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associées, entre le XVI ème et le XVIII ème siècle

1. Le roman des lettrés

Afin d’organiser la myriade de textes et d’individus qui sont associés au genre romanesque entre le XVIème et le XVIIIème siècles, le discours critique utilise la notion de « roman lettré ». Cette notion a un intérêt évident, puisque, outre qu’elle permet de distinguer à un moment donné différentes familles d’œuvres, elle rend possible de faire apparaître des ruptures historiques fortes au cours de ces trois siècles.

Nous reprenons ici la notion telle qu’elle s’est stabilisée chez deux critiques marquants, A. Plaks, et R. Hegel24. Chez ces deux auteurs, le « label » roman lettré nomme la

22 On utilise ici la pagination de l’édition proposée par la Sanmin shuju, 褚⼈穫,Sui Tang yanyi 隋唐演義 Taipei : Sanmin shuju三民書局, 1999.

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On utilise ici la pagination de l’édition Tianjin : Baihua wenyi chubanshe百花⽂藝出版社, 1985

24 Voir A. Plaks, The Four Masterworks of the Ming Novel : Ssu ta ch'i-shu par Plaks, A.H., Princeton : Princeton University Press, 1987.

Voir chez R. Hegel, Reading Illustrated Fiction in Late Imperial China. Stanford: Stanford University Press, 1998, et The Novel in Seventeenth Century China. New York: Columbia University Press, 1981.

coïncidence entre deux séries d’indices : des éléments internes au roman, soit une forme « d’esthétique » ou de cadre de lecture qui marque le récit et son paratexte ; des éléments contextuels, soit le statut social des auteurs et des lecteurs de ces œuvres. Arrêtons-nous sur ce que de telles lectures nous permettent d’apercevoir des ruptures qui traversent les XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles.

Sociologie des auteurs lettrés

Une mise au point à propos de cette notion de lettré (literati, ou scholar en anglais) apparaît nécessaire, puisque si elle est commode, elle est aussi très floue.

Nous pouvons tenter une première définition de ce terme à partir d’un découpage issu du cadre chinois lui-même. Il y a ou il y aurait, dans l’espace chinois du XVIIème siècle, quatre classes de sujets (simin 四民). Ce discours est ancien puisqu’il date au moins des Han. Il n’est manifestement pas anachronique puisqu’il continue de hanter la société du XVIIème siècle, au sein d’almanachs, par exemple25. Par ordre de prestige, il y aurait ainsi, parmi les sujets de l’empereur, d’abord les shi (⼠) les lettrés, ceux qui ont étudié les classiques et les histoires pour mettre en ordre la société, puis, deuxième classe, les nong 農 les paysans, ceux qui travaillent la terre. Ensuite viendraient les gong (⼯) les artisans, puis les shang (商) les commerçants.

Ce découpage de la population en quatre classes, et cela a été abondamment souligné, pose pourtant problème, si l’on veut rendre compte de la réalité sociale de la Chine du XVIIème siècle. Il efface des catégories entières de la population (où sont classés les militaires ? les clergés bouddhiques et taoïstes ?). Il n’a d’autre part que peu de traductions concrètes dans la vie sociale.

Cette quadripartition de la société, en particulier, rate ce qui est en train de se produire à partir de la fin des Ming. Il y a en effet des indices que les contours de cette classe de « shi » sont devenus plus flous, et évoluent. De nouveaux termes apparaissent et se développent au XVIIème siècle, pour désigner ce brouillage. Le mot shishang (⼠商) notamment, « lettré et

25 Voir la synthèse de Craig Clunas, in Empire of Great Brightness: Visual and Material Cultures of Ming China, 1368–1644, Honolulu : Hawaï University Press, 2007, p. 40.

Voir aussi : Sakai Tadao, “Confucianism and Popular Educational Works,” in Self and Society in Ming Thought, ed. De Bary, New York: Columbia University Press, 1970, p. 331–364.

marchand » ou « lettré – marchand. » se diffuse. Le composé peut renvoyer aux lettrés qui dépendent de l’imprimerie et de leurs commentaires pour vivre. Il peut désigner aussi la masse de ceux qui, maîtrisant le bagage textuel des shi, vivent du commerce. McDermott note, enfin, que l’usage du terme shi se dilue, pour qualifier des individus qui ne l’auraient pas été lors des dynasties précédentes26. Ces évolutions prennent leur sens à un moment où entre 20 et 25% de la population masculine a composé ou est en mesure de composer des copies d’examens mandarinaux27. Nous avons là un premier brouillage.

