux sont en double exemplaire, soit totalement identiques, soit apparentés. En raison des modifications du bâtiment, seule la nef a, en grande partie, conservé sa disposition d’origine même s’il manque 5 chapiteaux sur le mur gouttereau sud. Le nombre de scènes historiées est impressionnant en comparaison des autres églises. Du coup, les chapiteaux purement végétaux sont peu nombreux.
Deux chapiteaux de la nef représentent des sujets de l’Ancien Testament, alors que les trois chapiteaux conservés de l’ancien rond-point du chœur font référence au Nouveau Testament ou à l’Apocalypse. Les autres sujets, particulièrement nombreux posent des problèmes d’interprétation.
Classement par sujet
Oiseaux Aigles perchés sur des feuillages Oiseaux avec queues en feuillage
Oiseaux avec queues en feuillage autour d’une tête d’animal
Nef
Nef Ŕ 2 exemplaires Nef Ŕ 2 exemplaires Animaux
Personnages Singe cordé
Singe avec boule et homme avec vase Personnages nus dans végétation Personnages habillés dans végétation Homme et femme dans des arbres Personnage dans une vigne
Têtes de personnages dans feuillages Personnages chevauchant un bouc Atlantes
Vierge en majesté avec saints et moine prosterné
Nef Nef Nef Nef Nef Nef Nef Ŕ 3 exemplaires différents Nef Ŕ 2 exemplaires Chœur- 2 exemplaires Entrée du cloître Ancien Testament Histoire de Jonas
Tobie sur le poisson Samson combattant le lion
Nef Nef Nef
68 Nouveau
Testament Anges-évangélistes La Cène
Saintes femmes au tombeau
Chœur Musée Chœur Actes des apôtres Délivrance de saint Pierre Transept Apocalypse Anges retenant les quatre vents Chœur Antiquité Griffons affrontés
Griffons autour d’un vase
Centaures cueillant les fruits d’un arbre Victoires aux boucliers
Nef Nef
Nef - 2 exemplaires Nef - 2 exemplaires Les références à la Bible sont nombreuses et variées, elles couvrent tout l’ensemble des livres bibliques : Ancien Testament, Nouveau, Actes des Apôtres et Apocalypse, seuls manquent les épitres. L’inspiration antique, si souvent mise en avant, n’est finalement perceptible de façon évidente que pour trois sujets : griffons, centaures et victoires.
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