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CARRIÈRE ET LIGNÉE

2. Le vice-chancelier de l’Église Romaine

2.1 Les fonctions du vice-chancelier

Depuis Honorius III (1216), la charge de vice-chancelier n'est pas réservée à un cardinal mais cette fonction est une des voies possibles pour accéder à la pourpre. Les titulaires se succèdent à un rythme relativement soutenu : vingt personnes différentes entre 1216 et 1305, soit une moyenne d'un peu plus de quatre années d'exercice par vice-chancelier. Jusqu'en 1325, les papes continuent de récompenser par l'octroi du chapeau rouge les titulaires de la charge de la Chancellerie pontificale, dans la lignée de leurs prédécesseurs. Pierre Arnaud, abbé de Sainte-Croix (1305-1306), Arnaud Nouvel (1307-1316), Gaucelme de Jean (1316-1319) puis Pierre Tessier (1319-1325) prennent en main les services de la Chancellerie puis intègrent le Sacré-Collège, quelques semaines au mieux, quelques années au plus après leur prise de fonction. Cette situation change en 1325 lorsque Pierre des Prés, cardinal depuis décembre 1320, est désigné par Jean XXII pour remplacer le vice-chancelier en titre, Pierre Tessier, tout juste décédé. C'est la première fois qu'un cardinal titulaire est nommé à la tête de la Chancellerie, si l'on excepte le court précédent de la régence de Bertrand du Pouget durant l'absence de Gaucelme de Jean, entre mars 1317 et novembre 1318. Comme l'écrit Pierre Jugie, à la suite de Bernard Guillemain, « le choix de 1325 marque donc un tournant dans l'histoire de la Chancellerie de la fin du Moyen Âge ».

La nomination de Pierre des Prés ne doit rien au hasard, surtout lorsque l'on connaît la politique calculée de Jean XXII. Le cardinal de Palestrina est devenu en peu de temps un très proche de l'entourage pontifical. Il est certes très - trop ? - discret. Depuis la remise de sa pourpre, il semble agir dans l'ombre, à la fois de son maître, le pape, et de son mentor et ami,

Ad secundum videtur michi quod nil certum est per Sanctitatem Vestram offerendum nisi quod predecessori dicti domini regis, oblatum extitit, sed quod dubia et incertitudines dicte ordinationis per solennem nuntium seu nuntios certificare ut plenius Sanctitas Vestra deliberare valeat in eisdem.

le cardinal Pierre Tessier. Ce dernier est vice-chancelier depuis 1319, nous l'avons vu, mais il semble bien qu'il soit suppléé dans sa tâche, de manière non-officielle en tout cas et peut-être occasionnellement, par Pierre des Prés. C'est tout au moins l'hypothèse de Monseigneur Baumgarten, fin connaisseur de l'histoire de la Chancellerie pontificale. Ce gouvernement en duo n'est pas plus surprenant que cela : Pierre Tessier est docteur en droit canon et Pierre des Prés possède un doctorat en droit civil. L'un et l'autre droit sont ainsi représentés. La Chancellerie pontificale, nous l'avons vu, s'occupe de traiter des affaires qui demandent des compétences accrues dans ces deux domaines. L'équipe formée par ces deux cardinaux pourrait avoir été voulue par Jean XXII pour reprendre en main ce service, qu'au demeurant le pape connaît lui-même fort bien, puisqu'il a été le suppléant du titulaire Arnaud Nouvel, entre juin 1312 et mars 1314. Pierre des Prés est donc au fait du gouvernement de cet important service de la Curie pontificale. Mais il en connaît également le fonctionnement interne, puisqu'il a occupé la charge d'auditeur des Causes du Sacré Palais puis celle d'auditeur des lettres contredites peu avant son élévation au cardinalat. Il a donc expérimenté de près les services qu'il est amené à diriger. Il semble là encore que ce soit une première parmi les anciens titulaires de cette charge, au moins depuis 1305.

Le vice-chancelier était à la tête de la Chancellerie pontificale. Elle comprenait les divers bureaux qui géraient l'expédition des lettres pontificales. Cette dernière avait subi au

XIIIe siècle une double évolution : une spécialisation dans les affaires traitées d'une part,

accompagnée d'autre part d'une augmentation très importante de son activité, qui se traduisait par un accroissement exponentiel des lettres expédiées. Il devint nécessaire d'augmenter le nombre de personnel affecté aux différents bureaux, mais ceci eut pour corollaire de leur donner un caractère de plus en plus technique.

Le vice-chancelier, contrairement au Camérier124, n'agissait que sur mandat spécial

du pape et ne disposait pas d'une liberté d'action significative. Ainsi, la nomination du personnel qui travaillait sous ses ordres ne lui appartenait pas. Il devait prêter serment devant le pape de ne commettre, directement ou indirectement, aucune injustice ou fraude dans l'expédition des lettres pontificales, de n’accepter aucune gratification en échange de ces dernières voire de se conférer à lui-même, à l'un de ses subalternes ou à quiconque d'autre des bénéfices sans l'accord du souverain pontife.

