• Aucun résultat trouvé

CARRIÈRE ET LIGNÉE

2. Le vice-chancelier de l’Église Romaine

2.3 La familia cardinalice

L'entourage des cardinaux est l'objet, depuis une quarantaine d'années, de travaux de

recherche d'historiens : Guillaume Mollat135, Norman-P. Zacour136, Henri Bresc137, Jacques

134 Les autres cardinaux étaient Gaucelme de Jean, Pedro Gomez Barroso, Gaillard de La Mothe et Bertrand de Montfavès.

135 Mollat, 1951, p. 50-61.

136 Zacour, 1975, p. 434-455.

Verger138, Anne-Lise Courtel139, Anne-Marie Hayez140 ou Pierre Jugie141. Tous ont mis en lumière l'important rôle politique dévolu aux familiers des princes de l’Église, par le jeu de recommandations et d'influences dont les cardinaux tirent les premiers profits. Pierre Jugie a

surtout proposé une définition de ce terme de familia pour le XIVe siècle qui, pour lui,

regroupe « l'ensemble des personnes, ecclésiastiques ou laïques, que le cardinal - par la délivrance d'une lettre patente de familiarité, au moins pour les clercs - retenait à son service personnel et auxquelles il assurait le logement sous son propre toit (dans sa ou ses livrées), la nourriture, une rétribution régulière directe (« salaire ») et indirecte (obtention de bénéfices ecclésiastiques), une part du vêtement (essentiellement la livrée) et des gratifications diverses (cadeaux, dons, …).142 ».

Reconstituer la familia de Pierre des Prés n'est pas chose aisée143. Il manque en effet

un document essentiel : un complément de son testament, dicté en 1360 et aujourd'hui non localisé. Dans ses ultimes volontés, le cardinal de Palestrina précise que les legs octroyés à son entourage proche et à ses serviteurs ont été consignés dans un acte spécifique, volontairement séparé de son testament stricto sensu, qui ne reprend que les dons envers sa famille. Cette énumération de sa maison est perdue et avec elle une liste, certes à une date n, en l’occurrence 1360, qui détaillait le nombre et la qualité de ses familiers, religieux et laïcs. Les études précédemment citées sur l'entourage des cardinaux s'appuient en grande partie sur les testaments des prélats, pour donner une vision de leurs domestiques et obligés. En l'absence d'un tel support, il convient de traquer les noms et les qualifications de « familiaris » donnés à certaines personnes dans les archives pontificales. Les lettres communes de Jean XXII et de Benoît XII ont été dépouillées grâce à la base de données Ut per litteras

apostolicas, et celles de Clément VI, encore aujourd'hui inédites, au moyen du dépouillement

effectué pour la Belgique par Dom Ursmer Berlière144 ainsi que grâce à un fichier manuel

établi par l'abbé Lury à la fin du XIXe siècle. Ce dernier se trouvait alors à Rome, en résidence

à Saint-Louis-des-Français, et tout comme le chanoine Albe, chargé de dépouiller les archives du Vatican. À la demande du chanoine Pottier, président de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne, il a noté toutes les lettres de Clément VI qui avaient trait à ce département

138 Verger, 1973. 139 Courtel, 1977. 140 Hayez, 1980-1981, p. 25-48. 141 Jugie, 1990, p. 41-59. 142 Jugie, 1990, p. 46. 143 Voir annexe 2. 144 Berlière

méridional145. Pierre des Prés apparaît à de multiples reprises, cité notamment via l'un de ses familiers. Ce dépouillement n'est certes peut-être pas exhaustif et sa fiabilité demanderait vérification. Mais en l'absence de publication des lettres communes de Clément VI, ce travail offre la possibilité d'étoffer le corpus des familiaris du cardinal de Palestrina entre 1342 et 1352. Par contre, après cette date, les recherches sont quasi impossibles, car les lettres communes d'Innocent VI (1352-1362) ne sont toujours pas dépouillées et publiées à ce jour. La présentation de la familia et des familiers de Pierre des Prés est donc forcément lacunaire et non exhaustive.

Plusieurs méthodes s'offrent à nous pour présenter cette familia : soit globaliser le

nombre de familiers rencontrés pour toute la durée du cardinalat146, soit établir l'effectif à une

date précise147 ou tenter une étude diachronique sur l'ensemble de la carrière cardinalice148. Vu

la difficulté rencontrée pour obtenir des listes de familiers à des dates précises, j'ai préféré dresser des bilans par pontificats, tout en esquissant un nombre global de familiers. De même ai-je choisi d'analyser ces personnages lorsque cela était envisageable : origines, études, liens familiaux, carrières, et ce afin d'essayer de mieux cerner à la fois ce groupe au service de Pierre des Prés mais également les raisons qui auraient pu orienter ses choix sur l’un des clercs qui gravitaient autour de sa personne et lui délivrer le sésame qui allait faire de lui un

familiaris du puissant cardinal de Palestrina.

