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COMMUNAUTÉ POUR ASSURER SON SALUT

1. Choisir un ordre Mendiant

1.2 Être inhumé chez les Mendiants

La plupart de ces couvents ont bénéficié dès leur fondation des largesses et

protections des seigneurs locaux457, qui pour certains ont souhaité s'y faire inhumer458. Des

ecclésiastiques ou de riches bourgeois dotent très largement les frères mendiants et participent à l'édification de leurs maisons : l'évêque de Limoges Aymeric de Malemort lègue une somme d'argent destinée à couvrir l'église du couvent des Prêcheurs de Brive en 1272459 ; Jean Comtareau, diacre, et son frère Ithier, donnent en 1291 leurs maisons du faubourg Saler de

450 Deneau, 2003, p. 193. Des implantations plus tardives existent également dans le diocèse de Limoges : La Cellette en 1449, Saint-Projet en 1489 et Tulle en 1491.

451 Couvaras, 2008, p. 36, 54 et 68. 452 Couvaras, 2008, p. 61. 453 Moureau 454 Couvaras, 2008, p. 87. 455 Moulenq, 1894, t. IV, p. 102. 456 Moulenq, 1894, t. III, p. 141.

457 Le couvent franciscain de Brive a bénéficié de la protection du vicomte de Turenne ; celui de Donzenac des vicomtes de Comborn ou la maison de Saint-Junien avec les vicomtes de Rochechouart (voir Deneau, 2003, p. 187). À Montauban, le vicomte de Bruniquel pose la première pierre de la maison des Prêcheurs en 1278 (voir Moureau); à Auvillar ce geste est accompli par Bertrand de Goth, vicomte de Lomagne, neveu du pape Clément V en 1312 (voir Moulenq, 1894, t. III, p. 357).

458 C'est le cas d'Arnaud-Garcie de Goth, vicomte de Lomagne et d'Auvillar, inhumé au sein du couvent des Prêcheurs de sa cité, en 1311. Voir Moulenq, 1894, t. III, p. 357.

Saint-Junien pour y installer les Prêcheurs460 ; Guillaume de Maumont, archidiacre de Limoges lègue entre 1247 et 1250 de quoi voûter deux travées de l'église des Prêcheurs de Limoges ; Pons de Capdenier donne le terrain nécessaire à l'édification du nouveau couvent des Dominicains de Toulouse en 1229 ; Guillaume Amiel a offert vers 1270 le terrain pour y établir le couvent des franciscains et a payé de ses deniers la construction de l'église conventuelle ; en 1359, Olric de Bioule offre 20 000 tuiles pour ce même couvent ; Navarre de Montaut lègue 100 livres à l’œuvre de l'église des dominicains de Montauban en 1371. Le roi Charles II d'Anjou finance l'établissement des Prêcheurs à Saint-Maximin en 1295. Pour certains de ces bienfaiteurs, le titre de « patrons » du couvent leur est accordé par les frères. Outre le droit de poser la première pierre de la maison, ils bénéficient du privilège d'être inhumé à la tête de la chapelle ou dans un endroit des plus honorables, et si le couvent est transféré, leur corps le sera également. Ce privilège de sépulture se transmet au lignage du « patron » qui, au besoin, peut le revendiquer. Mais don et sépulture privilégiée au sein du couvent ne vont pas systématiquement de pair : ainsi, Ponce de Capdenier, qui, nous l'avons vu, avait été l'un des mécènes des Jacobins de Toulouse, bien que « patron », n'est pas enterré

au sein de la maison des Dominicains461.

Toutefois, comme le rappelle le père Marie-Humbert Vicaire462, si les Mendiants

acceptent bien volontiers le soutien financier de pieux laïcs pour mener à bien l'édification de leurs couvents, il ne faut pas occulter le fait que « l'initiative et les décisions essentielles viennent de l'Ordre lui-même, selon ses propres motifs, c'est-à-dire selon ses intentions apostoliques » et d'autre part « pour fonder un couvent, loin de s'inféoder à l'une ou l'autre classe de la société, les frères se préoccupent avant tout d'avoir l'assentiment de la population urbaine dans sa totalité ». L'installation des couvents répond à un plan précis voulu par les Ordres mendiants. Les premières maisons s'implantent dans les villes « capitales » de l'ouest du Rhône : Toulouse, Limoges, Lyon, Bordeaux, Le Puy, Narbonne, Montpellier, Montauban, Bayonne… Ces cités comptent en quelques décennies au XIIIe siècle quatre voire six463

couvents de mendiants. Les frères s'étendent ensuite dans des cités plus moyennes, pour

460 Deneau, 2002, p. 68.

461 Ponce de Capdenier, riche marchand de Toulouse, avait prévu dans son testament, que l'ensemble de ses biens serait légué à l'abbaye cistercienne de Grandselve, dans le cas où sa fille Stéphanie et son gendre Roger Barrau n'auraient pas d'enfants – ce qui a été le cas – afin de construire un grand hospice, où il élit sa sépulture. Il meurt en 1229. Voir Vicaire, 19998, p. 142-143.

