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BÂTIR EN PIERRE : DES PALAIS SUR CETTE TERRE ET UNE ÉGLISE

1. Palais et livrée : un cardinal bâtisseur

1.1 La livrée du cardinal de Palestrina

Créé cardinal au titre de Sainte-Pudentienne le 19 décembre 1320, nous l'avons dit, Pierre des Prés s'est vu assigner comme livrée, le 2 mars 1321, pour lui et ses familiers, une série de maisons situées entre le quartier de la Garlanderie et la commanderie de Saint-Antoine, au sein de la paroisse Notre-Dame-la-Principale. Cet ensemble foncier appartenait en 1318 au cardinal Jacques Colonna, qui y mourut cette année-là, avant de passer fugacement , après avoir été agrandi une première fois, entre les mains de Gaucelme de Jean, alors

vice-chancelier de Jean XXII812. Le descriptif précis de sa livrée est consigné dans un document

conservé dans les archives de la ville d'Avignon, et publié par le docteur Pansier813. Il appert

de cet acte que Pierre des Prés occupait un ensemble très disparate, qui regroupait à la fois des maisons entières et, la plupart du temps, des partie de demeures. Ainsi, par exemple le logis des héritiers de Raymond Lombard, chevalier, sans le cellier, la partie supérieure de la maison de Jacques Martin, la partie inférieure de celle de Bertrand Auribelli, les combles et la terrasse de la demeure de dame Ermine Urtice, voire une seule chambre dans la résidence de

812 Dyckmans, 1971, p. 394.

Raymond Fulconis ou une simple boutique à l'intérieur de celle des héritiers de Pierre Michel. Peu après sa nomination comme vice-chancelier en 1325, Pierre des Prés entreprit de quitter le quartier de la Garlanderie pour se rapprocher du palais apostolique, où sa nouvelle charge l'appelait quotidiennement. Il s'installa dès 1326 dans la paroisse Saint-Pierre, près de la rue Pelherie, au lieu-dit la Peyrière (fig. 43). Deux ans plus tard, il acquit auprès de dame Catherine, veuve de Ferrier Perrussole, juriste, une importante demeure avec ses annexes et

divers droits afférents814, pour la somme de 1600 florins d'or. L'acte d'achat fut reçu par

Guillaume de Lughat, notaire et proche familier du cardinal de Prénestre815. Pierre des Prés

utilisa cet emplacement pour bâtir de neuf un vaste palais, apte à le recevoir avec sa familia mais nécessaire également pour loger une grande partie des services de la Chancellerie

Pontificale816, car la place nécessaire à cet organe vital de la papauté ne semblait pas prévue et

surtout possible dans l'étroit palais du souverain pontife. Et curieusement, lorsque Benoît XII, puis Clément VI, entreprirent de rebâtir et d'agrandir le palais pontifical, la Chancellerie, contrairement à la Chambre Apostolique, n'y trouvera pas plus de locaux. Il semblerait bien que Pierre des Prés ait obtenu de conserver au sein même de sa livrée son service et les bureaux de ses proches collaborateurs, même si cela entraînait des allers et venues quotidiens et très nombreux entre les deux ensembles palatiaux.

Une description assez fidèle de sa demeure est possible817, grâce au document dressé

par les clercs chargés en 1359 de taxer la livrée du vice-chancelier818. Sa livrée possédait son

entrée principale au midi, sur les rues Draperie et Pelherie. À l'est, le domaine englobait une partie du cimetière de l'église Saint-Pierre, annexée par le cardinal sous le règne d'Innocent VI. Au nord, la livrée voisinait avec la résidence du maréchal de la cour romaine et à l'ouest elle trouvait sa limite avec la rue de la Miralherie.

Dans sa partie inférieure, le palais se composait des espaces domestiques et des dépendances. Il comprenait tout d'abord une galerie couverte, rue de la Pelherie, qui donnait accès à une cour également couverte, espace qui longe le tinel ou réfectoire de la demeure (fig. 44). Venait ensuite une grande salle ou « aula » qui mesurait 13 cannes de long, soit

814 Pansier, 1930, t. I, p. 120.

815 Pansier, 1930, t. II, p. 118.

816 Jugie, 2005, p. 386.

817 Il ne reste quasiment rien aujourd'hui de la livrée de Pierre des Prés, transformé aux XVIIe et XVIIIe siècles en hôtel particulier par la famille de Crochans. L'immeuble abrite aujourd'hui la Maison Jean-Vilar. Le docteur Pansier signale, en 1926-1929, « des restes d'arcs brisés de belle et grande architecture qui sont tout ce qui subsiste du tinel de la livrée de Thury » qui se voient « dans une cour étroite située entre la maison où était jadis le casino et la maison occupée par le Café de France, sur la place de l'Horloge ». Voir Pansier, 1926-1929-1930, t. I, p. 124.

