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CARRIÈRE ET LIGNÉE

B. John de Grandisson, l'ami anglais, évêque et bâtisseur

En plus de ces bénéfices, Pierre des Prés a consacré, au nom et à la place du pape, de nombreux évêques anglais ou irlandais, nommés par le Souverain-Pontife, et venus en Avignon pour recevoir des mains du vice-chancelier le sacrement d'intronisation sur leur siège épiscopal245.

Il a ainsi imposé les mains sur246 :

 Robert Wirsop, évêque de Connor (Irlande), en 1323,  Walter le Rede, évêque de Cork (Irlande), en 1327,

 Thomas Charlton, évêque d'Hereford (Angleterre), en 1327,  John de Grandisson, évêque d'Exeter (Angleterre), en 1327,  Simon Mepham, archevêque de Cantorbery (Angleterre), en 1328,  William de Landallis, évêque de Saint-Andrews (Écosse) en 1342,  Richard de Pilmuir, évêque de Dunkeld (Écosse), en 1345,

 Thomas de Brakenberg, évêque de Leighlin (Irlande), en 1349,  John Withekot, évêque de Cloyne (Irlande), en 1352

 Gregory, prévôt de Killala, évêque de Down (Irlande), en 1352,  Nicolas Allen, évêque de Meath (Irlande), en 1353,

 Thomas Cormachain, évêque de Killaloe (Irlande), en 1355,  John Luce, évêque de Dunkeld (Écosse), en 1355.

Pierre des Prés a-t-il favorisé l'ascension au rang d'évêque de certains des clercs qu'il a consacré ? Rien n'est moins sûr pour la grande majorité d'entre eux, qui ne paraissent pas avoir connu le vice-chancelier avant leur promotion. Seul John de Grandisson semble avoir continué à échanger avec le cardinal de Palestrina, avec qui il a surtout tissé des liens d'une profonde amitié, qui s'accompagne d'un véritable respect.

245 Jean XXII a multiplié les consécrations d'évêques anglais en Avignon, siège de l’Église, afin d'appuyer sa politique de nominations épiscopales outre-Manche. Voir Deeley, 1928, p. 500-501.

246 Cette liste d'évêques anglais, écossais et irlandais consacrés par Pierre des Prés est établie d'après les travaux de William Henry Bliss. Voir Bliss, 1895.

John de Grandisson est né à Ashperton, dans le Herefordshire, en 1292. Il est le second fils de William de Grandisson, baron de Realm. Sa famille est originaire de Savoie et

son nom s'orthographiait primitivement Grandson247. Par sa mère, Sibilla de Tregoz, il est

apparenté à saint Thomas de Cantilupe248. John de Grandisson poursuit des études de droit

civil, probablement à Oxford, puis s'oriente vers la théologie à l'université de Paris,

notamment sous la direction de Jacques Fournier, futur pape Benoît XII, entre 1313 et 1317249.

Il a entre-temps été nommé chanoine d'York, avec la prébende de Masham, en 1309, puis archidiacre de Nottingham en 1310. En 1322, le pape Jean XXII lui accorde le titre de chapelain pontifical et John de Grandisson s'installe en Avignon auprès du pape. Il entretient des rapports étroits avec Jean XXII, comme en témoigne à plusieurs reprises ses commentaires dans le livre qu'il a rédigé durant son épiscopat. Cette sorte de journal reprend à la fois les grands événements de sa carrière, mais également ceux de son diocèse, ainsi que les

copies des lettres qu'il a expédiées250. C'est lors de son séjour sur les bords du Rhône qu'il

rencontre Pierre des Prés, dans des circonstances qui demeurent inconnues aujourd'hui. Le cardinal de Palestrina le prend sous sa protection : John de Grandisson le qualifie à plusieurs

reprises dans ses lettres au pape Jean XXII de « domino meo »251, de vénérable père et patron

unique et très cher252, et se présente même comme un de ses indignes serviteurs253. John de

Grandisson a-t-il fait partie de la familia cardinalice de Pierre des Prés durant son séjour avignonnais, soit entre 1322 et 1326 ? Les termes qu'il emploie à l'égard de son protecteur, notamment le terme de « patronum » semblent fortement nous inciter à le penser, sans pour autant l'affirmer, faute de preuves. Le pape Jean XXII confie à John de Grandisson une mission diplomatique en 1326 : il est chargé d'accompagner, en tant que nonce pontifical, l'archevêque de Vienne Guillaume de Laudun et l'évêque d'Orange, Hugues Adhémar de

