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COMMUNAUTÉ POUR ASSURER SON SALUT

1. Choisir un ordre Mendiant

1.5 Les Junies : le choix d'un ordre « familial »

Le cardinal Gaucelme de Jean, nous l'avons dit, aurait décidé vers 1320 de fonder, près du château familial, un monastère de religieuses. Le chantier de construction battait son plein en 1342, lorsque le pape Clément VI donna son accord à la constitution de cette nouvelle communauté, à la suite de l'évêque de Cahors, qui avait approuvé le désir du cardinal un an auparavant. Il semblerait toutefois que le pape ait imposé à Gaucelme de Jean un couvent de bénédictines pour animer sa fondation. Ce choix d'un ordre ancien peut surprendre, même si Bertrand de Montfavès avait privilégié les chanoines de Saint-Ruf et le cardinal Pierre Bertrand des religieux réguliers de Saint-Augustin. Les travaux de recherches

de Pierre-Roger Gaussin sur les communautés féminines du Midi de la fin du XIe à la fin du

XIVe siècle montrent que sur la fin de la période concernée, les bénédictines s'avéraient être

« passées de mode 511», par rapport aux Clarisses notamment512. Un seul établissement fut en

effet fondé, celui de Gorjan à Clermont-L'Hérault, dans le diocèse de Lodève, en 1350, par

Engles de Lauzière513. Des prieurés de moniales de l'ordre de saint Benoît existaient déjà près

510 Jugie, 1991, p. 78 et 91.

511 Gaussin, 1988, p. 321. Au siècle précédent, les fondations bénédictines étaient au nombre de 6 sur 43 créations en tout.

512 Les fondations de Clarisses au XIVe siècle représentent à elles seules les 2/3 des créations, soit 11 maisons sur 19 en tout. Gaussin, 1988, p. 324.

513 Il s'agissait d'une modeste abbaye, prévue pour accueillir huit religieuses dirigées par une abbesse, dont la nomination revenait au fondateur et à ses descendants. Gaussin, 1988, p. 321.

de Castelnau-Montratier, au lieu-dit La Lécune514, à Pomarède, fondé en 1123515, à Figeac516, ainsi qu'à Cahors, sous le vocable de Notre-Dame de la Daurade, créé en 1210. A contrario, les maisons de Clarisses ou de Cisterciennes s'avéraient être de loin les plus nombreuses sur l'ensemble de l'espace languedocien : pas moins de 47 couvents sur les 98 recensés entre la fin

du XIe etla fin du XIVe siècle. Clément VI, lui-même bénédictin, a-t-il souhaité rééquilibrer

la présence des ordres féminins dans le Midi en imposant une maison qui suivrait la règle de saint Benoît, plutôt qu'une nouvelle communauté de mendiantes ? Cela n'est pas à exclure,

d'autant plus que sous son règne seuls trois monastères furent fondés en Languedoc517, outre

Les Junies : Saint-Pantaléon, à Toulouse, suivant le vœu du cardinal Jean-Roger de Comminges, pour des chanoinesses régulières ; Gorjan, pour des bénédictines ; les Cassès, dans le diocèse de Saint-Papoul, où la règle bénédictine fit place à celle d'Urbain IV pour des

Clarisses518. Sur quatre couvents, trois étaient affiliés à un ordre ancien et un seul à un ordre

mendiant.

Pourtant, le choix initial imposé par Clément VI n'a pas été suivi des faits. Le cardinal de Jean passa de vie à trépas le 3 août 1348, après avoir rappelé dans cet acte la fondation du couvent de moniales, dont les bâtiments étaient en grande partie élevés et laissés aux soins de son neveu Gisbert II de Jean, évêque de Carcassonne. Il fut provisoirement

inhumé au chevet de l'église des Dominicains d'Avignon519, puis son corps trouva le repos au

sein du couvent des frères Prêcheurs de Cahors, où se trouvait déjà l'un de ses frères, le chevalier Benoît III de Jean, et l'un de ses neveu, Gisbert I de Jean, lui-aussi évêque de Carcassonne. Comme le remarque Jean-Pierre Suau, la famille de Jean entretenait des rapports étroits avec les Dominicains de Cahors, installés sur les bords du Lot, dans le quartier

de Cabessut en 1260520. Cette affinité avec l'ordre mendiant peut s'expliquer par le fait que

