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4.2 L'organisation et le fonctionnement du chapitre

A. Héritage familial et achats de rentes

Pierre des Prés, dès lors qu'il a envisagé de créer une communauté de religieux pour veiller sur son futur tombeau, s'est astreint à constituer autour de Montpezat une assise foncière importante, avec des revenus réguliers qui devaient assurer à ses chapelains un moyen d'existence au quotidien.

Le procès de 1506, ou plus exactement le rédacteur de l'argumentaire juridique de Jean des Prés, a rappelé dans son plaidoyer la manière dont le cardinal de Palestrina s'y est pris. Tout comme pour la fondation de son chapitre collégial, le prélat a pris son temps et a procédé par étapes.

Le 1er septembre 1323, le cardinal obtenait du pape Jean XXII le droit de fonder dans

l'église Saint-Martin un certain nombre de chapellenies et d'acheter des dîmes inféodées à des laïcs jusqu'à la concurrence de 100 livres tournois675.

Le 19 octobre 1324, le recteur de la paroisse de Montpezat, Bertrand de Garnel, et l'évêque de Cahors, autorisaient Pierre des Prés à acquérir en effet des dîmes auprès de laïcs, pour cette même somme de 100 livres tournois, pour l'œuvre - ad opus - des chapellenies qu'il souhaite créer au sein de cette église676 (fig. 34 et 35).

675 La mention de cette lettre pontificale se retrouve dans l'inventaire des archives du chapitre collégial, dressé en 1626 (Arch. Dép. Tarn-et-Garonne G 789, article 16) mais n'apparaît pas dans les lettres publiées de Jean XXII.

676 L'original est conservé aux archives départementales de Tarn-et-Garonne, sous la cote G 783. L'acte précise que le notaire qui l'a dressé, Arnaud de Fabrica, a été sollicité par Raymond des Prés, frère du cardinal.

Malgré ces deux autorisations, le cardinal des Prés ne s'est pas de suite lancé dans une politique d'acquisition de ces dîmes. Il s'est au contraire concentré sur la réunion de terres familiales.

Dès 1326, il obtint de son frère Raymond, qu'il venait tout juste de faire anoblir par le roi de France, le don pour son projet de nombreuses rentes tant « en argent, blé, droits

d'acaptes et féodaux », qui provenaient de leur père et de leur mère677. Il semble que ces biens

s'étendaient sur les territoires de Montpezat, de Piquecos, de Puylaroque et de Mirabel, car en 1329, à la suite du décès de son frère Raymond, Pierre des Prés a institué comme procureurs

Bertrand Agasse678 et Bertrand Johannis pour le représenter lors du règlement juridique entre

lui et ses neveux pour le partage du patrimoine familial. Un second document, daté du 18

mars 1329679, précise que le cardinal des Prés s'est trouvé héritier de la moitié des biens

familiaux, en concurrence avec ses neveux Bertrand et Guiraud. Il a procédé à un échange de rentes avec son parent Bertrand des Prés, car, nous précise la source de 1506, « le cardinal veut doter et fonder six chapellenies dans l'église Saint Martin avec ses rentes à Montpezat mais elles sont mal aisées pour mestre audit collège ». Ce terme de « mal aisées », qu'il convient de mettre en miroir avec les rentes échangées, qui sont, elles, « plus aisées », semble en toute logique renvoyer à des revenus fonciers assis sur des terres localisées assez loin de

Montpezat : Mirabel680 ou Piquecos681 très certainement. Pierre des Prés, et cela paraît logique,

a souhaité regrouper le patrimoine terrien de sa future fondation, en le concentrant autour du village et dans la seigneurie de Montpezat. Les biens ainsi dévolus s'avéraient plus aisés à surveiller et leurs produits plus facilement amenés dans les greniers du chapitre.

Cette même année 1326, un certain Pierre des Prés - parent du cardinal ? - lui a vendu pour 23 livres tournois de diverses rentes sises sur des maisons et un jardin, au

territoire de Saint-Pasteur682. Un autre membre de la famille des Prés, dont là encore, nous

677 Arch. dép. Tarn-et-Garonne, G 1282. Ce don, précise le document, a été retenu par Arnaud de Fabrica, notaire de Montpezat. L'original est aujourd'hui perdu.

678 Bertrand Agasse, issu d'une famille de chevaliers de Rabastens, est un neveu par alliance de Pierre des Prés, car il est le beau-frère de son neveu Bertrand des Prés.

679 L'analyse donné par l'acte juridique de 1506 indique l'année 1328 pour le partage familial, ce qui n'est pas possible car Raymond des Prés est décédé en 1329. Il s'agit d'un oubli du décalage sur l'année qui existait alors, le premier jour du nouvel an tombant le 25 mars. L'acte a donc bien été passé le 19 mars 1329 en suivant le nouveau style.