Une deuxième possibilité serait de définir la catégorie de shi par rapport à l’institution impériale. Nous pourrions ainsi dire que les shi sont l’ensemble des individus qui se situent, ou se sont situés à un moment ou à un autre par rapport à un idéal très prégnant dans la société des Ming et des Qing, celui de la réussite aux concours mandarinaux. À la fin des Ming, ces concours, aux niveaux provinciaux et métropolitain, donnent accès aux postes les plus prestigieux au sein de l’institution impériale. On notera que si ces épreuves n’ont pas perdu leur éclat au début des Qing, sous cette deuxième dynastie, la sociologie de l’administration est devenue beaucoup plus complexe28.

Si l’on fait ce choix de définition, on peut distinguer, et la critique a distingué, plusieurs groupes de lettrés. Au plus près du pouvoir, il y aurait les fonctionnaires en activité, lauréats des concours. Un deuxième groupe plus large se composerait de la multitude de ceux qui ont un titre officiel – qu’ils aient servi comme magistrats, ou qu’ils aient simplement réussi des concours locaux (xiucai 秀才 sous les Ming ou les Qing), qui donnent accès aux concours provinciaux, et métropolitains. Avoir un titre est bien une réalité concrète au XVIIème siècle. C’est relever d’un régime fiscal et pénal spécifique qui distingue des hommes du commun (shuren庶⼈), c’est parfois bénéficier de subventions par l’institution impériale ; c’est avoir un accès privilégié aux fonctionnaires locaux. C’est enfin, en théorie du moins,

26 Joseph McDermott, A Social History of the Chinese Book. Books and Literati Culture in Late Imperial China, 2006. P. 104

27 Chiffres proposés par W. Idema. C’est sans compter encore un alphabétisme plus large (qui a pu être évalué à 30 à 35 % de la population). Pour une synthèse sur ces chiffres, voir l’introduction de Cynthia Brokaw, à l’ouvrage qu’elle coédite avec Kai-wing Chow, Printing and Book Culture in Late Imperial China. Berkeley: University of California Press, 2005

28 Voir la synthèse proposée par P. E. Will, dans « La distinction chez les mandarins », in Jacques Bouveresse et Daniel Roche (éd.), La liberté par la connaissance. Pierre Bourdieu (1930-2002) (Paris, Odile Jacob, 2004), p. 215-232

bénéficier de droits vestimentaires particuliers29. Le troisième groupe serait constitué de la masse infiniment floue, incertaine, de ceux qui ont pu aspirer à un moment ou à un autre de leur vie à passer ces concours, à obtenir des titres, et à servir le pouvoir impérial.

Lü Xiong, et Chu Renhuo, les deux auteurs qui nous intéressent ici, avec la maîtrise d’un discours confucéen dont ils font preuve dans leurs textes, font, dans un tel découpage, assurément figure de shi, de lettrés. Si aucun des deux n’a exercé de magistrature, nous savons qu’ils sont tous deux des fils de lauréats d’examens provinciaux. Nous sommes peu renseignés sur les activités de Chu Renhuo, l’auteur du Sui Tang ; tout au plus savons-nous que c’est un auteur fameux, au début des Qing, pour ses recueils d’anecdote en langue classique30. Il apparaît être en lien avec un ensemble d’auteurs et de commentateurs reconnus de romans, qui appartiennent ou non à l’administration.

Nous sommes mieux renseignés à propos de Lü Xiong, l’auteur de l’Histoire des

immortelles31. Celui-ci a exercé durant la majeure partie de sa vie adulte les fonctions de

muyou (幕友) conseiller personnel de magistrat local, un type de poste qui se développe au début des Qing. Il s’est spécialisé, dans ce cadre, dans la compilation de monographies locales. Nous savons qu’il fréquente ou est du moins en contact aussi bien avec des membres de la haute administration, que des lettrés éminents32.

Nous avons là une première image de la diversité des situations que recouvre ce nom de lettré, à travers ces différentes définitions. Si le terme doit nous intéresser, c’est donc moins comme le nom d’une classe aux frontières bien délimitées, que comme une commodité, qui risque toujours de masquer une série de tensions et de distinctions majeures pour ces individus.