514 Cette petite maison bénédictine existait déjà au XIIIe siècle. La prieure Raymonde de Mazerac fut traduite en 1242 devant l'inquisiteur Pierre Cellan, accusée d'avoir portée durant plusieurs années « l'habit de parfaite » et d'avoir demandé à ses moniales « si la Sainte Vierge a allaité charnellement son Fils et souffert à l'accouchement comme les femmes ». Duvernoy, 2001, p. 257. Le cardinal Bertrand de Montfavès avait deux sœurs religieuses à La Lécune. L'une d'elle, Sybille, fut transférée en 1322 au sein du couvent de la Daurade de Cahors. Berlière, 1924, p. 54. L'établissement n'apparaît pas dans les listes de Pierre-Roger Gaussin établies en 1988.

515 L'abbaye Notre-Dame de Pomarède a été fondée par les bénédictins de La Sauve-Majeure. Gaussin, 1988, p. 304.

516 Il s'agit du prieuré conventuel Sainte-Marie de Lundieu, fondée en 1255 sous la dépendance des bénédictins de Figeac. Gaussin, 1988, p. 314.

517 Gaussin, 1988. Les autres monastères pour le XIVe siècle ont été créés sous ses prédécesseurs essentiellement.

518 Voir infra.

519 Suau, 2013, p. 129.

Gaucelme de Jean a exercé la charge de Grand Pénitencier de l’Église, et fut de ce fait très proche des Prêcheurs. D'autre part, l'un de ses frères, Pierre, et deux de ses neveux occupèrent le siège épiscopal de Carcassonne de 1333 à 1354. Là encore, ce diocèse était en lien étroit avec l'Inquisition, confiée aux disciples de saint Dominique. De plus, il est intéressant de noter que le prédécesseur de Gaucelme de Jean dans la charge de Grand Pénitencier, le cardinal Béranger Frédol l'Ancien, avait effectué en 1288 une donation aux dominicaines de Prouille, qui a permis à ces dernières de fonder le couvent Notre-Dame de Prouille de

Montpellier521. Gaucelme de Jean aurait pu s'inspirer de sa démarche pour son propre projet de

fondation. Le monastère de Prouille avait déjà essaimé dans le Midi : Aix-en-Provence522,

Condom523, Saint-Pardoux524, mais également dans d'autres villes plus septentrionales, comme

Metz525, Lille526 et Nancy527. Le choix de Gaucelme de Jean, même s'il n'était pas habituel, ne

se concevait donc pas non plus comme original.

Toujours est-il que le petit-neveu de Gaucelme de Jean, Benoît IV, fils de Philippe, seigneur des Junies et de Salviac, obtint du pape Innocent VI le 22 avril 1355 l'établissement de religieuses dominicaines, venues du monastère de Prouille, au sein du couvent familial,

enfin terminé528 et non de moniales bénédictines. Il apparaît comme évident que Benoît de

Jean a agi en lien avec un vœu émis par son grand-oncle le cardinal quant au choix de l'ordre qui animerait sa fondation, et non de son propre chef, mais surtout après la mort de Clément VI, survenue en 1352. En effet, il semble curieux que les religieuses ne soient pas arrivées dans le couvent après l'autorisation pontificale de 1342, alors que les bâtiments paraissaient en grande partie terminés. Cela n'aurait pas été la première fois que la communauté rentrait dans les lieux alors même que les travaux continuaient. D'autre part, il est également surprenant que le nom même de l'ordre retenu pour les Junies ne soit pas mentionné dans le testament de Gaucelme de Jean, rédigé en 1348, qui ne fait référence qu'à un vague « monastère de moniales ». Il se pourrait donc que le cardinal d'Albano ait secrètement refusé le choix du pape d'implanter une communauté de bénédictines, préférant, pour les raisons familiales

521 Gaussin, 1988, p. 317.

522 Le couvent Notre-Dame de Nazareth d'Aix-en-Provence a été fondé en 1290 par Charles II d'Anjou, comte de Provence. Duval, 2009, p. 496.

523 Le monastère de Pont-Vert a été établi en 1283 par Diane de Navarre, comtesse d'Armagnac, avec l'aide de treize moniales venues de Prouille. Duval, 2017.

524 Fondé en 1293. Duval, 2017.

525 Créé en 1297 à partir d'une communauté de semi-religieuses. Duval, 2017.

526 L'Abiette, à Lille, a été fondée par Marguerite, comtesse de Flandres. Les premières religieuses sont venues toutefois de Marienthal, en Teutonie. Duval, 2017.

