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CARRIÈRE ET LIGNÉE

C. Richard Fitzralph et les Mendiants

Pierre des Prés, par l'intermédiaire de John Grandisson, qui a pu le lui recommander, a peut-être contribué à favoriser la carrière ecclésiastique de Richard Fitzralph. Né à la fin du

XIIIe siècle en Irlande, à Dundalk, Richard Fitzralph a étudié à Oxford et obtenu en 1331 un

doctorat en théologie. Il devint par la suite chancelier de cette même université, de 1332 à

1334270. Il était doyen de Lichfield depuis deux ans, lorsqu'en 1337 il se rendit en Avignon

auprès du pape Benoît XII pour défendre la cause de son chapitre, engagé dans une procédure contre les Mendiants, affaire qui traînait en longueur. Fiztralph gagna le procès, après cinq appels successifs, ce qui justifiait le temps passé en Avignon : sept années, de son arrivée à

1344271. C'est certainement à cette occasion qu'il fut présenté au vice-chancelier. Ce dernier lui

offrit la possibilité de prêcher dans la chapelle de sa livrée, en 1338, sur un verset du psaume 95 : venit judicare terram, puis en 1341 sur une phrase extraite de la lettre aux Philippiens de saint Paul gaudete in Domino semper et enfin en 1342 sur un verset de l'Apocalypse de saint

Jean redemisti nos Deo in sanguine tuo272. Fiztralph exerça régulièrement ses talents d'orateur

dans les églises des Mendiants d'Avignon273 et à deux reprises devant le pape, dans la chapelle

pontificale, en 1338 et 1342274. Ses sermons portaient au début de sa carrière essentiellement

sur la Vierge et l'Immaculée Conception ainsi que sur la vision béatifique275 mais Fitzralph

270 Wenzel, 2005, p. 31.

271 Walsh, 1975, p. 228.

272 Wenzel, 2005, p. 493.

273 Il prêche notamment en 1338 par deux fois chez les Franciscains ; en 1341 chez les Dominicains, à l'occasion du chapitre général de l'Ordre ; en 1342 chez les Carmélites. Voir Wenzel, 2005, p. 492-494.

274 Wenzel, 2005, p. 492-493.

développa ensuite un discours assez dur sur la question de la pauvreté des Mendiants, alors même qu'ils bénéficiaient de droits curiaux, et qu'à ce titre, les religieux auraient spolié les paroisses séculières sur le territoire desquelles leurs couvents étaient installés276. Richard

Fitzralph fut nommé archevêque d'Armagh, en Irlande, par Clément VI, le 31 juillet 1346277. Il

rentra alors dans son diocèse pour s'occuper de ses fidèles et de son clergé. L'affaire avec les Mendiants n'était pas pour autant enterrée : Fitzralph prêcha à Londres sur ce thème, et écrivit un mémoire intitulé de pauperie Salvatoris, présenté en 1356278. L'archevêque d'Armagh revint en Avignon en 1358 pour défendre devant des cardinaux279 nommés par le pape Innocent VI ses arguments, alors même que les représentants des Mendiants d'Angleterre,

arrivés eux-aussi à la cour pontificale, le comparaient à l'Antechrist280. Une bataille juridique

s'ensuivit entre les deux factions rivales, dans laquelle le cardinal des Prés joua un certain rôle, peut-être plus favorable à Fitzralph281. Toujours est-il que c'est à nouveau dans la chapelle de Pierre des Prés que l'archevêque d'Armagh fut autorisé à exposer sa position, dans

un sermon prononcé le 1er novembre 1358282. Le pape devait être présent, mais il ne vint pas.

Fiztralph prêcha néanmoins devant lui le 6 janvier suivant. Il mourut en 1360.

S'il ne l'a pas consacré comme d'autres évêques anglais ou irlandais, Pierre des Prés a protégé Richard Fitzralph, même lorsque celui-ci risquait de s'attirer les foudres d'Innocent VI pour ses positions tranchées contre les Ordres Mendiants.

3.3 La Paix à tout prix : Pierre des Prés et la guerre de Cent Ans

276 Fitzralph résume sa position dans la propositio « Unusquisque », développée devant le pape Clément VI, le 5 juillet 1350, dans laquelle il réfute le droit des Mendiants à un ministère pastoral, arguant du fait que l’Église a survécu depuis douze siècles avant l'arrivée des moines, et les accusant de rechercher ces privilèges pastoraux plus par avidité que par piété. Voir Walsh, 1975, p. 230-231.