Entre 1321 et 1361, Pierre des Prés a abrité dans sa livrée pas moins de 69 clercs qui ont porté le titre de « familier ». Il ne s'agit là que des religieux qui composaient sa maison. Ils sont 43 à être cités dans les sources sous le règne de Jean XXII, soit pour Pierre des Prés entre 1322 et 1335. Pour celui de Clément VI, 17 nouveaux noms apparaissent entre 1342 et 1352. Il manque un pan entier de son entourage : les laïcs, quasiment absents des sources disponibles. Le service de bouche du cardinal devait ainsi représenter un nombre non négligeable de serviteurs, surtout dans une période où, comme le précise Pierre Jugie, la nourriture participe de l'ostentation et la « manifestation de sa puissance [passe] par les banquets les plus fous »149. Il en est de même pour les métiers divers tels que barbier,

145 Ces fiches sont conservées aux archives départementales de Tarn-et-Garonne, dans le fonds de la Société archéologique et historique de Tarn-et-Garonne, 21 J, non coté.

146 Il s'agit par exemple des travaux de Jacques Verger (Verger, 1973) ou d'Anne-Marie Hayez (Hayez, 1980-1981).

147 Norman-P. Zacour a adopté ce parti dans son étude sur la régulation pontificale des maisons des cardinaux au XIVe siècle (Zacour, 1975).

148 L'entourage du cardinal Guy de Boulogne a bénéficié de cette méthode, via les travaux de Pierre Jugie (Jugie, 1990).

chirurgien, gardes, palefreniers, valets et serviteurs en tout genre.

Sur les 69 clercs repérés, nous ne connaissons le diocèse d'origine, mentionné dans la lettre pontificale ou la supplique, que pour 36 d'entre eux. Sans surprise, 26 de ces clercs sont natifs du diocèse de Cahors, tout comme le cardinal de Palestrina. Les autres sont issus de trois autres diocèses méridionaux - Albi : 3 ; Saint-Flour : 1 et Rodez : 1 ; ou septentrionaux – Rouen : 2 ; Paris : 1 ; Liège : 1 et Tournai : 1 et enfin étranger – Angleterre (sans plus de précisions) : 1.

Pierre des Prés a, tout comme d'autres cardinaux contemporains150, largement favorisé les clercs issus de son Quercy natal pour constituer sa propre maison. Il est intéressant de noter que ces quercynois appartiennent pour leur grande majorité à des familles de l'aristocratie : Mondenard, Pestilhac, Auty, Ébrard, Crégols, Belfort, Germain, Saint-Vincent ou La Tour.

Guillaume de Lhugat compte parmi les plus anciens et les plus fidèles familiers de Pierre des Prés. La première trace de son nom est une lettre commune de Jean XXII, datée du

1er mars 1317, qui précise son diocèse d'origine - Cahors - et qui lui octroie la charge de

tabellion151. Il apparaît de nouveau deux ans plus tard, dans une autre lettre adressée le 1er

octobre 1319 à ce même pontife par Pierre des Prés, alors archevêque d'Aix et Gaillard Saumate, archevêque d'Arles, qui règlent un litige existant entre Pierre de Via et l'abbé du monastère du Dorat, dans le diocèse de Clermont, à propos de la possession contestée d'un

prieuré152. Cette missive a été dressée par Guillaume de Lhugat, notaire, au sein du palais

épiscopal d'Aix. Guillaume est donc entré au service du futur cardinal de Palestrina, entre 1317 et 1319. Il est qualifié de « maître » et de scribe pontifical en 1324 dans une lettre du pape qui lui octroie une grâce expectative d'un bénéfice, avec ou sans cure, dans le diocèse de Cahors, sans que cela supprime la même grâce « in forma pauperum » obtenue auparavant

dans le diocèse de Lavaur153. Ces deux indications sous-entendent que Guillaume de Lhugat

est diplômé en droit et a intégré la Chancellerie pontificale. Si la première assertion n'est pas vérifiable, la seconde paraît être plausible, puisque son protecteur travaille lui-même - voire seconde - le vice-chancelier qui délivre les bénéfices de scribe pontifical. Guillaume aurait

150 Voir notamment l'étude d'Anne-Lise Courtel sur la clientèle des cardinaux limousins en 1378, p. 907-908. Les cardinaux limousins ont eux-aussi largement favorisé leurs compatriotes méridionaux : la carte n°1 de son article montre bien la prépondérance des clercs des diocèses de Limoges, Saint-Flour, Cahors et Rodez.