527 Le couvent de Nancy a été créé en 1298 par Marguerite de Navarre, épouse du duc de Lorraine Ferry III. Duval, 2017.

invoquées précédemment, l'ordre dominicain. Il a donc pu transmettre son vœu à ses successeurs, qui ont finalement obtenu d'Innocent VI une nouvelle ratification de la fondation

du couvent avec la venue des religieuses de Prouille529.

Ainsi, malgré le commandement d'un pape, grâce à la ténacité de ses successeurs, Gaucelme de Jean a pu avoir la satisfaction de fonder un couvent de Dominicaines sur ses terres familiales, qui, faute de recevoir son tombeau, a accueilli celui de ses petits-neveux.

2. Un cas unique : Mortemart, une "protection spirituelle" exceptionnelle

Mortemart, aujourd'hui dans le département de la Haute-Vienne, conserve la trace d'un « ensemble ecclésiastique considérable » pour reprendre les termes de Claude

Andrault-Schmitt530, fondé au début du XIVe siècle, par un homme, Pierre Gauvain dit le cardinal de

Mortemart. Sa biographie a été très récemment reprise et mise à jour par les soins d'Anne Massoni531.

Pierre Gauvain est né à Mortemart, petit bourg du Limousin, vers 1280, dans un milieu modeste. Il est amené à poursuivre des études de droit civil à l'université de Toulouse, où il obtient son doctorat, avant de devenir professeur jusqu'en 1314, tout en occupant la fonction de lieutenant du juge ordinaire de la sénéchaussée, Hugues de Molas, entre 1310 et

1313. Probablement durant ses études, il se lie avec Hugues Géraud, originaire du Périgord532,

nommé évêque de Cahors en 1313 par le pape Clément V. Le nouveau prélat appelle à sa suite

Pierre Gauvain, lui obtient de modestes bénéfices533 et le nomme official de son diocèse. Son

amitié pour l'évêque de Cahors a failli lui coûter cher, puisque Hugues Géraud, nous l'avons vu, subit en 1316 un procès à l'issue fatale, accusé d'avoir attenté à la vie du pape et des cardinaux Bertrand du Pouget et Gaucelme de Jean. Pierre est cité parmi les complices du prélat ; ses bénéfices sont confisqués et il doit se réfugier en Marche, auprès du comte Charles, dont il obtient la protection, malgré plusieurs lettres du pape qui demandent au prince

529 Sinon, comment expliquer cette nouvelle demande auprès du successeur de Clément VI, alors que ce dernier avait déjà accepté le principe d'un monastère féminin ?

530 Andrault-Schmitt, 1997, p. 280.

531 Massoni, 2016, p.

532 Hugues Géraud est né en Périgord mais dans la partie de la vicomté de Limoges. Il a occupé les bénéfices de chanoine de Limoges, doyen de Saint-Yrieix puis auditeur des causes sous Clément V. Voir Massoni, 2016, p.

533 Pierre Gauvain est archiprêtre des Vaux avec en plus les églises de Nevèges et de Divillac. Voir Massoni, 2016, p.

de lui livrer son clerc. Pierre entre au sein de la chancellerie du comte vers 1317 et se noue d'amitié avec plusieurs clercs aux carrières brillantes. Lui-même semble absout par la cour

d'Avignon dès la fin de 1317, puisqu'il reçoit divers bénéfices534. Sa carrière prend une toute

autre ampleur lorsque le comte de la Marche devient roi de France sous le nom de Charles IV. Pierre Gauvain devient l'un des conseillers du nouveau souverain, qui fait de lui l'un de ses ambassadeurs entre Paris et Avignon. Il est notamment chargé de négocier l'annulation du mariage du roi avec Blanche de Bourgogne, accusée d'adultère et reléguée par Philippe le Bel à Château-Gaillard depuis 1314. Le pape Jean XXII donne un avis favorable à la demande du roi en 1322 qui peut épouser Marie de Luxembourg. Pour le remercier, Charles IV intervient auprès du pape pour lui obtenir l'évêché de Viviers cette même année 1322. Le nouvel évêque est de retour à l'automne et jusqu'au printemps 1323 sur les bords du Rhône pour organiser le projet - avorté - de Croisade voulue par Jean XXII, dont le chef ne serait autre que le roi Charles lui-même. Il est également associé en 1324-1325 aux pourparlers de paix entre son maître et le roi Édouard II d'Angleterre, suite à la guerre de Saint-Sardos, et participe à tous les événements qui impliquent à Paris la famille royale. Il est élu le 5 octobre 1325 évêque d'Auxerre et confirmé par Jean XXII le 7. Dès lors, Pierre Gauvain semble se détacher des affaires royales – il est peut-être même en froid avec le roi dès 1327 – et se consacre à l'administration de son diocèse. Le 18 décembre 1327, le pape le créé cardinal au titre de Saint-Étienne in Coelio Monte, ce qui correspond à la tradition de donner la pourpre cardinalice à de grands officiers de la couronne de France. Jean XXII emploie Pierre

