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4.2 L'organisation et le fonctionnement du chapitre

B. Dîmes et legs

Le cardinal des Prés s'était en effet orienté vers un nouveau type de revenus : les dîmes. Nous avons dit précédemment que le pape Jean XXII l'avait autorisé à acquérir ces rentes ecclésiastiques à des laïcs. Ces derniers possédaient de manière illicite de tels biens d’Église,

et bien souvent depuis avant la réforme grégorienne du XIe siècle695. Ainsi, Armand de La

Tour précisait-il en 1343 que ses aïeux « avaient accoustumé de prelever et jouyir des dimes

691 Le détail de ces transactions des 17 et 18 mars 1338 sont détaillées dans l'inventaire des archives de 1626, aux rubriques n° 129 à 132. Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 789.

692 L'inventaire de 1626 les détaillent dans la rubrique n° 77, qui reprend à la fois des tenanciers mentionnés en 1333 et d'autres qui apparaissent en 1338. Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 789.

693 Les exécuteurs testamentaires ont longuement tardé à se décider sur le lieu de la fondation demandée par le cardinal de Tulle. Andrault-Schmitt, 2015, p. 558.

694 Fages, 1885, p. 10.

695 Cette situation s'inverse aux XIe- XIIe siècles notamment, avec la réforme grégorienne, et nombre de laïcs restituent des dîmes : dans le diocèse du Mans, 200 églises sont données entre 1050 et 1150 ; dans le diocèse de Limoges, l'évêque obtient le quart des paroisses. Voir Viret, 2014, p. 232.

infeodees de temps immemorial et paisiblement en paroisse sainct Martin et saint Jean696 ». La part de ces dîmes encore en mains privées à Montpezat s'avérait variable suivant les paroisses. Elle pouvait atteindre la moitié de l'impôt ecclésiastique, comme à Saint-Martin de Cargueprunes, ou n'en représenter que la 96ème partie, à Saint-Julien de Las Doutz. Une constante s'impose : les possesseurs de ces dîmes appartenaient tous à la petite ou moyenne noblesse quercynoise : les familles de Penne, Foulcaut, Couyssels, Montfavès, Belfort, La Tour, Castanède, Lagarde, Perches, Lauriac ou Montaigu. Certaines d'entre elles, comme les Lagarde, les Foulcaut, les Belfort ou les Montaigu ont eu maille à partir avec l'inquisiteur Pierre Cellan, lors de sa tournée de l'hiver 1241-1242. La plupart, à l'exception des Belfort et des Penne, ont vu leurs biens largement dévalués voire confisqués suite à la Croisade des

Albigeois697. La part de la dîme, si humble fut-elle, que cette aristocratie peu fortunée touchait

représentait donc une part non négligeable voire vitale de leurs revenus. En Toulousain et en

Quercy, aux XII-XIIe siècles, plus de la moitié des supports des fiefs sont une église, un

prieuré ou une abbaye698. Ceci explique la raison pour laquelle ces familles quercynoises ont

refusé de restituer gracieusement à l’Église ce qui lui était dû, notamment suite aux sollicitations de Clément V, et localement du juge-mage de Cahors Matthieu de Courjumelles. Ainsi, ce phénomène de possession de part de dîmes par des laïcs était encore très prégnant en

Quercy au milieu du XIVe siècle, alors même que Jean-Louis Biget le juge très minoritaire

dans le diocèse d'Albi cinquante ans auparavant699.

Le cardinal de Palestrina a acheté des dîmes sur deux périodes, curieusement assez éloignées dans le temps. Une première vague, peu importante, a eu lieu en 1342-1343. Elle concernait les paroisses de Saint-Martin et de Saint-Jean700, d'Auty701 et de Belfort702. En 1351, un seul achat a été réalisé : les parties des dîmes des paroisses de Saint-Martin de Cayssac, de

Saint-Pierre de Vaylats, de Saint-Martial de Arcanhaco et de l'église de Bagz703. Ce n'est

696 Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 789, n° 33.