277 Il est sacré le 7 juillet 1347 par John Grandisson, évêque d'Exeter.

278 Walsh, 1975, p. 233.

279 Il s'agit de Pierre du Cros, Élie de Saint-Yrieix, Guillaume Court et Francesco degli Atti. Voir Walsh, 1975, p. 235.

280 Walsh, 1975, p. 236.

281 Les Mendiants obtiennent, suivant la recommandation de la commission cardinalice, une lettre rédigée par les services de la Chancellerie, adressée aux évêques anglais, plutôt favorable à leurs demandes ; à peine l'ont-ils eue que Fitzralph fait appel et le vice-chancelier casse la lettre précédente en menaçant d'excommunication ceux qui s'en serviraient devant un tribunal. Pour Katherine Walsh, l'amitié entre Pierre des Prés et Richard Fitzralph ne fait pas de doute. Voir Walsh, 1975, p. 242.

282 Walsh, 1975, p. 243. Le thème de son sermon est un verset de l'évangile de saint Jean (Jean I, 4 ; 21) : « qui diligit Deum, diligat fratrem suum ». Voir Wenzel, 2005, p. 492.

En 1342, la guerre a repris depuis plusieurs mois entre le comte de Montfort, soutenu par Édouard III d'Angleterre, et Charles de Blois, fidèle au roi Philippe VI de France, pour la possession du duché de Bretagne. Après le siège de Vannes par les troupes anglaises en décembre 1342, et la prise de Plöermel, les deux armées se sont retrouvées quasiment face-à-face, distantes d'environ 40 kilomètres, et prêtes à en découdre dans une bataille rangée.

Clément VI, désireux de ménager la paix entre ces deux souverains, a envoyé à partir du 31 mai 1342 depuis Avignon deux cardinaux – Pierre des Prés et Annibal de Ceccano – avec le titre de légats en France et en Angleterre, afin de tenter de réconcilier les deux partis. Le choix du vice-chancelier peut surprendre : il n'est pas un prélat actif dans le domaine de la diplomatie à la Curie, contrairement à Gaucelme de Jean, qui lui, a déjà effectué des missions

en ce sens283. Pierre des Prés était apprécié et estimé des deux souverains, qui lui ménageaient

leurs faveurs. Dès lors, le choix par le pape du cardinal de Palestrina pour cette mission complexe ne paraît pas si incongru. Durant sa longue mission - du 31 mai 1342 au 4 avril 1343, soit près d'un an - Pierre des Prés fut suppléé dans sa charge à la Chancellerie par Élie

de Saint-Yrieix, abbé de Saint-Florent de Saumur284.

Les deux cardinaux circulèrent entre la France, la Flandre, le Hainaut, l'Artois et la Bretagne. Arrivés sur les terres bretonnes, ils firent de fréquents allers et retours entre les deux camps antagonistes, malgré des conditions météorologiques déplorables, afin de convaincre

les souverains de négocier une trêve dans ce conflit sanglant285. Leurs efforts furent couronnés

de succès, certes modestes, avec la mise en place d'une trêve, signée dans la chapelle Sainte-Marie-Madeleine de Malestroit, le 19 janvier 1343. Par cet engagement, les deux rois s'engageaient à déposer les armes durant trois ans, à envoyer durant l'été, vers la saint Jean, des ambassadeurs en Avignon pour négocier la paix devant le pape, et à laisser la ville de Vannes sous l'autorité des deux cardinaux légats.

À leur retour à la Curie, Pierre des Prés et Annibal de Ceccano furent accueillis par Clément VI, qui prononça en l'honneur de leur retour un sermon, dans lequel il loua leurs

283 Gaucelme de Jean a été envoyé en 1319 en France comme légat pontifical pour négocier la paix entre le roi et la Flandre.

