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l’Espace de l’Ouest

2. Institutions symboliques d’un territoire

Précisons le rôle que remplissent les souverains et les immortels par rapport à l’espace où vit cette communauté. Zhou Qingyuan apparaît fasciné par les moments où un souverain institue matériellement et symboliquement un territoire. Le dix-septième conte, qui raconte la conquête du Zhejiang par le fondateur des Ming, est exemplaire à cet égard :

266 A. Lévy, Le conte en langue vulgaire du xviie siècle. Paris: Collège de France, Institut des hautes études chinoises, 1981, p.381.

267

Pour ces deux occurrences, chapitre 20, ibid, p. 197.

268

Voir par ex. ibid,, p. 338, ou p. 135.

269

Respectivement chapitre 7, p. 99, chapitre 20, p. 281.

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天兵所到之處,席捲如⾶,乘勝謀取浙東,遂克了婺州,就是如今 的⾦華府,擒了元治書帖⽊烈思等,下令軍中無得侵暴 洪武爺撫 定 了 婺 州 , 於 城 樓 上 ⽴ ⼤ 旗 ⼆ ⾯ , 親 書 對 聯 道 :

山河奄有中華地,⽇⽉重開⼀統天 271

L’armée céleste balayait tout sur son passage, comme si elle volait au-dessus du sol. Continuant sur sa lancée victorieuse, elle conquit l’est du Zhejiang, puis la région de Wu Zhou, c’est-à-dire l’actuelle région de Jinhua. Le souverain des Ming fit capturer le censeur des Yuan, Tiemuliesi, et interdit que personne dans son armée ne s’adonne au pillage, et ne commette de violences. Après qu’il eût pacifié la région, notre père Hongwu fit dresser un large étendard à deux faces où il avait inscrit de sa propre main le distique suivant :

Le temps est refondé et le monde est uni

Cette terre est sous mon commandement : la Chine

Le romancier réitère dans son récit ces moments de fondation du guo, de l’espace impérial au sein duquel lui comme ses lecteurs (le « nous » du texte) sont inclus. On notera qu’il est soucieux de mettre en rapport cette institution du territoire du guo en rapport avec la situation présente qu’il partage avec ses lecteurs (« c’est-à-dire l’actuelle région de » etc.). Cette fondation s’exerce aux dépens des « boucs puants » mongols, mais aussi de forces naturelles et d’esprit. L’immortel Shou de Yongming conseille par exemple, le roi de Wu-Yue alors que celui-ci cherche à contrôler les flots :

吳越王因江潮衝擊,屢次築不起海塘,⼼中⼤怒,⽤萬弩射潮 遂 問永明壽道: 海塘屢次築不起,每每潮來,其中有⿂龍鬼怪之物, 我今以萬弩射之 永明壽道: ⼤王雖極威武,海神⾃當遵旨退 縮,還須以佛法扶助⽅好 我佛⾨中有⾦剛 韋馱可以降伏⿂龍鬼 怪 吳越王聽信其⾔,遂於⽉輪山建造六和塔 永明壽親⾃念 楞嚴咒 以建塔基 果然建塔之後,江潮平靖,海塘⼀築⽽就, 以成萬世之功272 271 Chapitre 31, ibid., p. 531. 272 Chapitre 8, ibid. , p.129.

À cause des agressions de la marée, il était impossible de construire une digue. Le roi de Wu-Yue en conçut une grande colère, et fit tirer sur les flots par une myriade d’archers.

Il s’adressa ainsi à Shou de Yongming : « l’ouvrage ne cesse de s’effondrer, à chaque fois que la marée monte ; c’est là l’œuvre de poissons, dragons et autres créatures étranges ; j’ai commandé à mes archers de tirer sur eux ».

Shou répondit : « Grand roi, malgré votre prestige martial, pour que les esprits des mers se retirent et respectent vos ordres d’eux-mêmes, il faut vous appuyer sur le Dharma. Dans notre religion bouddhique, le Sutra du Diamant, et le Skanda peuvent soumettre les poissons, dragons, esprits et monstres ».

Le roi de Wu Yue fut convaincu et lança la construction de la Pagode des Six Paix au Mont de la Pleine Lune. Au moment d’établir ses fondements, Shou lut le mantra Shurangama. Une fois que l’édifice fut érigé, la digue put être achevée dès la première tentative, immense contribution pour toutes les générations futures.

Le texte traite de moments de fondation du territoire, mais aussi sur des moments de reconfiguration de celui-ci. C’est à ce titre que recueil s’arrête sur deux situations où les contours de cet espace impérial changent, sous Yongle, des Ming, et Huizong des Song.

Yongle est loué pour ses différentes conquêtes militaires contre les barbares mongols. Au sein du récit, des dieux lui apparaissent pourtant en rêve, pour le dissuader de poursuivre trop loin ce mouvement expansionniste, par trop meurtrier : il y a ainsi, semble-t-il une bonne taille de l’espace dynastique, ou du moins une juste dimension des espaces que l’on peut conquérir 273.

À rebours, le recueil traite durant le second conte d’un moment de rétraction du territoire, durant la transition entre les Song du Nord, et les Song du Sud, quand près de la moitié de l’empire (les territoires situés au nord de la rivière Huai) tombe aux mains d’une dynastie jürchen, les Jin. Arrêtons-nous sur celle-ci puisque, comme nous allons le voir, elle est au cœur du recueil.

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