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4.2 L'organisation et le fonctionnement du chapitre

B. Un problème de paroisse

La bulle de Jean XXII qui autorisait le cardinal de Palestrina à fonder des chapellenies dans l'église Saint-Martin de Montpezat donnait à cette dernière le titre de paroissiale. Or, nous l'avons vu, elle n'était que le siège d'un prieuré bénédictin, la paroisse étant sise au sein de l'antique basilique Saint-Just-et-Saint-Pasteur. Pourtant, comment expliquer l'erreur commise par la Chancellerie pontificale ? Montpezat était le siège d'un archiprêtré, nous l'avons dit, dont le siège a été transféré, suite à la création de la collégiale, à Flaugnac. La question se pose du titre curial : était-il ou non attaché à celui d'archiprêtre ? Le chanoine Griffe a longuement étudié ces statuts d'archiprêtre et d'archidiacre, en distinguant

ceux qui jouissaient d'une cure et ceux qui, au contraire, ne possédaient que leur titre743. Il

apparaît que la cura animarum de Montpezat n'était pas rattachée au titre d'archiprêtre : en 1317, le titulaire de ce dernier bénéfice est un certain Pierre de Meunac, écrivain du pape,

alors que le curé en titre est, semble-t-il, Bernard de Garnel744. Celui-ci est a contrario qualifié

uniquement de curé et non d'archiprêtre dans l'acte par lequel, en 1324, il autorisait Pierre des Prés à acquérir dans les limites de sa paroisse, des dîmes appartenant à des laïcs pour doter ses

742 La seigneurie de Montpezat dépendait des comtes de Toulouse. Ces derniers, sous Raymond V, ont repris la main sur les Montpezat, par le biais d'un acte de vassalité sur leurs terres familiales, à Montpezat et à Caylus, en 1176.

743 Griffe, 1927.

744 Bernard de Garnel est issu d'une famille noble de Cahors, qui possédait un fief à Cambayrac, dépendant de l'évêque. Sa famille était apparentée aux Cardaillac et aux du Pouget. Plusieurs de ses parents ont occupé des canonicats à Cahors, Bayeux, Vannes, Lavaur, Langres ou Périgueux. Certains étaient les familiers du cardinal du Pouget. Albe, 1902, p. 243-244.

futures chapellenies745, ainsi que dans le document de consécration de l'église

Saint-Just-et-Saint-Pasteur, la même année746.

Le titulaire de la cure se devait, depuis le Concile de Latran III, de demeurer dans sa

paroisse, mais les dispenses de non-résidence avaient tendance à se multiplier à la fin du XIIIe

siècle et au début du XIVe siècle dans le Midi, comme ailleurs. Le desservant n'était alors plus

le curé en titre, mais un remplaçant défrayé par ce dernier, qui portait alors le titre de

capellanus747. Au vu de l'un des mémoires juridiques, relatif à un procès intenté en 1756 par le

doyen de Montpezat à ses chanoines748, il semblerait qu'au début du XIVe siècle, la paroisse

Saint-Just-et-Saint-Pasteur ait été desservie par des clercs qualifiés dans le document de « prêtres mercenaires ». Ce document souligne même l'action de Pierre des Prés qui « a substitué les chanoines aux prêtres mercenaires par qui, et à défaut du titulaire, l'église de Montpezat [était régie] ». Cette constatation s'appuyait sur l'acte original de fondation du chapitre, rédigé en 1337, aujourd'hui disparu. Mais tout ceci n'explique toujours pas la confusion sur le siège de la paroisse, ni d'ailleurs sur le fait que le cardinal des Prés ait été baptisé dans l'église Saint-Martin, en théorie non pourvue de fonts baptismaux, et non dans la basilique Saint-Just-et-Saint-Pasteur. Or, le droit paroissial obligeait les fidèles à entendre la messe, verser leurs offrandes, recevoir la pénitence et les autres sacrements dans l'église où

officiait le recteur ou son remplaçant749. Ainsi, l'une des solutions possibles serait que les

prêtres-mercenaires aient privilégié l'église Saint-Martin, située à l'intérieur des murailles de la cité, par rapport à l'antique basilique mérovingienne, bâtie en contrebas, y compris en y

célébrant les baptêmes. Le développement du bourg dans la seconde moitié du XIIIe siècle

expliquerait en partie ce choix. Pour autant, cette hypothèse ne convainc qu'en partie. Certes, en 1324, l'acte d'autorisation d'acquérir des dîmes est contresigné par trois prêtres de Montpezat - Géraud Delmas, Bernard Cabrit et Pierre Merle - qui étaient peut-être les vicaires de Bernard de Garnel, accomplissant à sa place la charge des âmes. Mais l'acte précise surtout que cette autorisation a été demandée au curé par « noble homme Raymond des Prés », le propre frère du cardinal, seigneur de Montpezat. Ce dernier détail éclaire l'attitude de Bernard de Garnel, qui paraît ambiguë : il autorisait d'un côté la fondation de chapellenies, au risque de voir s'envoler une part de ses revenus issus du casuel paroissial - mais comment résister au seigneur local, frère d'un cardinal ? - et d'autre part, quelques mois plus tard, il demandait la

745 Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 783.