535Gauvain pour diverses missions, tant religieuses536 que diplomatiques, tout en accumulant

les bénéfices. Il meurt en Avignon le 14 avril 1335, deux jours après avoir rédiger son testament. Ses exécuteurs testamentaires – les cardinaux Pierre des Prés, Hélie de Talleyrand-Périgord, Gaucelme de Jean, Pierre Bertrand et Pierre de Chappes – sont chargés entre autre de mener à bien les fondations qu'il a prévues, dont son « grand œuvre » à Mortemart.

Pierre Gauvain, dès 1324, a songé à fonder un établissement ecclésiastique dans son pays natal, pour perpétuer sa mémoire. Il obtient du pape Jean XXII le 25 mai une bulle qui l'autorise à acquérir des dîmes dans le diocèse de Limoges et particulièrement dans la châtellenie de Mortemart, mais également comme évêque de Viviers, afin de fonder dans sa ville de naissance un hôpital pour 30 pauvres et une église avec 12 chapelains dont il aurait le

534 Il est chanoine d'Amiens en 1317 puis chanoine et chantre de Bourges en 1320.

535 Pour la liste complète de ses bénéfices, tant en France qu'en Angleterre ou en Allemagne, voir Massoni, 2016.

536 Il est notamment impliqué dans la poursuite des fraticelles ; chargé de résoudre un conflit entre l'évêque et l'université de Paris ou bien entre le comte de Poitiers et l'évêque de Valence – ce dernier cas en compagnie de Pierre des Prés.

patronage. Des indulgences, destinées à attirer des bâtisseurs et des visiteurs complètent les lettres pontificales. En parallèle, Pierre acquiert de nombreux biens fonciers dans le diocèse de Limoges, mentionnés dans son testament. D'après Lorgue, Pierre Gauvain aurait obtenu dès 1325 des lettres d'amortissement pour fonder des églises tant régulières que séculières et un hôpital à Mortemart, privilège augmenté en septembre 1329, assorti d'une demande du souverain pour que soit célébrée une messe du saint Esprit chaque année pour le roi et la

reine, puis un office des défunts après leurs décès537. En février 1330, le roi de France Philippe

VI lui accorde l'amortissement de 100 livres tournois de rente pour sa fondation.

C'est dans ses dernières volontés qu'il expose son projet : Pierre souhaite que soient établies à Mortemart plusieurs communautés religieuses qui devront veiller sur sa dépouille et prier pour le repos de son âme. Il choisit 24 chartreux, 25 carmes, 25 augustins et 12 chapelains, ces derniers pouvant être supprimés si les revenus n'y suffisaient pas. A cela s'ajoute un collège, sous la charge des Augustins, où deux professeurs de grammaire devront instruire 12 enfants – prioritairement issus de sa famille – depuis l'âge de 8-10 ans jusqu'à 20 ans, afin qu'ils aient les mêmes chances que lui d'accomplir une belle carrière de juriste. Un hôpital pour les nécessiteux des environs complète le dispositif, confié aux Carmes. Les Chartreux sont eux chargés plus particulièrement du rôle d'intercesseurs vers le Ciel par leurs prières assidues et solitaires.