151 Lettres communes de Jean XXII, n° 002995.

152 Lettres communes de Jean XXII, n° 012247.

ainsi été récompensé de sa fidélité au cardinal des Prés par un poste au sein de l'administration pontificale et des grâces expectatives de bénéfices. Il faut attendre 1329 pour que la grâce expectative se mue en véritable bénéfice : Jean XXII lui réserve la paroisse de Viviers, dans le diocèse de Lavaur, tout juste vacante, mais l'oblige à se démettre de la paroisse de Baumat,

qu'il venait d'obtenir de l'évêque de Cahors154. Dans cette lettre, Guillaume de Lhugat est pour

la première fois qualifié de chapelain et familier de Pierre des Prés. Toujours grâce à ce dernier, Guillaume occupe la charge enviée de correcteur des lettres apostoliques entre cette date et 1334, année où il est qualifié comme tel dans la lettre de Jean XXII qui accepte qu'il permute son bénéfice de Viviers avec celui de Verdier, dans l'archidiocèse d'Aix155. Le cardinal de Palestrina a pris auprès de lui, au sein de sa Chancellerie et à un poste clé, l'un de ses fidèles serviteurs. Guillaume de Lhugat disparaît de la documentation jusqu'à sa mort, survenue à la Curie un peu avant le 2 juillet 1366. Son bénéfice de Sainte-Marie de Verdier est

alors confié à Raymond Foris, clerc du diocèse de Saint-Flour, serviteur du Sacré-Palais156.

Hélie Flamenc est originaire du diocèse de Périgueux. Il appartient à une ancienne famille d'extraction chevaleresque, connue depuis 1040, qui possède la seigneurie de Bruzac. En 1327, il est recteur de l'église paroissiale de Maysones dans le diocèse de Limoges et reçoit du pape Jean XXII une lettre lui accordant un canonicat sous expectative de prébende

au chapitre collégial de Saint-Junien, dans le même diocèse157. Il entre au service de Pierre des

Prés après cette date et avant janvier 1329, car il est qualifié de familier du cardinal de Palestrina dans la lettre de Jean XXII qui lui octroie des bénéfices sous expectative, avec ou

sans cure, dans la ville ou le diocèse d'Angoulême158. En août 1331, il obtient la cure de

Saint-Amans-de-Nouère, dans le diocèse d'Angoulême, et il abandonne sa paroisse limousine159.

Deux ans plus tard, Hélie Flamenc poursuit son cursus honorum et devient chanoine

d'Angoulême sous expectative160, canonicat qu'il abandonne semble-t-il pour tenter sa chance

en 1335 à Saintes, où, là encore, il est en attente d'une prébende libre161. Il porte alors le titre

de chapelain du cardinal des Prés. En 1336, il semble avoir obtenu ce dernier bénéfice, car il est qualifié de chanoine de Saintes dans une lettre de Benoît XII qui lui demande, avec deux autres chanoines, de recevoir Pierre Grougier, clerc du diocèse de Limoges, à l'abbaye de

154 Lettres communes de Jean XXII, n° 044898.

155 Lettres communes de Jean XXII, n° 063006.

156 Suppliques d'Urbain V, n° 000376.

157 Lettres communes de Jean XXII, n° 029917.

158 Lettres communes de Jean XXII, n° 043966.

159 Lettres communes de Jean XXII, n° 054675.

160 Lettres communes de Jean XXII, n° 061923, lettre du 25 octobre 1333.

Bénévent162. En 1342, le pape Clément VI accorde au familier et chapelain du cardinal de Palestrina un canonicat sous expectative au sein du chapitre d'Urgell, en Catalogne163. Il disparaît de la documentation disponible après cette date.

Gaillard Nègre (Nigri) est peut-être originaire du diocèse de Mirepoix et issu d'une

famille noble164. Toutefois, plusieurs clercs qui portent le même nom apparaissent dans les

lettres pontificales comme natifs des diocèses d'Elne et d'Urgell. Il apparaît dans la documentation en 1327, lorsqu'il obtient de Jean XXII un canonicat sous expectative au chapitre de Saint-Gaudens, dans le diocèse de Comminges165. L'année suivante, Gaillard

Nègre devient archidiacre de Bourjac166, dans le même diocèse. Il a entre-temps acquis le

grade universitaire de bachelier es lois167. En avril 1334, il est peut-être souffrant car le pape

lui accorde une indulgence plénière à l'article de la mort, ainsi que la faculté de rédiger son

testament168. Gaillard se remet, car le pape Benoît XII l'envoie en 1335 comme collecteur

apostolique, avec Raymond Flori, chanoine d'Urgell, dans les provinces de Toulouse, de

Narbonne et d'Auch169, une mission qu'il occupe encore en 1338170. Il entre au service de

Pierre des Prés avant 1341, car il apparaît comme témoin dans l'important acte d'échange du

palais épiscopal d'Avignon et la livrée du cardinal de Via, passé le 1er février dans la demeure

du vice-chancelier171.