746 Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 784.

747 Sur ce sujet, voir les travaux du père Avril, notamment, Avril 1990.

748 Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 1276, pièce n° 2.

consécration de son église paroissiale. La portée de ce dernier geste est peut-être l'une des clés de cette situation confuse. L'acte précise en effet que Jean, évêque in partibus d'Apros, frère

carme750, consacra « l'église paroissiale Saint-Just-et-Saint-Pasteur de Montpezat en l'honneur

des bienheureux martyrs751 » (fig. 37). Ce rite de consécration revêt une signification hautement symbolique : l'évêque qui officie place dans l'autel des reliques des saints patrons et oint l'édifice en douze endroits, l'église étant considérée comme une créature de Dieu qu'il

convient de baptiser752. Le dépôt d'un corps saint, ensevelissement figuré, permettait que le

titulaire de l'église, délégué par Dieu, prenne possession de son nouveau séjour terrestre et puisse, le cas échéant, le défendre753. Ainsi donc, si nous suivons cette logique d'une consécration protectrice, il est légitime de penser que Bernard de Garnel aurait eu peur des conséquences éventuelles de la fondation de chapellenies nouvelles sur sa paroisse, qui plus est dans l'église annexe. Il aurait profité de la présence de l'évêque d'Apros dans le diocèse de Cahors pour affirmer le statut de son église. Le prélat venait en effet, quelques mois plus tôt,

de consacrer l'église du couvent du Pouget754. La proximité de membres de la famille de

Garnel avec le cardinal du Pouget et les liens de parenté qui les unissaient au puissant légat

pontifical755, expliquent également la venue du frère Jean à Montpezat.

D'autre part, cet acte canonique s'accompagnait de l'octroi d'indulgences - ici 40 jours - aux pénitents ou aux fidèles confessés qui viendraient visiter l'église le jour de l'octave ou pendant la semaine qui suivait la cérémonie. Ce don offrait également l'opportunité de susciter un regain d'intérêt pour l'église consacrée, ainsi qu'un nouvel élan de donations pieuses. Le gain du recteur de Montpezat serait donc double : remettre sous la protection du Très-Haut son église, en rappelant qu'elle est la seule paroissiale, et par ce biais éviter la dispersion ou la fuite des legs pieux et des revenus du casuel vers l'église Saint-Martin, ce qui diminuerait en plus ses revenus curiaux. Un dernier geste de Bernard de Garnel illustre encore son intention de « résister » aux intentions de Pierre des Prés et à l'éventuelle pression exercée

750 Ce Jean, frère Carme au couvent de Cahors, semble méridional. Il fut promu à l'évêché d'Apros (Napronensis), en Macédoine, par Jean XXII, qui le nomma évêque auxiliaire de Cambrai. Actif en 1336, il est mort avant le 29 janvier 1338. Berlière, 1905, p. 25-26.

751 Le texte original est le suivant : Nos Johannes permissione divina episcopus Napronensis de licentia

venerabilis et discreti viri domini Guillelmi La Chapelia doctoris decretorum vicarii generalis in spiritualibus et temporalibus reverendi patris in Christo domini Bertrandi divina dei providencia episcopi caturcensis in remotis gentis in servicio dmini nostri papae […] ...tentis die date presencium ecclesiam parochianalem sanctorum Justi et Pastori […] Montpensato consecrammus ob honorem sanctorum martirum dictorum […] et reliquias eorumdem cum tribus granis incencii in altari aiory ob honorem dictorum martirum duximus deponendis […]. Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 784.

752 Iogna-Prat, 2006, p. 295-296, qui renvois à l'auteur anonyme du traité Quid significent duodecim candelae.

753 Bousquet, 1972.

754 Cette cérémonie eut lieu le 13 mars 1323. Longnon, 1877, p. 93.

par son frère Raymond. Le 25 avril 1325, sous l'égide des consuls de la ville et non du

seigneur, il inventoria les ornements de son église paroissiale756. Il désirait peut-être, par ce

geste et en prenant à témoin les édiles de la cité, éviter que certains biens matériels de sa

paroisse ne passent au prieuré concurrent. Bernard de Garnel est mort en janvier 1328757 et

son successeur à la cure de Montpezat, Laurent de Cajarc, n'a été nommé par le pape que le 13 avril 1330758.