697 Sur cette question et sur le registre de Pierre Cellan voir notamment Duvernoy, 2001.

698 Panfili, 2010, p. 187.

699 Biget, 1972, p. 211-283.

700 Pour Saint-Martin et Saint-Jean, Gailhard de Castanède cède une émine de froment et une émine de mixture, le 14 juin 1342. Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 789, n° 34.

701 Armand de La Tour rétrocède une émine de froment et une émine de mixture, le 7 mars 1343. Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 789, n° 33.

702 Plusieurs familles se partageaient la dîme de Belfort, soit 3 émines de froment : Montagut de Cayhrol, Gailhard de Lauriac, Bernard de Montaigu, Raymond de Moblana, Bernard de Lauriac et Hugues de Moblana. Le cardinal leur en offrit 1965 livres tournois le 7 septembre 1343. Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 789, n° 71 et 72.

703 Ces parts de dîmes, d'une rente annuelle de 10 livres tournois, ont été cédées par Olivier Bérald, seigneur de Vaylats, et son fils Olivier, moyennant la somme de 95 florins d'or, le 30 juin 1351. Pierre des Prés s'acquitte ici d'une des dernières volontés de son neveu Jean, évêque de Castres, mort en 1348, qui souhaitait doter la

toutefois qu'entre 1354 et 1355 que les gros des transactions a été passé704. En 1354, Pierre des Prés acquiert la 24ème partie705 puis la 96ème partie706 de la dîme de Saint-Julien de Las Doutz, la moitié de celle de Saint-Martin de Cargueprunes707, et enfin la 8ème partie708 puis le quart709 de Saint-Jean de Perches. L'année suivante, les efforts de Pierre des Prés se portaient sur la

paroisse de Saint-Geniès de la Milhau710. Un dernier achat isolé mais conséquent lui permit en

1357 de récupérer la dîme de Saint-Pierre de Gandoulès711.

En plus de ces parts de dîmes, le chapitre collégial vivait également des nombreux legs en nature, effectués par les habitants du village lors de la rédaction de leur testament. Les sources disponibles offrent l'opportunité de dresser un bilan de ces dons : rien que pour le

XIVe siècle, ce ne sont pas moins de 340 rentes foncières abandonnées au chapitre collégial

par des testateurs712. Ces biens ainsi délaissés se situaient dans le ressort proche de Montpezat,

et venaient compléter ainsi les achats du cardinal de Palestrina. En fonction de la situation du donateur, la rente établie était plus ou moins importante. En plus de ces revenus pour le chapitre, la plupart des testateurs avait également établi que tout chapelain qui assisterait à leurs obsèques puis annuellement à leur obit percevrait sur la rente délaissée au chapitre une certaine somme d'argent ou une quantité de blé. Le montant de la distribution était soit réglée à l'avance par le testateur, soit laissée à l'appréciation du doyen du chapitre. L'analyse des

fondations d'obits pour le XIVe siècle713 nous autorise à proposer une moyenne de 10 à 15

deniers de Cahors714 par chapelain pour récompenser leur présence aux funérailles, voire une

somme identique pour assister à la messe du lendemain ou à celle de l'octave, et 6 deniers pour les obits. Lors de ces derniers, les chapelains avaient l'obligation de commémorer l'âme

chapelle Notre-Dame, dans la collégiale Saint-Martin, de revenus via la dîme.

704 Les actes d'achats du cardinal pour ces deux années sont conservés dans les registres des archives du Vatican cotés Reg. Aven.132 et 133. Je remercie encore Pierre Jugie de m'avoir procuré les copies de ces documents.

705 Perceval de Lagarde reçoit 45 deniers d'or pour cela le 15 avril 1354.

706 Arnaud de Foulcaut vend cette partie pour 10 deniers d'or le 26 octobre 1354.

707 Pierre des Prés offre 33 florins d'or et 65 deniers d'or à Gailhard de Lauriac le 25 mai 1354.

708 Pons de Perches délaisse cette rente contre la somme de 52 florins d'or le 7 juillet 1354.

709 Pierre des Prés, neveu du cardinal, lui cède son bien contre 30 florins d'or le 13 septembre 1354.

710 Le cardinal des Prés rachète une part non précisée de la dîme à Guillaumette de Couyssels, femme de Pierre Barthe, de Belfort, pour 13 deniers d'or le 21 juin 1355, puis une seconde part le 10 août 1355 à Ratier de Penne, seigneur de Belfort, pour 50 florins d'or.