Poursuivons ce tableau des « romans lettrés », en nous intéressant au type de texte que ces auteurs composent, à la manière dont ils nous demandent de les apprécier, et dont ils les font circuler.

29Sur ce point, voir Kai-wing Chow, The Rise of Confucian Ritualism in Late Imperial China. (Stanford: Stanford University Press, 1994), p. 7-10.

30 À propos de Chu Renhuo voir voir Peng Zhihui 彭知辉,“Chu Renhuo Shengping xiaokao »(储⼈获⽣平⼩ 考 – « Brève étude sur a vie de Chu Renhuo »), in Gudian wenxue zhishi 古典⽂学知识, 2002 06 , pp. 96-99. Voir également Ouyang Jian, 歐陽健, Lishi xiaoshuo shi (歷史⼩說史 « Histoire du roman historique »), Hangzhou : Zhejiang gujichubanshe, (杭州 浙江古籍出版社), 2003, pp. 314-315.

31 Pour la Biographie de Lü Xiong, voir Masato Nishimura, The composition and ideology of « Nüxian Waishi », Thèse de Doctorat, Harvard University, 1993, « The life of Lü Xiong », page 21 et seq.

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Des manières d’apprécier le roman

Il n’y a pas de nom unifié au XVIIème siècle pour désigner ce qu’est un roman. On trouve différents termes : xiaoshuo (⼩說), baiguan (稗官), yeshi (野史). Ces termes notent beaucoup moins des traits formels et linguistiques partagés par un corpus de textes qu’un manque de légitimité. Écrire qu’un texte est du xiaoshuo, du baiguan, ou du yeshi, est d’abord une forme de définition négative, cela revient à regrouper des textes qui ne sont pas quelque

chose, ou qui sont moins quelque chose –ni de l’histoire acceptable et légitime (shi史), ni les recueils littéraires, ou des belles lettres au sens restreint du terme (ji集), ni des écrits de maîtres (zi⼦)33

. Le discours critique a pu, notamment à partir d’un tel constat, relativiser la pertinence même de la notion de roman34.

Ce que l’on appelle roman est pourtant bien là, et se dégage par un ensemble de traits formels propres. Il y a ainsi une série de récits longs, dont la langue est en rupture au moins partielle avec la langue classique, et se modèle sur la langue orale. La voix narrative de ces récits longs simule toujours, quoique de manière plus ou moins continue, celle d’un conteur, avec sa rhétorique propre (« le conte dit que » 話說 huashuo , « parlons de » queshuo 卻說). Ces textes sont d’ailleurs, au XVIIème siècle, segmentés en « séances » (hui回), autre terme qui renvoie aux performances orales publiques (nous parlerons ici de chapitre).

Replaçons ces romans au sein de ce que le discours sinologique a coutume d’appeler la culture lettrée ou la littérature lettrée. Pour reprendre la définition qui apparaît dans les travaux de Peterson, il y a un ensemble de pratiques associées au terme de (wen ⽂), soit le

33 Par exemple, Chow note qu’au XVIIème siècle, les romans les plus fameux, Bord de l’eau, Trois Royaumes, mais aussi les pièces de théâtre, comme le Pavillon de l’ouest (Xixiangji 西廂記 ), restent souvent rangés au sein d’une sous-section du shi (de l’historiographie), celle des histoires « extérieures », non-officielles, (waishi 外史 ou yeshi 野史). Voir Kai-wing Chow, Publishing, Culture, and Power in Early Modern China, Stanford : Stanford University Press, 2004, p. 26.

34 Voir Shang Wei, « The Literati era and its demise », in Kang-I Sun Chang, Stephen Owen (eds.), The Cambridge History of Chinese Literature, vol 2 : From 1375, Cambridge : Cambridge University Press, 2011, p. 269. À propos du roman: « If these texts can be considered to belng to one common genre or mode of writing, that genre in inevitably a heterogeneous one of different origins and sources, and its history contains more discontinuities than it does continuities ».

texte en tant qu’il est un objet d’appréciation), qui renvoient à des formes de légitimité largement autonomes par rapport aux discours dominants néo-confucéens35.