Depuis le pontificat de Clément V, le vice-chancelier examinait, de droit, les candidats à la fonction de notaire apostolique, qui allaient exercer au sein de la Curie. Il leur

délivrait des certificats d'aptitude et recevait leurs serments. Le vice-chancelier recevait également les résignations de bénéfices. Enfin, en cas de litige sur l'expédition d'un document pontifical, c'était le vice-chancelier qui présidait le conseil de délibération qui instruisait l'affaire.

Le vice-chancelier dirigeait sept bureaux : les suppliques, les examens, la minute, la grosse, le registre et le sceau.

Le bureau des suppliques recensait les lettres de grâce, y compris in forma

pauperum, ou de justice accordées par le pape au demandeur qui avait au préalable déposé

auprès de lui, via un cardinal, le Camérier ou un des notaires, une supplique. Le souverain pontife notait sur l'original sa réponse, la plupart du temps le mot fiat, suivi d'une initiale spécifique à chaque pape. Le vice-chancelier validait à son tour la supplique par l'expression

concessum, puis la transmettait à un abréviateur pour rédaction de la bulle correspondante. Le

vice-chancelier inscrivait un « R. » pour le verbe latin recipe, suivi du nom de l'abréviateur en

charge du dossier et de son propre nom125. Pierre des Prés écrivait la formule « P. Pen. » pour

Petrus Penestrinus126 au bas des suppliques, un employé ajoutait la date de la décision pontificale. Le bureau des suppliques notait ensuite dans un livre dit de vacantibus le nom du suppliant, le jour de l'arrivée de sa requête. La pièce était enregistrée définitivement lorsque l’intéressé ou son représentant venait la réclamer. Ainsi, le vice-chancelier se trouvait certainement sollicité par de nombreux prélats, cardinaux et évêques surtout, pour que leurs protégés, via son blanc-seing, accèdent à des bénéfices. Il semble que Pierre des Prés ait résisté à cette pression. Le sermon qu’il prononça le quatrième dimanche de l’Avent, entre 1325 et 1360, devant le pape et les cardinaux, dans lequel il dénonçait les travers des prélats

envieux et les basses flatteries de leur entourage127, conforte cette hypothèse et renforce l’idée

d’un homme droit.

Le bureau des examens, comme son nom l'indiquait, servait à faire subir un entretien de capacités pour tout clerc qui, n'étant pas docteur, licencié ou maître-es-arts, prétendait à l'obtention d'un bénéfice curial. L'examen en lui-même portait sur la lecture, le chant et le style.

125 Van Moe, 1931, p. 256.

126 Emile Van Moe a publié en 1931 une liste de suppliques originales, adressées à plusieurs papes d'Avignon. Parmi celles-ci, quatre conservent la signature de Pierre des Prés, pour les années 1333, 1347 et 1360. Voir Van Moe, 1931, p. 260-276.

127 Le sermon, non daté, est un commentaire de la phrase d’Isaïe Vox clamantis in deserto ainsi qu’une lecture du chapitre 3 de l’évangile de Luc, « Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers ». Le texte est conservé à la bibliothèque épiscopale de Valencia, ms. Lat. 215, fol. 1ra-5vb. Jugie, 2010, p. 388.

Le bureau de la minute regroupait les abréviateurs en charge des suppliques, qui résumaient la teneur des futures bulles et les transformaient ainsi en rescrits. Ce sommaire s'appelait une minute. Une fois rédigée, cette dernière passait au bureau de la grosse.

Dans ce bureau, étaient rédigées sur parchemin les bulles définitives avec les formules et les clauses propres à la chancellerie pontificale. Sous Jean XXII, 70 scribes accomplissaient cette tâche, sous la férule d'un distributeur des minutes à grossoyer, qui répartissait entre eux le travail à accomplir dans les six jours. De la grosse, le rescrit pontifical passait entre les mains du correcteur. Cet important fonctionnaire révisait la grosse, examinait les documents fournis par les solliciteurs d'indults, vérifiait la concordance entre les lettres exécutoires et la faveur demandée et comparait la grosse avec la minute pour éviter les erreurs. Lorsqu'un scribe commettait une faute, qui entraînait une nouvelle expédition d'une bulle, il perdait son salaire. Enfin, ce travail achevé, le correcteur divisait les lettres de grâce en deux catégories, suivant l'importance du destinataire et la teneur du document : les litterae

legendae et les litterare communes. Les premières devaient être lues devant le pape et les

secondes uniquement devant les auditeurs des lettres contredites.

Les bulles étaient ensuite envoyées au bureau du sceau. Là, deux employés128, dits

bullateurs, frères convers de l'abbaye cistercienne de Fontfroide129, dans le diocèse de Narbonne, s'occupaient d'appliquer, sur des lacs de soie ou de chanvre, la bulle en plomb qui comportaient sur l'avers les têtes des apôtres Pierre et Paul et sur le revers la titulature du pape régnant. Ils étaient nommés directement par le pape à vie et occupaient des maisons particulières servies par un cuisinier, des sergents et des valets.

Enfin, dernière étape, les lettres pontificales étaient enregistrées au bureau du registre par des « registreurs » sur de grands in-folio destinés à cet usage. Le nombre de

volumes annuels s'accrût de manière significative : il était devenu annuel à la fin du XIIIe

siècle mais sous Jean XXII, il fallut deux registres dès la dixième année, trois à partir de

l'année suivante et quatre pour les dernières années du règne130.