711 Pierre des Prés offre la somme de 100 florins d'or à Faur de Montfavès, neveu du cardinal du même nom, pour 3 setiers de froment et une émine d'avoine.

712 Ce chiffre est tiré d'un inventaire des fondations pieuses faites au chapitre de Montpezat, réalisé au XVIIe

siècle, et complété au siècle suivant. Il se présente sous la forme d'un cahier de papier de 73 folii et regroupe l'ensemble des rentes données à la collégiale depuis 1298 jusqu'en 1462. De 1324 à 1399, 340 actes sont répertoriés. Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 816.

713 Cette analyse a été réalisée à partir des titres contenus dans la liasse cotée G 792 aux archives départementales de Tarn-et-Garonne.

du défunt et celles qu'il souhaitait voir honorer, ainsi que prier Dieu pour l'ensemble du lignage715.

Enfin, les religieux de Montpezat complétaient leurs revenus grâce aux dons spécifiques en leur faveur et en leur nom propre de certains testateurs, qui les désignaient pour célébrer des neuvaines voire des trentains de messes et leur abandonnaient pour cela une

certaine somme d'argent716. Ainsi, le marchand Jean dels Maynals choisissait-il en 1369 le

chapelain Pierre Bisbe pour dire 30 messes pour le repos de son âme. Il lui assigna 30 sous aquitains et une couverture de lin. François Boyer légua, en 1369, 2 deniers d'or et 30 sous au chapelain Bernard de Fajoles pour qu'il célèbre des messes et des prières pour le repos de son âme. Jean Blasi offrit, en 1381, 18 deniers de rente annuelle au clerc de la chapelle Notre-Dame pour chanter chaque année une messe de requiem et 60 oboles d'argent au chapelain Raymond Delmont pour un trentain.

Les chapelains de Montpezat disposaient ainsi, en additionnant toutes les sources citées, de revenus confortables. Afin d'approfondir les recherches sur leur niveau de vie, nous ne disposons que d'un seul inventaire après décès, celui d'Adhémar de Falguières, passé de vie à trépas en 1379717. Nous ne connaissons rien de ses origines - son nom est toutefois méridional - ni de son éventuel parcours avant son entrée au chapitre de Montpezat. Il apparaît pour la première fois dans les sources en 1358718. Il est toutefois fréquemment mentionné comme notaire du chapitre dans les fondations d'obits par des laïcs. Il aurait donc suivi des études juridiques et obtenu certainement un grade universitaire. À sa mort, il était propriétaire de deux maisons dans le faubourg del Pla, proche de la collégiale. Il n'occupait que la seconde, car il avait donné la première à sa nièce Pétronne de Guillaume. Outre ceci, Adhémar jouissait d'un jardin au territoire du Colombier, à la sortie du village, près de la porte du Vent, et de trois vignes.

Sa demeure comportait un rez-de-chaussée, qui faisait office de cave. Là se trouvaient à la fois des outils - moulin à bras, fouloir à raisins, comportes, cuves, pressoir, mesure d'une demi-quarte de blé - et ses réserves de vivres : 29 tonneaux, barriques et barils de capacités variables remplis de vin, un farinier plein de 22 setiers de froment, un setier et un

715 Raymond de Balajous, en 1339 s'exprime ainsi dans son testament : « se remembrans e fassa conmemoracio de la mia arma e de las armas sobredichas e que pregue Dios per los vios de mon linatge ». Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 792.