Il est intéressant de noter que la nomination au bénéfice de la cure de Montpezat, qui revenait de droit à l'évêque de Cahors, a été attribuée par le pape, qui a fait jouer son droit de réserve. Ce privilège pontifical a certainement été demandé à Jean XXII par Pierre des Prés, pour éviter que l'évêque en titre ne nomme un prêtre de son diocèse. Cette manœuvre favorisait la mise sous tutelle de la paroisse de Montpezat, par le biais d'un clerc dévoué au cardinal de Palestrina, le temps que ce dernier ait finalisé son projet de fondation. Laurent de Cajarc était en effet originaire du village éponyme des bords du Lot, qui n'est autre, nous l'avons dit, que la cité de naissance de la puissante famille des Hébrard, eux-mêmes apparentés et familiers du cardinal des Prés. Aucun lien formel entre ce dernier et Laurent de Cajarc n'a été découvert dans les sources, mais la proximité existante entre les Hébrard, les Cajarc et les des Prés nous incite à exposer cette hypothèse. D'ailleurs, Laurent de Cajarc se démit de sa cure de Montpezat le 10 février 1338, soit quelques mois après que ce même pontife ait autorisé Pierre des Prés à fonder six chapellenies dans l'église de son enfance, et ce au profit de Pierre de Salavert, qui fut ensuite nommé par Benoît XII prieur de Saint-Martin le

18 mars 1338759.Il a donc servi de curé de transition, le temps que le nouvel établissement

voulu par Pierre des Prés fut créé et effectif. Il reçut à la suite de sa résignation la cure de

Gréalou, dans le diocèse de Cahors, anciennement occupée par Pierre de Salavert760.

Ce dernier, issu d'une famille bourgeoise originaire de Montpezat761, était un familier

du cardinal de Palestrina. Grâce à son protecteur, il avait été nommé le 30 septembre 1327 à la chapellenie perpétuelle sans cure de Saint-Laurent d'Arnac, au diocèse de Limoges, vacante

756 L'acte original est perdu mais sa mémoire est conservée dans l'inventaire des archives de 1626. Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 789, n° 122.

757 Albe, 1902, p. 243.

758 Lettres communes de Jean XXII, n° 049180.

759 Lettres communes de Benoît XII, n° 5348.

760 Lettres communes de Benoît XII, n°005322.

761 La famille Salavert ou Aulaviridi en latin est mentionnée dans les sources qui touchent Montpezat dès le XIVe siècle. Galabert, 1918, p. 63. Un Guillaume de Salavert était en 1363 au service de Raymond-Arnaud des Prés, seigneur de Montpezat. Quant à Pons de Salavert, curé de Saint-Jean du Fustin, près de Montalzat, il est mentionné comme familier et procureur du cardinal des Prés en 1328. Lettres communes de Jean XXII, n° 043548.

après le décès de Gaufred La Porta, chapelain pontifical, en plus d'une grâce in forma

pauperum pour un bénéfice à la collation ou présentation du doyen ou du chapitre de

Saint-Yrieix, dans le même diocèse762. Avant le 15 mai 1332, il avait obtenu un canonicat et une

prébende à Saint-Yrieix, car le pape les a mentionnés dans la bulle qui le nommait chanoine à

Saint-Michel de Castelnaudary, en considération du roi Robert de Sicile763. Puis, toujours par

l'intermédiaire du vice-chancelier, Pierre de Salavert devint le 22 septembre 1332 curé de cette même église de Saint-Laurent d'Arnac, avec l'infirmerie ou maladrerie adossée, nonobstant les expectatives de prébendes à Saint-Yrieix et à Castelnaudary, ainsi que l'église

de Sainte-Victoire, proche de Montpezat764.

Le rôle de Pierre de Salavert en tant que prieur de la nouvelle communauté n'est pas connu. Il a été choisi par le cardinal de Palestrina parmi ses familiers, clercs dignes de

confiance. Mais il ne semblait pas être un juriste ou un canoniste confirmé765. Pierre des Prés a

plutôt dû voir en lui un homme simple, ayant peut-être eu une expérience dans une paroisse avant de rejoindre Avignon mais surtout originaire de Montpezat. Il l'a chargé d'installer les nouveaux chapelains dans le prieuré Saint-Martin, de faire appliquer les statuts rédigés et envoyés depuis la cité pontificale mais également de faire le lien entre cette création ecclésiastique et les habitants du village, consuls, nobles, bourgeois et simples manants, qui étaient tous devenus ses paroissiens. Il importait donc de faire appel pour cette dernière tâche, assez délicate, à une personne qui avait de solides attaches locales, en plus de son prestige d'appartenir à la maison du cardinal des Prés. Pierre de Salavert doit être vu comme une préfiguration du futur doyen, une sorte de défricheur qui a aplani les difficultés de la

communauté naissante766 et a participé à son ancrage dans la vie locale. Il était le primus, le

précurseur, le premier et le seul prieur de Saint-Martin de Montpezat. La preuve en est que lorsqu'en 1343 le pape Clément VI transforma ce titre de prieur en celui de doyen, Pierre de Salavert céda sa place à André Delmas, autre familier du cardinal, comme si la tâche que lui avait assignée son maître était achevée767.