818 Acte conservé aux archives départementales du Vaucluse, sous la cote G IX-3, f° 274-275 et publié par le docteur Pansier. Voir Pansier, 1930, t. II, p. 118-122.

environ 23 mètres. À l'intérieur de cette vaste salle se développaient la bouteillerie et la paneterie. Puis se rencontraient ensuite la cuisine, une petite pièce pour conserver le charbon de bois, une seconde servant de garde-manger, un appentis couvert pour remiser le bois et enfin une basse-cour. Côté rue de la Draperie, toujours dans la partie inférieure de la demeure, se trouvaient à nouveau une cour avec un puits, une cave pour 60 bouteilles, un cellier pour 38 bouteilles, des greniers à blé, une grande chambre avec un grenier, une réserve avec une petite chambre au-dessus, une chambre pour le cuisinier et des latrines. Un promenoir ou galerie supérieure couverte se situait au-dessus du puits, sur lequel s'ouvraient également deux chambres avec une demi-terrasse et une petite chambrette avec terrasse également.

La partie haute du palais comprenait la partie résidentielle de la demeure. En tout premier venait la chapelle privée du cardinal, avec une chambre. Le reste des appartements était accessible par un grand degré, qui jouxtait la cuisine et qui s'ouvrait via un grand portail. Cette domus mesurait 8 cannes de long, soit un peu plus de 14 mètres. À l'intérieur, se rencontrait en premier une petite pièce dite camere de deux cannes de long et six palmes de large, soit environ 3,60 mètres de long sur 1,60 mètres de large. Tout contre se trouvaient des latrines, qui s'ouvraient au moyen d'une petite porte. Elles étaient construites au-dessus de celles qui jouxtaient la cuisine. Une venelle devait en principe longer cette partie du palais, afin d'évacuer les immondices.

La grande chambre de parement venait après. Elle permettait au cardinal des Prés de recevoir ses visiteurs, que ce soient d'autres cardinaux, évêques ou clercs, mais également toute personne laïque qui souhaitait le rencontrer. Cette salle d'apparat était très certainement tendue de tentures ornementales, mises en place par le fourrier du cardinal avant chaque

audience819. Un ensemble de tapisseries qui a appartenu à Pierre des Prés est connu via son

testament : il s'agissait de la Création du monde820. Peut-être ont-elles orné à un certain moment les murs de la chambre de parement de sa livrée ? Contre cette pièce de réception était située la chambre privée du prélat, dite camera secreta, une autre pièce appelée camera

pro studio ou cabinet de travail, une garde-robe et enfin une petite pièce équipée de latrines.

Ces trois dernières pièces constituaient l'appartement réservé au seul usage du cardinal des Prés, accessible à ses familiers les plus fidèles, tels son intendant ou son chapelain, ainsi qu'à sa parentèle.

819 Voir Vingtain, 1998, p. 129, qui précise, en parlant de la chambre de parement du palais de Benoît XII, que « tout palais, toute livrée cardinalice possédait à cette époque-là une chambre de parement, dont l'origine étymologique est à rechercher dans les ensembles de tapisseries ornementales tendus sur les murs ».

Nous trouvions ensuite une grande salle de 16 cannes de long environ, soit près de 30 mètres, située à l'extrémité du palais. Il s'agissait certainement du grand tinel ou réfectoire mentionné près de la rue de la Pelherie.

Une tour, dans laquelle se développaient trois appartements, surmontée d'une terrasse venait fermer l'ensemble.

Le plan de la livrée de Pierre des Prés est conforme à l'organisation-type des palais

avignonnais définit par Marc Dyckmans821. Jean-Louis Vayssettes et Bernard Sournia

supposent que cet aménagement est largement inspiré par le plan du château de

Pont-de-Sorgues, construit en 1319 pour Jean XXII822. Il montre toutefois que le cardinal de Palestrina

a édifié en quelques années une vaste demeure, propre à accueillir à la fois ses appartements ainsi qu'une partie des espaces utiles à ses collaborateurs au sein de la Chancellerie pontificale.

Aucune information n'est donnée sur le décor intérieur de cette livrée, qui devait comporter des décors muraux au moins dans les appartements privés et la grande chapelle, à l'imitation du palais apostolique ou d'autres livrées dont certains décors sont aujourd'hui connus, comme ceux du palais Ceccano. L'inventaire dressé en 1436 du trésor de la collégiale de Montpezat, ainsi que le testament du cardinal, rédigé en 1360, permettent d'avancer que la grande chapelle était ornée d'objets mobiliers précieux de diverses natures : tentures multicolores aux armes du cardinal, tableaux peints sur bois, reliquaires, calices et multiples ornements liturgiques. Un tel luxe paraît normal pour un des cardinaux les plus puissants de la Curie, habitué à recevoir de nombreux familiers et courtisans dans sa chapelle, ainsi que les membres du Sacré-Collège, des ambassadeurs étrangers voire le pape en personne.