680 Commune de Tarn-et-Garonne, située à une quinzaine de kilomètres de Montpezat.

681 Commune de Tarn-et-Garonne, située à une trentaine de kilomètres de Montpezat, sur les bords de l'Aveyron. Le petit-neveu de Pierre des Prés, Raymond-Arnaud des Prés, a acheté la motte de Piquecos en 1362.

682 Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 789, article 79. Il s'agit de 10 sous de rente sur une maison dus par Bernard de Montial ; 8 sous sur une maison par Bernard dit Guilhot ; 12 sous sur une maison par Pierre Midones ; 8 sous et une poule pour un jardin par Bernard Cayla.

l'avons dit, le degré de parenté avec Pierre n'est pas établi, prénommé Hugues, lui cède en 1328 plusieurs vignes et jardins au même endroit, et ce pour la somme exorbitante de 200

livres tournois683, alors même que trois maisons avaient coûté le dixième de cette somme deux

ans auparavant. La question se pose de l'utilisation de ces achats : s'agit-il en effet de constituer un bien-fonds et donc de continuer à percevoir les rentes sises sur ces terres et maisons, ou bien, vu la somme dépensée par le cardinal pour le dernier achat, ne pourrait-il point s'agir plutôt de terrains propices à la future construction de la collégiale Saint-Martin ? Le territoire de Saint-Pasteur s'étendait en effet depuis le bas de la garenne seigneuriale jusque vers la porte du même nom, en contrebas du faubourg dit del Pla et du « barry gelat ». De plus, ces terres ne semblent pas se retrouver dans les livres d'arrentements des biens du

chapitre, conservés du XVIe au XVIIIe siècle. Enfin, dernier argument en faveur de cette

hypothèse : le cardinal a acheté cette même année 1328 une rente d'une quarte et demi de froment due pour une terre, des maisons et des dépendances, situées à « Dellac », pour la somme de 9 livres et 5 sous tournois684. Ce dernier achat, qui comporte des bâtisses, représentait une valeur beaucoup plus importante que les vignes et prés acquis pour 200 livres. Le cardinal avait donc besoin d'acheter à n'importe quel prix – et sa fortune le lui permettait – l'espace nécessaire à l'édification de sa collégiale.

Cette politique d'achat de terres et de rentes est poursuivie par le cardinal de Palestrina dans les années suivantes. En septembre 1330, il a obtenu du roi de France Philippe VI des lettres patentes qui l'autorisaient à acquérir jusqu'à 50 livres tournois de rentes perpétuelles, sur des terres et des biens localisés n'importe où dans le royaume, et ce car « il entent a fonder et instituer en nostre roiaume de france certaines chapeleries pour le remede de larme de lui » (fig. 36). Cette même grâce royale lui a octroyé l'exemption de toute forme

d'impôt sur ces rentes et ce à perpétuité685. La faveur du souverain n'a rien d'exceptionnel. Le

roi Philippe VI l'a accordée à de nombreuses reprises, et pour des raisons similaires, tant à des

ecclésiastiques, quel que soit leur rang, qu'à des seigneurs laïcs686. Il s'agit là d'une étape dans

683 Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 789, article 80. Il s'agit de 16 setiers de vin par an, dus par Jean Fambi pour deux vignes ; 12 sous dus par Guillaume de Lagarrigue pour une vigne ; 6 deniers dus par Arnaud Duran pour une vigne ; 6 deniers et une paire de gélines (poules) dus par Arnaud de Fabrica, notaire, pour trois jardins ; une quarte de froment due par Guillaume Cayla pour un jardin ; une quarte de froment due par Jean de Monjoy pour un jardin.

684 Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 789, article 78.

685 Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 785, expéditions originales des lettres patentes, données à Villers-Côterets. Le grand sceau royal est absent.

686 Les exemples surabondent dans les registres du Trésor des Chartes (voir Registres du Trésor des Chartes, t. III, 1979). Ainsi, en mars 1335, le roi autorise Jean, sire d'Harcourt, chevalier, à acquérir 120 livres tournois pour « qu'il puisse établir un certain nombre de personnes pour assurer le service divin et prier pour lui et les siens » ( p. 3, n° 3121) ; en mars 1336, même grâce pour Philippe, comte d’Évreux et roi de Navarre, pour

la constitution du patrimoine du futur chapitre collégial, une sorte de passage obligé ou pour le moins de grâce habituelle qui se devait d'être demandée et obtenue.