762 Lettres communes de Jean XXII, n° 029953.

763 Lettres communes de Jean XXII, n° 057199. Cette recommandation royale met en évidence les liens qui

existaient entre le cardinal des Prés et le roi de Naples, Robert Ier d'Anjou.

764 Lettres communes de Jean XXII, n° 058434. Ce dernier bénéfice a été attribué le 22 février 1336 à Pierre de

Lalo, après que Pierre de Salavert l'ait résigné entre les mains du cardinal des Prés. Lettres communes de

Benoît XII, n° 002594.

765 Aucune mention de diplôme n'apparaît dans les différentes lettres pontificales qui le concernent, à l'exception du titre de « magister » dans la bulle de 1338 qui l'a nommé au prieuré de Montpezat.

766 Pierre de Salavert a ainsi signalé au cardinal des Prés le chapelain Jean Pébrini, accusé « d'avoir commis fornication », qui a été privé de sa stalle. Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 789, n° 46. La date de l'acte n'est pas précisée.

Ce n'est que le 27 juin 1342 que Clément VI transféra officiellement le siège de la paroisse dans la nouvelle collégiale. Ainsi, malgré les efforts réitérés de son dernier recteur, le cardinal des Prés a réussi à faire attribuer à sa nouvelle fondation la charge des âmes de Montpezat, au détriment de l'ancienne basilique mérovingienne. Grâce à ce changement, Pierre des Prés, via le prieur puis le doyen de Saint-Martin, qu'il nommait, prenait le contrôle de la paroisse de Montpezat. Cette dernière échappait de ce fait à la tutelle de l'évêque de Cahors. Certes, celui-ci se réservait bien un droit de veto à la nomination du titulaire de la cure montpezataise, mais cela restait de l'ordre du symbolique. Il n'a d'ailleurs jamais été revendiqué, les prélats cadurciens se rangeant systématiquement au choix du patron du chapitre collégial.

Le fait qu'une collégiale séculière à vocation funéraire soit devenue le siège d'une paroisse semble fort rare, et entraîne, nous le verrons, des conséquences non négligeables en terme d'aménagement liturgique. Saint-Pierre de La Romieu n'accueillait pas cette fonction curiale, installée dans l'église de la cité, qui dépendait de l'évêque de Condom. Il en allait de même pour Saint-Germain-les-Belles ou Villeneuve-les-Avignon. Quant aux monastères destinés à abriter les dépouilles des autres cardinaux, la question paroissiale ne se pose pas. À contrario, la collégiale Saint-Étienne du Tescou, ou les autres chapitres fondés par Jean XXII dans les nouveaux diocèses méridionaux étaient le siège de la cura animarum mais parce qu'ils remplissaient déjà cette fonction avant leur transformation en chapitres canoniaux. Pour Montpezat, le schéma est inverse : le chapitre est fondé puis la paroisse est transférée vers ce dernier, alors qu'elle aurait pu rester dans l'église titulaire, récemment consacrée en ce sens nous l'avons dit. Il s'agit bien là d'une preuve supplémentaire du désir du cardinal des Prés de prendre, via son chapitre, le contrôle spirituel de la cité qui l'avait vu naître. Mais cette volonté de réunir une communauté nouvelle et la paroisse sous une même gouvernance témoigne également du souci de Pierre des Prés d’éviter ainsi d’inévitables conflits entre les deux entités. Le cas de Montauban à la même période, où le chapitre cathédral entretient une véritable guerre ouverte avec la collégiale séculière de Saint-Étienne du Tescou et les couvents de Mendiants à propos du casuel de l’église Saint-Jacques et des offrandes lors des funérailles en est un exemple significatif768.

768 Les chanoines de la cathédrale réaffirment à de nombreuses reprises leurs prérogatives faces aux Mendiants et aux chanoines collégiaux. En 1359, une première échauffourée entre eux et les Cordeliers lors de funérailles n’entraîne qu’un simple rappel à l’ordre de la part du sénéchal. Mais en 1360, une véritable bataille rangée oppose les deux chapitres canoniaux, qui se termine par des morts et des blessés et une enquête du pouvoir royal et de l’officialité. Moureau, 2009, p. 197-211.