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CARRIÈRE ET LIGNÉE

C. Les ultimes missions sous Innocent VI

5. Bâtir sa lignée

5.4 Les petits-neveux : un rameau vivant à tout prix

Le fils aîné de Giraud et de Gausserande, Pierre-Raymond des Prés (fig. 23), embrassa très jeune la carrière ecclésiastique : à douze ans, par le truchement de son grand-oncle le cardinal, il était pourvu d'un canonicat sous expectative à Cahors le 31 mai 1342, puis le 15 avril 1343 la dignité de chancelier dans cette même église, laissée vacante par la

promotion à l'épiscopat de Genève de son parent Geoffroy de Vayrols400. En plus de cela, il

obtint l'église de Lavardens, dans le diocèse d'Auch, toujours en 1343, puis divers bénéfices dans le même diocèse entre 1345 et 1346, et des dîmes dans le diocèse de Comminges en

1347401. L'année suivante, Pierre-Raymond devint chanoine de Furnes, dans le diocèse de

Thérouanne et chanoine de Reims402. Cette même année 1348, le pape Clément VI lui accordait trois ans d'indulgence pour percevoir les revenus de ses bénéfices tout en étant

étudiant403, un privilège reconduit le 1er février 1349 pour une durée de cinq années avec la

possibilité d'étudier le droit civil où il le désirait404. Lorsque son oncle Pierre fut nommé

évêque de Castres, le cardinal de Palestrina sollicita pour lui qu'il le remplaça dans

l'archidiaconé de Rivières405. Mais, suite à la mort de son père, Pierre-Raymond des Prés

résigna en 1349 tous ses bénéfices ecclésiastiques qui furent répartis entre ses frères. Il rentra dans le siècle et fut même armé chevalier, puisque c'est sous ce titre qu'il est mentionné dans une supplique au pape du mois de mars 1353, dans laquelle il sollicite des bénéfices pour

certains de ses parents ou amis406. Une telle décision s'explique, outre la mort de son père, par

le décès subit de ses oncles Bertrand et Jean, ainsi que celui de son cousin Bertrand, morts

397 Registre du trésor des chartes, t. II, JJ 65 à 69, 7071 p. 152.

398 Albe, 1905, p. 245-246.

399 Albe, 1905, p. 245-246.

400 Albe, 1905, p. 248.

401 Albe, 1905, p. 248.

402 Albe, 1905, p. 248.

403 Reg. Aven., A43 fol. 3v

404 Reg. Aven., A45 fol. 293 v°.

405 Albe, 1905, p. 248.

prématurées dues à la peste noire. Pour éviter l'extinction de la lignée masculine, mieux valait-il quitter les ordres sacrés et rentrer dans le monde afin d'assurer la croissance d'un nouveau rameau à l'arbre familial dont la jeune pousse pouvait encore à tout moment disparaître. La résignation des bénéfices ecclésiastiques de Pierre-Raymond n'a certainement pas été décidée sans l'aval du cardinal des Prés, voire fut-elle même prise à son instigation.

Las, Pierre-Raymond fut à son tour fauché dans son plus jeune âge : il est mentionné

comme défunt en novembre 1353407, alors qu'il n'avait que 23 ans.

Pour le cardinal, ce nouveau décès constituait un autre échec et un risque accru de voir

ses efforts de construction de sa lignée vains, sa famille disparue et son nom perdu408. En

l'espace d'une année, quatre descendants mâles s'éteignaient brusquement, certainement victime de la « grande mortalité ». Il ne restait au cardinal de Palestrina qu'une solution : agir comme il le fît pour Pierre-Raymond. Un second petit-neveu, prénommé Raymond-Arnaud (fig. 24), avait embrassé l'état ecclésiastique. Grâce à son grand-oncle, il avait accumulé lui-aussi les bénéfices, succédant entre autre en 1349 à son frère Pierre-Raymond comme

archidiacre de Rivières dans le diocèse de Comminges409. Pour relever le nom et donner à

l'arbre familial naissant une nouvelle tige verdoyante, il convenait que Raymond-Arnaud prit la suite de ses frères et quitta l'état de clerc pour rentrer dans le siècle. En février 1354, soit quelques mois à peine après la mort de son puîné, il était qualifié de sire et capitaine de

Montpezat, preuve de sa réduction à l'état laïc410. Il épousa Anglésie d'Aure (fig. XX), fille

d'Odon II d'Aure, vicomte de Larboust et d'Alpaisie de L'Isle-Jourdain. Ils eurent au moins un fils, Bertrand (fig. XX). Grâce à cette union avec un très ancien lignage pyrénéen, il devenait le proche parent de puissants seigneurs du Midi : les comtes de L'Isle-Jourdain, les comtes de Foix, les Durfort ou les comtes de Comminges.

Raymond-Arnaud des Prés devint l'héritier universel de son grand-oncle le cardinal, comme il appert du testament de ce dernier, établi en 1360. Ceci prouve qu'à cette date, il ne subsistait plus qu'un seul petit-neveu et héritier de la lignée directe des des Prés. Grâce à cet héritage plus que substantiel, le seigneur de Montpezat put entreprendre d'agrandir le

407 Le 22 novembre 1353, sa veuve, Jeanne de Villemur, demanda pour elle une bulle d'indulgence in articulo

mortis. Voir Albe, 1905, p. 248-249.