284 Jugie, 2010, p. 382.

285 Jehan Froissart dans ses Chroniques, précise que les deux cardinaux « souvent chevauchèrent de l'un ost à l'autre pour accorder ces parties : mais ils les trouvèrent si durs et si mal descendans à accord qu'ils ne les pouvoient approcher de nulle paix » et que ceci se fit alors que « ils étoient aussi contraints du froid temps car nuit et jours il pleuvoient sur euxqui leur fit moult de peine ».

mérites286. Pour le pape, tout cardinal légat se situait, de par sa nomination, au-dessus des autres membres de la Curie, car il devenait une sorte d'alter ego du Souverain Pontife. Pour Clément VI, un cardinal qui déployait ainsi une activité diplomatique au service de l’Église et

pour son bien était digne d'éloges et méritait une récompense287. Clément VI octroya à Pierre

des Prés le décanat du chapitre collégial Notre-Dame de Villeneuve-lès-Avignon.

Suite aux engagements contractés à Malestroit, le pape Clément VI a organisé en

Avignon à l'automne 1344288 la tenue de ce tractatus ou négociations de paix entre les deux

souverains. Comme l'a écrit récemment Jean-Marie Moeglin, il s'agissait de « négocier pour concilier » : les deux parties devaient exposer leurs doléances et essayer de trouver un terrain d'entente afin que l'honneur de l'un et l'autre roi restât sauf, tout comme celui du pape. Mais « les deux parties ne pouvaient normalement pas mener de tractation car le roi d'Angleterre avait choisi de faire porter sa revendication sur le trône royal français lui-même ; le roi français ne pouvait accepter d'entrer en négociations à ce sujet sous peine de laisser entendre qu'il admettait que sa légitimité royale puisse être remise en cause289 ».

Pour mener à bien ces négociations délicates, Clément VI a nommé une commission spéciale composée de six cardinaux, dont Pierre des Prés et Annibal de Ceccano, qui avaient obtenu la trêve en Bretagne. Les ambassadeurs des deux camps furent reçus par le pape lui-même à partir du 22 octobre, mais ce dernier, prétextant d'autres occupations plus urgentes,

renvoya les deux parties soit vers les six cardinaux retenus290, soit uniquement vers Pierre des

Prés et Annibal de Ceccano. Le choix des ambassadeurs se porta sur ces deux derniers, qui animèrent donc les réunions et naviguèrent constamment entre les deux parties pour essayer d'aboutir à une conciliation honorable pour tous. Malgré de nombreuses propositions de

compensations suggérées par les deux prélats291, le roi d'Angleterre refusa de céder sur ses

droits au trône de France, et le roi de France de son côté fit de même à propos des prétentions anglaises sur la pleine propriété de l'Aquitaine ou sur les droits sur son royaume.

Les auteurs qui se sont penchés sur ces négociations de paix en Avignon en 1344, et

286 Le sermon commence par ces mots : Ibant et revertebantur. Une copie est conservée dans le manuscrit 240 de la bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris, fol. 60-63.

287 Lutzelschwab, 2005, p. 23.

288 Les premiers plénipotentiaires anglais arrivèrent en Avignon le 3 septembre ; la délégation française, elle, le 18 octobre et les négociations débutèrent à partir du 22 octobre 1344. Voir Moeglin, 2012.

289 Moeglin, 2012, p. 95.

290 Il s'agissait de Pierre des Prés, Annibal de Ceccano, Bertrand de Déaux, Gaucelme de Jean, Jean de Comminges et Pedro Gomez de Barroso.

291 Les cardinaux proposèrent les biens des Hospitaliers en Angleterre, le royaume d’Écosse ou un mariage entre les deux parties. Voir Moeglin, 2012.

tout dernièrement Jean-Marie Moeglin, n'ont pas relevé un fait qui peut paraître anodin, mais qui pourrait offrir un éclairage supplémentaire dans cette complexe affaire. Le roi d'Angleterre a en effet choisi d'envoyer comme ambassadeurs sur les bords du Rhône, outre des chevaliers, Hugh Neville et Nicolino Fieschi, des clercs, William Bateman, Jean d'Offord, son frère André d'Offord et Thomas Fastolf, tous juristes. Mais ce qui est frappant, c'est que parmi eux, deux connaissaient bien Pierre des Prés. En effet, William Bateman, évêque de Norwich, et principal négociateur, qualifié par Jean-Marie Moeglin d'homme-clef de la

diplomatie française du roi d'Angleterre292, avait passé 12 ans à la Curie d'Avignon, comme