Le pape Clément VI, que Pierre avait connu à la Curie, donne une impulsion déterminante au projet : il autorise les fondations en mai 1342 et, assisté du neveu de Pierre, Jean Gauvain, veille à ce que les chantiers démarrent. En 1345 et 1346, les religieux obtiennent les biens qui doivent servir à la fondation, convoités par des laïcs. Le chantier bat son plein entre 1347 et 1352, dates qui correspondent aux sommes versées par le camérier pontifical, Bertrand de Cosnac, évêque de Lombez à Jean Gauvain, Jean Botin, bourgeois du château de Limoges, Géraud de Beaufort, chartreux et Pierre Galengaud, ermite augustin, pour la construction des édifices, églises et logements des chartreux, carmes, augustins et clercs séculiers. Le tout aura coûté la somme de 4530 écus d'or. Pourtant, dans son testament, repris en grande partie par Clément VI dans sa bulle de mai 1342, recopiée par François de

537 Lorgue, 1893, p. 51-52. L'auteur ne donne aucune cote précise de ces sources, et s'appuie sur un manuscrit rédigé en 1726 par de François de Verdilhac, avocat en parlement, originaire de Mortemart : soit le « Dictionnaire des antiquités sacrées » soit plutôt le « le Salut sérieux et le Salut curieux », sorte de dictionnaire sur l'histoire de Mortemart et les personnages qui y sont attachés. Ces ouvrages ont été vus par le chanoine Arbellot chez les descendants des Verdilhac en 1856 lorsqu'il rédigea son guide du voyageur dans le Limousin. Arbellot, 1856, p. 264-265.

Verdilhac dans les archives de Mortemart538, il semble que Pierre Gauvain avait affecté des sommes bien plus importantes. Le pape précise en effet que le cardinal a assigné 4000 florins aux Chartreux pour terminer les constructions et acheter des revenus ; 2000 florins aux Augustins pour le même usage ; 4000 florins aux Carmes ; 5000 florins pour les chapellenies ; soit un total de 15 000 florins d'or. Certes, la totalité de la somme n'est pas exclusivement destinée à construite les églises et bâtiments ecclésiastiques mais la différence entre ces 15 000 florins et les 4530 écus d'or cités par les sources pontificales est à signaler. Même si l'on

accepte une légère différence sur le taux de conversion entre le florin d'or et l'écu d'or539, le

résultat des dons prévus et de la réalité perçue n'est pas la même. Si l'on part du principe qu'un florin vaut un écu d'or, plus de 10 000 écus d'or auraient été affectés à l'achat de revenus fonciers, alors même que ces derniers sont déjà très conséquents, et acquis, nous l'avons vu, par le cardinal Gauvain de son vivant. La remarque de Claude Andrault-Schmitt sur cette

somme de 4530 écus d'or qui « est peu par rapport au financement de la Chaise-Dieu »540

prend tout son sens. Le chantier aurait coûté beaucoup plus cher que ce qui est indiqué dans les comptes pontificaux : le delta qui manque ne pourrait-il pas venir, outre la proportion non connue de l'achat éventuel de biens fonciers, du prix d'éventuels décors et mobiliers contenus dans ces trois églises, ainsi que pour la réalisation du tombeau du cardinal ? Ainsi, lorsque cette hypothèse est prise en compte, la différence entre la somme indiquée dans la bulle de 1342 et les sommes acquittées en 1347-1351 paraît plus plausible.

Trois églises ont été édifiées : au nord, celle des Carmes ; au sud celle des Augustins et à l'est l'église réservée aux chapelains, dite « le Moutier » (fig. 27). Aucun lieu de culte ne paraît avoir été prévu pour les Chartreux, ce qui surprend, en sachant que ces religieux, dans l'esprit du fondateur, étaient, nous l'avons dit, les intercesseurs privilégiés pour le repos de son âme. Pourtant, l'acte de concordat, signé en 1386 entre les différents ordres religieux présents à Mortemart pour régler la gestion des lieux et des offices, précise que l'église des Chartreux doit être achevée, et que tant qu'elle ne l'est pas, les dits religieux pourront utiliser pour leur seul usage l'église du Milieu, dont les accès vers les autres couvents seront murés à cette

occasion541. Il existait bien une maison et une église des Chartreux, certainement inachevée,

538 Le texte de cette bulle, recopiée par Verdilhac en 1726 sur une copie de 1550, est reproduit in extenso et traduit dans l'ouvrage de Lorgue sur Mortemart. La vérification s'avère complexe, l'original étant perdu. Seule un récolement avec le texte de la bulle conservé dans les registres du Vatican pourrait confirmer la traduction de Verdilhac.

539 Sur ce sujet, voir Bompaire, 2010.

540 Andrault-Schmitt, 1997, p. 282.