Ainsi, le zhuxisme (soit l’École de la voie) codifie à la fois des préoccupations (l’étude de la Voie, dao 道), des pratiques, un corpus de lectures, et des genres d’écriture. Les « pratiques culturelles lettrées » centrées sur le wen s’en émancipent plus ou moins radicalement. Il y a bien ainsi une forme de monde littéraire, avec son prestige propre, et ses célébrités : on le retrouve dans des termes fréquents comme shitan (詩壇 « le monde des poètes ») par exemple. Plus concrètement, ce que l’on appellera ici culture lettrée est associé à un type de peinture, de calligraphie, comme à un ensemble de genres textuels, notamment les notes au fil du pinceau (suibi 隨筆) ou les poèmes (shi 詩).

Dès la seconde moitié du XVIème siècle, il y a une série de signes d’une montée en prestige des romans au sein de cette culture lettrée, quand des auteurs reconnus au sein de genres en langue classique s’intéressent à ce type de textes. Cet intérêt est d’ailleurs contemporain d’un développement exponentiel de la publication de romans36. Il se manifeste par exemple chez un bibliophile tel que Hu Yinglin (胡应麟 1551-1602), ou un prosateur fameux comme Yuan Hongdao (袁宏道 1568-1610)37

. Un tel phénomène se poursuit au moins jusqu’à la fin du XVIIème siècle,et l’Histoire Non Officielle, on va le voir, constitue une forme de sommet à cet égard.

Ce nouveau prestige des œuvres romanesques a partie liée avec le développement des commentaires, et une transformation de leur statut. Suivons ici D. Rolston, et son étude des commentaires pingdian (評點) du nom que ce paratexte prend souvent, et qui renvoie à deux de ses fonctions centrales : expressive, les termes quandian (圈點 pointer et cercler) renvoyant à des ponctuations empathiques, et évaluative (piping批評), puisqu’il s’agit d’y

35 Voir Willard Peterson, « Confucian learing in late Ming thought », in D. Twitchett et Frederick Mote (éds). The Cambridge History of China, vol. 8, The Ming dynasty, partie 2, Cambridge: Cambridge University Press, 1998.

36 Voir la synthèse sur ce point proposée chez Hegel, dans Reading Illustrated Fictions, pp-26-28. Entre 1522 et 1590, uniquement huit romans sont publiés, alors qu’il y en a une cinquantaine durant les cinquante années qui suivent.

37Voir Laura Hua Wu, "From Xiaoshuo to Fiction: Hu Yinglin's Genre Study of Xiaoshuo" in Harvard Journal of Asiatic Studies, Vol. 55, No. 2, Dec, 1995, p. 341.

Sur Yuan Hongdao voir le troisième chapitre de l’ouvrage de Ding Naifei : Obscene Things, Sexual Politics in Jin Pingmei, Durham : Duke University Press, 2002, p. 90 et seq.

« critiquer » 38. Au cours des dernières décennies du XVIème siècle apparaissent des commentaires de roman, souvent très rudimentaires, qui sont modelés sur ceux des Classiques. Une deuxième vague de commentaires suit, qui est associée au pseudo-Li Zhi(李贄), et entretient un rapport plus critique au texte des œuvres elles-mêmes. Enfin, une troisième étape marque les deux derniers tiers du XVIIème siècle, où les commentaires de Jin Shengtan (⾦聖 嘆 1608-1661) jouent un rôle central. Une série d’éditions paraît alors où des romans sont décrits comme des œuvres d’hommes de grand talent (caizishu 才⼦書), et placés à égalité avec les œuvres les plus prestigieuses du passé, la Tristesse de la séparation (Li Sao離騷) de Qu Yuan (屈原 343-290 avant notre ère), les Mémoires Historiques (Shiji 史記) de Sima Qian (司⾺遷 135-86 avant notre ère), ou les poèmes de Du Fu (杜甫 712-770)39

. Ces éditions commentées, outre qu’elles rehaussent le prestige du texte romanesque, y transposent un cadre de lecture qui est associé aux œuvres les plus légitimes40.

Précisons ce qu’est ce cadre de lecture au cœur de ces commentaires pingdian des deux derniers tiers du XVIIème siècle (nous parlerons indifféremment de belles-lettrisme). Il implique deux activités de la part du critique, comme du lecteur. En premier lieu, le commentateur lit un rapport de nécessité entre les parties du texte : les différentes sections d’un wen se répondent, entrent en écho, s’enchaînent de manière fluide, et ces liens sont un objet d’appréciation. Ce souci d’une construction harmonieuse du roman devient central dans les préfaces, comme dans les réécritures des œuvres romanesques dès les années 162041.