auditeur de la Rote, tout comme Thomas Fastolf. Leurs fonctions à la Chancellerie les a conduit à travailler directement sous les ordres du vice-chancelier. Le roi Édouard a pu choisir volontairement ces deux hommes pour mener les négociations auprès de la cour pontificale, car il savait que le cardinal de Palestrina y jouerait un rôle certain, suite à son intervention à Malestroit. Le souverain anglais espérait peut-être ainsi rallier à sa cause le vice-chancelier, qui aurait ainsi défendu ou tout au moins exposé son point de vue auprès de Clément VI, avec qui il était en froid pour des questions de nominations à des bénéfices ecclésiastiques, nous l'avons vu. Pour autant, Pierre des Prés n'était pas pensionné par le roi d'Angleterre ou membre de certains de ses conseils, au contraire de Gaucelme de Jean, Bertrand de Montfavès

ou Annibal de Ceccano293. Il a certes reçu des cadeaux en 1333 de la part d'ambassadeurs

anglais auprès du pape Jean XXII, comme d'autres cardinaux de la Curie294. Certains membres

de sa familia avaient également été soudoyés, grâce à des présents, par les diplomates anglais

de 1344 de lui communiquer des doléances en dehors des négociations officielles295. Édouard

III le considérait également comme l'un des membres de la Curie avec lequel il était possible de parlementer. Le souverain anglais l'a ainsi sollicité – avec Annibal de Ceccano, Raymond des Farges et Talleyrand-Périgord – en 1345 pour être l'un des porte-paroles de sa politique auprès de Clément VI lorsque dans une lettre au pape il dénonçait Philippe VI comme son

principal ennemi296. Pierre des Prés a aussi fait partie des quelques cardinaux qui ont reçu,

292 Moeglin, 2012, p. 96. Bateman a ensuite été nommé par Édouard III comme procureur royal à la cour pontificale.

293 Gaucelme de Jean a fait partie du conseil royal pour l'Aquitaine en 1313 puis du conseil et de la maison du roi d'Angleterre l'année suivante ; Bertrand de Montfavès a été pensionné comme conseiller en mars 1320 ; Annibal de Ceccano a lui aussi été pensionné en 1333. Voir Plöger, 2005, p. 96-97.

294 Pierre des Prés a reçu des ambassadeurs anglais Richard de Bury et John Shoreditch une coupe et une aiguière en argent doré et émaillé, avec couvercle et plateau, d'une valeur de 15 livres (soit plus de 100 florins d'or), ainsi que 200 florins d'or. Elie de Talleyrand-Périgord et Arnaud Duèze ont reçu les mêmes objets mais sans la somme complémentaire. Voir Plöger, 2005, p. 258.

295 Deux écuyers de Pierre des Prés, dont les noms ne sont pas précisés, ont reçu de la part des anglais 12 florins pour donner au vice-chancelier des suppliques destinées au pape. Voir Plöger, 2005, p. 259.

durant la période 1342-1358, des lettres qui émanaient de la Chancellerie royale anglaise297. Malgré ces rapports étroits entre Bateman, Fastolf et Pierre des Prés, les négociations de l'automne 1344 n'aboutirent pas à un compromis acceptable et entériné par les deux nations. Comme l'écrit Jean-Marie Moeglin, « une telle négociation avait principalement pour but de permettre la révélation du bon droit de l'une des parties et non de mener à une transaction devant satisfaire l'une et l'autre partie298 ».

3.4 Les autres missions diplomatiques de Pierre des Prés

299

Durant sa longue carrière à la Curie, Pierre des Prés a participé à de nombreuses missions diplomatiques ou a été chargé de résoudre certains conflits au nom du Souverain Pontife. Toutefois, une seule lui fut confiée sous Jean XXII : en 1332, il arbitra, avec le cardinal Pierre Gauvin, un conflit entre l'évêque de Valence et le comte de Valentinois Aymar de Poitiers, au sujet du château de Crest (Drôme). Il convient de remarquer que ceci intervint après la promulgation de la réforme de la Chancellerie, advenue un an auparavant. Jean XXII devait considérer, à juste titre très certainement, que Pierre des Prés avait déjà fort à faire avec la réorganisation de son service pour lui confier d'autres tâches plus diplomatiques. La donne a changé avec l'arrivée sur le trône pontifical de son successeur.