Il s'est passé encore trois années avant que le cardinal des Prés ne franchisse un nouveau degré dans la litanie des biens fonciers destinés à ses chapelains. Le 17 août 1333, il a échangé avec l'Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem d'importantes rentes sises à Montpezat et aux alentours, contre des biens qu'il possédait en Provence. Le détail de cette

transaction est fourni par l'inventaire de 1626687. Pas moins de 40 feudataires sont mentionnés

et répertoriés, pour des terres, des maisons et des jardins. A ceux-ci s'ajoutent une « maison » et une grange au lieu-dit Saint-Vincent de Perges. Par ce terme de « maison », faut-il entendre une sorte de dépendance d'une commanderie plus importante ?

Ce qui paraît certain, c'est que la maison et la grange de Saint-Vincent de Perges ont

appartenu à l'oncle du cardinal, lui-aussi prénommé Pierre. Le juriste de 1506688 mentionne en

effet un acte de 1286 qui confirmait la permutation faite pour des biens à Saint-Vincent par Pierre des Prés contre d'autres biens non précisés, avec Pons de Broset, chevalier du Temple et Maître de Provence689. L'ordre des pauvres chevaliers du Christ aurait ainsi acquis cette

maison de Saint-Vincent, pour la rattacher à l'une de leurs commanderies quercynoises690, qui

serait ensuite passée, après la confiscation des biens des Templiers, entre les mains de l'ordre des Hospitaliers. Et cinquante ans après ce premier échange, le cardinal des Prés agissait à l'inverse de son oncle et récupérait ce domaine.

Entre 1333 et 1338, Pierre des Prés a acquis à nouveau de très nombreuses rentes foncières, toutes destinées à ses chapelains. Les lieux et objets précis de ces obligations ont été consignés dans plusieurs actes, datés des 17 et 18 mars 1338. Toutes ces redevances se payaient en nature – éminées ou quartes de froment – ou bien en espèces – sous de Cahors, voire les deux dans certains cas. Tous les biens se trouvaient concentrés dans un rayon d'une dizaine de kilomètres au maximum autour de Montpezat. Il s'agissait de prés, de jardins, de

l'entretien de cinq frères chapelains qu'il a fondés au sein du couvent des Chartreux de Paris (p. 3, n° 3122) ; en juillet 1336, même grâce pour Giraut de La Trémoulière, clerc, pour la somme de 20 livres tournois, pour fonder une ou deux chapellenies (p. 4, n° 3127) ; en avril 1337, idem pour Pierre de Jean, neveu du cardinal Gaucelme, évêque de Carcassonne, pour 40 livres tournois de rentes (p. 32, n° 3344) ; en mai 1337, amortissement de 40 livres tournois de rente pour Hugues de Cardaillac, écuyer, que son père Bertrand avait données à plusieurs chapelains pour prier pour le repos de son âme et de celles de ses prédécesseurs (p. 36, n° 3372).

687 Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 789, article 22.

688 Arch. Dép. Tarn-et-Garonne, G 1282.

689 Pons de Broset est mentionné comme Maître de Provence entre 1280 et 1292.

690 Parmi les commanderies les plus proches de Montpezat figuraient celles de Montricoux et de Lacapelle-Livron. Florent Hautefeuille penche pour un rattachement à la commanderie de Saint-Hugues, sur l'actuelle commune de Puylaroque. Voir Hautefeuille, p. 1172-1173.

terres, de vignes pour l'essentiel, parfois de maisons, exploités par 44 feudataires691. Toutefois, ce chiffre ne regroupe que les tenanciers des biens dévolus aux chapellenies de Notre-Dame, de saint-Martin et de saint-Pierre, dont les actes ont été inventoriés en détail en 1626. Une série de reconnaissances datées de 1346 permet de comprendre que les biens échangés avec

les Hospitaliers en 1333 ont été attribués aux autres chapellenies du chapitre collégial692. Ce

dernier était le seigneur direct d'environ 90 tenanciers autour du village.

Après cette date, les achats de biens s'avèrent très rares : une maison en 1349 et des terres, prés, vignes, bois et maisons en 1350. Il faut certainement voir dans cet arrêt des acquisitions par le cardinal l'assurance que les biens-fonds ainsi constitués suffisaient à subvenir aux besoins des chapelains.

Les exécuteurs testamentaires du cardinal Hugues Roger avaient prévu des dispositions plus originales pour assurer des revenus réguliers aux chanoines du chapitre collégial séculier, fondé par leurs soins à Saint-Germain-les-Belles en lieu et place d'une communauté similaire

à Villeneuve-les-Avignon693. Ils avaient en effet choisi de donner le palais et les domaines

avignonnais du défunt cardinal au monastère de Saint-Martial de Limoges, à charge pour les

religieux de reverser une pension annuelle aux chanoines séculiers694.