716 Pour les exemples cités, voir Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 792.

717 Le document original est conservé aux archives départementales de Tarn-et-Garonne, sous la cote G 792. Il a été publié par Robert Latouche en 1923. Voir Latouche, 1923, p. 469-473.

tonneau de fèves, 7 setiers et 6 quartes d'avoine. Dans son jardin existait une soue, qui abritait quatre porcs, et 10 ruches.

Au premier étage se situait la pièce de vie du chapelain. Elle était meublée d'une table avec ses bancs, d'un tabouret, d'un écritoire ou pupitre. Une armoire contenait divers objets utilitaires : cinq boîtes grandes et petites, deux tasses d'argent d'un demi-marc chacune et un gobelet du même métal, des plats, des terrines, une poêle, le tout en terre, une lanterne, des sacoches de cuir et des morceaux de viande séchée. Une seconde armoire ou placard abritait des couvertures, nappes et draps de diverses matières et couleurs, un peigne pour carder le chanvre, une presse pour relier les livres, des serviettes, encore de la viande séchée et neuf fioles d'eau diverses. Ses livres étaient également renfermés là : Adhémar possédait cinq ouvrages de droit, trois bréviaires de Cahors, un missel, un livre d'exempla pour les

sermons, un grand missel, un vademecum, un petit comput, deux statuts synodaux719, et deux

ouvrages non identifiés720.

L'inventaire précisait également les reconnaissances de dettes dues à Adhémar de Falguières. Pas moins de 26 débiteurs se trouvent ainsi répertoriés. Le chapelain avait prêté en nature - six setiers de froment au seigneur de Montpezat, Raymond-Arnaud des Prés - mais la plupart du temps en espèces, et ce à toutes les couches de la société du village. Outre le sire du lieu, il avait été en affaires avec un damoiseau, Raymond de La Tour, pour 12 sols, deux notaires, un curé - le recteur de Saint-Étienne pour 3 sols, un hôte - Pierre de Salavert, pour 7 florins d'or et 15 sols, un certain nombre de bourgeois et de laboureurs, et même les consuls du village - pour la coquette somme de 30 florins d'or - , ainsi que le chapitre collégial, pour un franc d'or.

Une même politique de dons des terres familiales pour doter une fondation nouvelle existait pour le couvent des Clarisses du Pouget. Le cardinal d'Ostie a abandonné l'ensemble de son héritage familial, ainsi que ses biens propres, au profit des religieuses mendiantes. À la Romieu, Arnaud d'Aux a agi un peu différemment. La modestie de ses origines familiales ne lui permettait pas, semble-t-il, d'offrir au chapitre canonial, composé de dix chanoines, des revenus suffisants. Il a donc choisi d'utiliser sa fortune propre pour acquérir des terres, vignes,

moulins et autres biens fonciers721. Quant à Pierre Gauvain, à Mortemart, il a d'une part

719 Il devait s'agir de ceux du diocèse de Cahors, peut-être les statuts synodaux promulgués par Guillaume de Labroue, évêque entre 1318 et 1324.

720 L'auteur de l'inventaire les appelle « ebrarts », terme non identifié.

sollicité le roi Philippe VI pour obtenir des lettres d'amortissement de rentes pour 200

livres722, puis acquis d'autre part grâce à sa fortune des biens et des revenus fonciers - terres,

immeubles, droits seigneuriaux, dîmes - tout autour de ses fondations nouvelles723, devenues

également ses héritiers universels. Il a enfin légué d'importantes sommes d'argent pour terminer ces achats de terres et autres724.

Une constante s'impose donc : pour chacune de ces créations de communautés et de lieux d'inhumation, le fondateur a patiemment réuni et constitué un important patrimoine foncier, source de revenus, de natures diverses : terres, rentes seigneuriales, dîmes, pour certains exemptés d'impôts royaux. Si la plupart des cardinaux y inclus leur part d'héritage familial, plus ou moins considérable suivant les cas, il n'empêche que l'essentiel de ces biens ont été acquis grâce à leur fortune personnelle, très largement abondée par les rentes issues de leurs nombreux bénéfices ecclésiastiques.

4.4 La collégiale et le château : une stratégie commune vers la ville