247 Les Grandson de Savoie sont originaires du village éponyme, aujourd'hui situé dans le canton de Vaud en Suisse. Othon Ier de Grandson, envoyé par son père Pierre comme page à la cour du roi d'Angleterre Henri III, devint l'ami du prince héritier, futur roi Édouard Ier. Il accompagna ce dernier lors de la 7ème croisade en 1270. Monté sur le trône en 1272, Édouard Ier confia de nombreuses missions diplomatiques ou militaires à Othon de Grandson et lui offrit également de nombreux fiefs, tant en Angleterre, en Écosse ou en Irlande. Othon de Grandson est revenu sur ses terres savoyardes après 1307 et la mort d'Édouard Ier. Son frère Guillaume (William) est lui resté en Angleterre et a transformé son nom en Grandisson. Voir Burgess et Heale, 2008, p. 96.

248 Sibilla de Tregoz est la fille de John of Tregoz, lord of Ewyas et petite-fille de Juliana de Cantilupe, sœur de saint Thomas de Cantilupe (1218-1282), évêque de Hereford, canonisé par Jean XXII le 17 avril 1320. Voir Hengeston, 1894, p. V.

249 Olson, 1997, p. 202-203.

250 Ce registre de John Grandisson a été publié in extenso en 1894. Il demeure une source inévitable et précieuse pour étudier la vie des prélats et des diocèses en Angleterre durant le XIVe siècle.

251 Lettres adressées à Jean XXII en 1328 et en 1328-1329, voir Hingeston, 1894, p. 93 et 100.

252 « venerabilem patrem et unice dilectum patronum et dominum meum dominum Penestrinum », lettre à Jean XXII en 1328-1329. Voir Hingeston, 1894, p. 106.

Monteil, en Gascogne, pour négocier la paix entre les rois de France et d'Angleterre, suite à la

guerre de Saint-Sardos254. Il est intéressant de noter que cette mission est confiée à Grandisson

alors même que Pierre des Prés est devenu vice-chancelier de l’Église quelques mois auparavant et à ce titre chargé entre autre de la diplomatie pontificale. Le cardinal de Palestrina a certainement saisi l'occasion de pousser son protégé dans son cursus honorum en suggérant au pape de l'envoyer en Gascogne. Il semble retourner étudier à Oxford entre 1326 et 1327255.

La mission et son succès, sans compter le zèle avec lequel Grandisson semble l'avoir accomplie, lui valent d'être nommé par Jean XXII évêque d'Exeter le 10 août 1327, suite au décès du titulaire, James de Berkeley256. Il est sacré dans l'église des frères Prêcheurs d'Avignon, par Pierre des Prés, le 18 octobre de cette même année (fig.11). Il quitte Avignon le 23 décembre pour regagner l'Angleterre et son nouveau diocèse. Il est alors confronté à de graves soucis financiers, ses prédécesseurs ayant laissé les biens épiscopaux en triste état. Grandisson s'attache essentiellement, dans sa mission d'évêque, à visiter sans relâche durant son long épiscopat - trente-deux ans - ses nombreuses paroisses et à réformer son clergé. Il rédige également une nouvelle liturgie propre à Exeter, ainsi qu'un sanctoral, un martyrologe

et une vie de saint Thomas de Cantilupe, son parent257.

Pierre des Prés continue à le protéger après son accession à l'épiscopat : en décembre 1331, il appuie la requête de Grandisson auprès du pape pour que le siège épiscopal d'Exeter soit exempté de l'ordinaire, ici l'archevêché de Cantorbéry258 ; en 1333-1334, il réussit à réconcilier Grandisson et le doyen d'Exeter, Richard de Coleton259. Pour remercier son

254 Ce conflit, qui débute en 1323, est au départ un simple litige entre officiers anglais et français, qui prend une grande ampleur lorsque le débat se reporte sur les questions d'hommage dû au roi de France par le roi d'Angleterre pour son duché d'Aquitaine. Il s'agit des prémices de la guerre de Cent Ans.