408 Jérôme Luther Viret précise que la sucession masculine tombe en quenouille dans 20% des cas environ, faute de descendants mâles, et en déshérence dans des proportions similaires, faute de successeurs. Viret, 2014, p. 154.

409 Albe, 1905, p. 249.

410 Albe, 1905, p. 249 et Galabert, 1918, p. 62. Ce dernier donne le texte de 1354 : il s'agit d'une quittance destinée au trésorier du Jean comte d'Armagnac, lieutenant du roi en Languedoc, pour reçu des gages de sa compagnie d'hommes d'armes destinée à garder Montpezat.

patrimoine familial. Car sinon, comment expliquer l'achat qu'il fît de la plus grande partie de

la seigneurie de Piquecos au vicomte de Monclar411 ? Même si la somme exacte n'est pas

connue, l'étendue et l'importance de ce fief a nécessité d'importants moyens financiers, qui ont dû être apportés grâce à la dévolution du patrimoine du cardinal. Raymond-Arnaud a conclu cette affaire dans le verger du marchand montalbanais Barthélémy Bonis, qui précise d'ailleurs que l'épouse du vendeur, la vicomtesse de Monclar, reçut alors une robe d'une valeur de 30 florins d'or. Les livres de comptes de ce marchand, conservés entre 1345 et 1365, constituent une preuve du changement de statut de Raymond-Arnaud : il n’apparaît pas antérieurement à 1361 comme client et débiteur de Bonis, soit avant qu'il n'héritât de l'énorme fortune de son oncle. Par contre, dès après cette date, le seigneur de Montpezat dépensa très largement dans la boutique de Bonis : riches vêtements à la dernière mode, accessoires

précieux et cadeaux luxueux, ainsi que prêt d'argent pour des sommes conséquentes412. Il est

clair que l'héritage qu'il fît lui permis de devenir en très peu de temps l'un des plus riches seigneurs du Quercy et de se hisser ainsi encore plus avant dans l'échelle sociale. Outre Piquecos, Raymond-Arnaud échangea avec le comte d'Armagnac la seigneurie de Puylaroque contre celle de Tournay, qui lui venait de son épouse. Par cette dernière acquisition, il confortait son assise territoriale en Quercy et contrôlait de vastes domaines situés entre Cahors et la baronnie de Caussade d'une part et les portes de Montauban d'autre part.

Raymond-Arnaud des Prés a accompli les desseins de son grand-oncle le cardinal de Palestrina. Seul survivant de son lignage, il a survécu aux guerres et aux épidémies, donné de nouvelles tiges à l'arbre familial et fait croître le patrimoine foncier. La fortune aidant, il devint l'un des seigneurs incontournables de la province. Ses descendants n'eurent de cesse que d'agir de même et de porter encore plus haut le nom et les armes des des Prés : Pierre a été nommé chambellan du roi Charles VII ; Antoine accompagna Charles VIII dans ses guerres d'Italie et mourut en 1495 de blessures reçues à la bataille de Fornoue ; son petit-fils

Antoine, capturé à Pavie, fut ambassadeur de François Ier en Angleterre, puis créé maréchal de

France en 1543 ; Melchior, son fils, un courtisan remarqué, qui, par son mariage avec

411 Cette acquisition a été complété par le don du quart de la justice à Piquecos et à Cos par le roi de France en février 1368. Le fils de Raymond-Arnaud, Hugues des Prés, acquit le reste de la seigneurie en 1419. Voir Forestié, 1903, p. 219.

412 Raymond-Arnaud acheta ainsi en mars 1363, une ceinture garnie de perles et d'argent pour 14 florins d'or ; le 10 mai 1363, un hanap d'argent doré, avec son plateau, pesant plus d'un kilogramme et demi, et d'une valeur de 28 florins d'or, en guise de cadeau pour le baptême d'un filleul du seigneur Hugues de Cardaillac-Bioule. Voir Moureau, 2012, p.

Henriette de Savoie-Villars413, intégra la famille royale de France414, devint ambassadeur du roi auprès la cour de Vienne, puis gouverneur de Guyenne et de Gascogne ; Henry, enfin, maire de Bordeaux, conseiller d’État, maréchal de camp, grand serviteur royal, qui mourut en

1619. Avec lui s'éteignit toutefois la lignée des des Prés415. Le nom disparut mais les armes

subsistèrent au sein de l'écu de leurs successeurs - et parents par les femmes - à Montpezat, les Mitte de Chevrières, puis les Saint-Chamond.

Les efforts du cardinal des Prés pour bâtir une noble lignée ne furent pas déployés en vain : en trois siècles, de simples bourgeois quercynois devinrent l'une des principales maisons nobles du royaume de France. Un tour de force qui ne réussit pas aussi bien, loin de là, aux descendants de ses confrères cardinaux, les familles d'Aux, de Jean ou du Pouget, qui restèrent des lignées d'humbles seigneurs provinciaux.