Par ailleurs, ces commentateurs bel-lettristes s’appliquent toujours à lire et à évaluer l’auteur à partir de son texte, qu’il s’agisse de son talent littéraire ou de sa valeur morale. Comme le souligne Rolston, si, au XVIIème siècle, les commentateurs de romans anonymes, bien souvent, inventent un auteur dans leurs commentaires, c’est probablement que cette figure apparaît indispensable à l’appréciation du texte et à son prestige.

38 Voir David Rolston, Traditional Chinese Fiction and Fiction Commentary: Reading and Writing Between the Lines, Stanford : Stanford University Press, 1997, pp. 1-24).

39

Voir notamment sur ce point : Rolston, David L. Ed. How to Read the Chinese Novel. Princeton: Princeton University Press, 1990, pp. 83-85.

40

Voir Rolston, « Creating Implied Authors and Readers », Traditional Chinese Fiction, pp. 105-131.

41 Voir Tina Lu, « The Literary culture of the Late Ming (1573-1644) », in Kang-I Sun Chang, Stephen Owen (eds.), The Cambridge History of Chinese Literature, vol 2 : From 1375, Cambridge : Cambridge University Press, 2011, pp. 63-151. Elle souligne que, jusque dans les années 1620, les préfaciers semblaient ne pas se soucier, ou se soucier peu des vides, ou des incohérences du roman ; ce discours devient ensuite central dans le paratexte.

Ces commentaires lettrés peuvent prendre des formes très diverses. Nous trouvons d’un côté, des travaux individuels de commentateurs isolés, qui s’attachent à des œuvres, dont les premières publications datent du XVIème siècle. Ce modèle prend ses formes les plus élaborées (et les mieux étudiées dans le discours critique), chez Jin Shengtan et ses épigones42.

Nous avons avec le Sui Tang une autre forme de roman lettré commenté. Chu Renhuo fait publier son texte en 1695 sous son nom social (zi) et met en scène son rapport avec le texte (nous y revenons plus bas). Les commentaires, dont l’attribution est laissée en suspens (l’auteur ou un proche ?), qui encadrent le texte, s’inscrivent eux-aussi pleinement dans cette esthétique du wen. Ils soulignent, à la fin de chaque chapitre les différentes qualités de l’œuvre, de son récit et de son auteur.

Les commentaires de romans, enfin, peuvent être collectifs, quoique plus rarement.

L’Histoire Non Officielle, dont l’auteur, Lü Xiong, signe la préface de son nom social (zi)

constitue, avec ses quelques soixante-six commentateurs, l’exemple le plus frappant des larges sociabilités qui peuvent se déployer autour du manuscrit d’une œuvre romanesque. Il y a parmi ces commentateurs, dont les noms sont inscrits dans le texte, des prosateurs fameux de l’époque, des peintres des plus célèbres, un ancien ministre, un gouverneur de province43.

Cette rapide présentation des commentaires belles-lettristes de romans appelle deux remarques. En premier lieu, comme Rolston le souligne, ce type de commentaires ne se déploie, et ne semble prendre son plein prestige que dans une partie des œuvres publiées. Ce moment haut des commentaires pingdian, d’autre part, est historiquement très situé : il dure les deux derniers tiers du XVIIème siècle pour refluer ensuite.

Deuxièmement, ces commentaires transforment la manière dont opère ce qu’il faut appeler la « fonction auteur ». Arrêtons-nous sur ce point, qui est important, et se trouve au centre de cette étude.

Dans le contexte où ces romans sont publiés, il n’y a pas de frontière rigide et de terme unique, qui désigne ce qu’on appellerait un rôle d’auteur. Nous trouvons à la place toute une série de mots, qui semblent faire apparaître une forme de continuum entre les rôles de

42 Voir Rolston, « Dealing with Jin Shengtan and the Rest of the « Four Masterworks » », in Traditional Chinese Fiction, pp. 52-85.

compilateur, correcteur, éditeur et auteur. C’est en partie pour cette raison que le discours critique a pu proposer de relativiser cette notion44.

Précisons les choses, à partir du Sui Tang. Le passage de la préface de Chu Renhuo que nous plaçons en note, et où il présente le rapport entre son œuvre et les autres romans qui traitent de l’histoire des Sui et des Tang est représentatif, à cet égard des situations qui