462 Vicaire, 19998, p. 112.

463 Aux Ordres traditionnels se rajoutent alors les frères Sachets et les frères Pies, deux mouvances de mendiants qui disparaissent en 1274, supprimées par décision du concile de Lyon II, car les frères de ces deux ordres refusaient d'être agrégés aux ermites de Saint-Augustin, fondés en 1254.

quadriller le territoire et disposer ainsi de maisons-relais, qui peuvent accueillir les religieux occupés à prêcher dans les paroisses rurales. En Toulousain, le réseau des couvents est très serré : Marie-Claude Marandet précise que les maisons de certains Ordres sont parfois très

proches, une dizaine de kilomètres les séparant les unes des autres464. L'engouement des laïcs

pour les Mendiants est bien connu, et a été étudié notamment par Marie-Claude Marandet,

Michelle Fournié465 ou Jacques Chiffoleau466. Marie-Claude Marandet a notamment montré

qu'en Toulousain, selon les secteurs, la moitié ou la quasi-totalité des testateurs prévoyaient un

legs aux Mendiants467. Toujours dans le même secteur, les groupes sociaux les plus riches

choisissent d'avoir leur sépulture dans une église468 et non au sein d'un cimetière. Parmi eux,

plus de la moitié opte pour un couvent de Mendiants mais il s'agit majoritairement de

marchands et d'artisans469. Peut-être parce que ces derniers se sentent plus proches de leur

prédication et plus sensibles à leur accueil ? Il faut également prendre en compte le fait que le recrutement des frères Mendiants s'effectue majoritairement dans les rangs des marchands et des artisans des villes ; les membres de l'aristocratie sont rares470.

Le choix d'un ordre mendiant par un cardinal pour accueillir sa dépouille s'explique dans certains cas par l'appartenance de ce prélat à la famille spirituelle choisie, nous l'avons

vu471. Pour d'autres, ce parti pourrait s'expliquer par l'attachement du cardinal à la spiritualité

de l'ordre retenu, sans pour autant y être agrégé. C'est le cas pour Guillaume Ruffat des Forges. Parent de Clément V, chanoine de Saint-Seurin de Bordeaux et du chapitre cathédral de Lyon, il est créé cardinal le 15 décembre 1305. Il meurt en 1311 et demande à être enseveli chez les frères Mineurs, bien qu'étant séculier. Toutefois, il a participé activement à l'enquête

464 Un quinzaine de kilomètres séparent ainsi les couvents des franciscains de Castres et de Lautrec ou de Toulouse et de Muret, tout comme les Carmes de Carcassonne et de Montréal. Dans l'Est de la France, les distances s'avèrent plus grandes (37,( kilomètres dans la région de Metz). Pour Marie-Claude Marandet, cette proximité s'explique par la nécessité de rechristianiser le Midi. Voir Marandet, 1998, p. 367.

465 Voir Fournié, 1997.

466 Voir Chiffoleau, 1980.

467 Marandet, 1997, p. 368-370.

468 Les nobles à 85 %, les professionnels de la santé à 40 %, les notaires et juristes à 38 %, les bourgeois à 37 %, les marchands à 32 %, les prêtres à 30 %. A contrario, les artisans ne sont que 27 %, les domestiques à 11 %, et les laboureurs à 4 %. Voir Marandet, 1997, p. 152.

469 Il s'agit exactement de 59 % des personnes qui choisissent une église, et parmi celles-ci, les deux-tiers sont des marchands et des artisans. Les nobles se tournent très largement vers les Ordres anciens ou les séculiers. Voir Marandet, 1997, p. 154-155.

470 À Montauban, la plupart des grandes familles de marchands comptent des Mendiants dans leur lignage : les Assalhit, les Angilbaud, les Bonis, les Carbonel ou les Toset. Les familles nobles du bas-Quercy occupent plutôt des stalles au sein du chapitre cathédral ou du chapitre collégial de Saint-Étienne du Tescou. Voir Moureau, 2009, p. 121.

471 Guillaume de Pierre Godin, Thomas of Jorz, Gérard de La Garde et Jean des Moulins, frères prêcheurs sont ensevelis chez les Prêcheurs de Toulouse ; Vital Du Four, Élie de Nabinal, Pasteur de Sarratz, et Bertrand de La Tour, franciscains, chez les frères Mineurs.

pontificale sur la querelle au sein de l'Ordre des Mineurs sur la pauvreté. Cette immersion au sein des franciscains peut certainement expliquer le choix d'une dernière demeure dans le couvent des Mineurs d'Avignon. Il n'est pas exclu que Guillaume Ruffat ait été inhumé avec l'habit même des frères, tradition connue et avérée lors de ce type d'ensevelissement. Au moment de la mort, par humilité mais également par conviction, le défunt entre symboliquement au sein de l'ordre mendiant qui l'accueille.