255 Linda Olson suppose que Grandisson est revenu à Oxford pour étudier grâce à une lettre pontificale d'octobre 1326 qui lui accorde la grâce de ne pas visiter son archidiaconé de Nottingham durant ses études, ainsi qu'une missive qu'il a envoyé à un professeur, dans laquelle il parle de dettes contractées durant ses études. Voir Olson, 1997, p. 203.

256 Jean XXII, à la mort de Walter de Stapeldon, évêque d'Exeter de 1308 à 1326, avait fait valoir la réserve pontificale et le droit de nomination de son successeur, peut-être pour y placer déjà John de Grandisson. Le pape renonce toutefois suite à l'élection par le chapitre cathédral de James de Berkeley. Mais au décès rapide de ce dernier, et alors que les chanoines d'Exeter ont élu John de Godeleghe, Jean XXII nomme son favori. Voir Hingeston, 1894, p. VI.

257 Pour la liste de ses ouvrages et leurs lieux de conservation, voir le dictionnaire des auteurs anglais, auteurs actifs dans les champs de l'histoire et de la politique de l'Angleterre de 1300 à 1600, mis en ligne par le LAMOP / université de Paris I-Sorbonne.

258 L'archevêque de Cantorbéry est alors Simon Mepham, sacré par Pierre des Prés. Grandisson demande confirmation de ce même privilège au pape Clément VI en 1343. Voir Bliss, 1896, p. 89.

259 John de Grandisson, en conflit avec Richard de Coleton, doyen d'Exeter, avait excommunié ce dernier le 23 août 1333 et confisqué tous ses biens le 12 novembre suivant. Coleton en avait appelé devant la Curie. Pierre des Prés a réussi à réconcilier les deux clercs en août 1334, après que Grandisson ait levé la sentence de

protecteur, John de Grandisson nomme l'un de ses neveux, Jean des Prés, à la prébende de Saint Crantock in Cornwall, le 1er avril 1333260. Enfin, il prévoit, dans les statuts de sa collégiale d'Ottery-Saint-Mary, publiés en 1339, qu'un obit annuel sera célébré chaque année à

la mémoire du cardinal des Prés, preuve de son attachement quasi filial à son mentor261.

John de Grandisson est surtout connu pour son rôle de bâtisseur et de mécène. Il a en effet reconstruit une grande partie de la cathédrale d'Exeter, notamment la façade occidentale et la chapelle qui porte son nom. Grandisson a également offert de très nombreux objets

précieux à son église : il subsiste entre autre un triptyque en ivoire262, qui présente sur le

panneau central la Crucifixion, surmonté du couronnement de la Vierge. Les deux panneaux latéraux offrent des saints en pieds : saint Paul, saint Étienne, saint Thomas Becket et saint Pierre. Les armes personnelles de l'évêque d'Exeter sont figurées au-dessus de saint Étienne et

de saint Thomas263. Un orfroi, brodé au point d'Angleterre, est également conservé au British

Museum : il représente une série de saints et de saintes, inscrits dans des polylobes gothiques ; les armes de John de Grandisson (fig.13) figurent à la suite des personnages. Enfin, son anneau personnel, en or, a été découvert à Exeter en 1950 (fig.14). Le chaton, circulaire, est orné d'une belle représentation de la Vierge à l'Enfant, gravée en creux. Marie, couronnée, vêtue d'un ample manteau aux plis que l'on devine tuyautés, regarde le spectateur, alors que le Christ, porté sur son bras gauche, la tête ceinte d'une auréole crucifère, tend à sa mère une pomme264.

John de Grandisson a également fondé la veille de Noël 1337 un collège de chanoines séculiers à Ottery-Saint-Mary (fig. 15). Pour ce faire, il a racheté à l'archevêque de

Rouen265, en 1337, le manoir et la paroisse de ce bourg du Devon. Il a aussi obtenu l'aval du

doyen et du chapitre d'Exeter le 22 janvier 1338266. L'évêque a ensuite rédigé des statuts très

confiscation des biens. Coleton est mort quelques jours après. Voir Dalton, 1917, p. 103.

260 Dalton, 1917, p. 103.

261 L'obit est fixé au 17 mai, jour du décès de Pierre des Prés. Grandisson précise dans les statuts que pour l'obit de Pierre des Prés, comme pour ceux du pape Jean XXII, fixé le 4 décembre, de ses parents et du sien propre, trois cierges ordinaires doivent brûler pour la messe du matin, l'un près de l'autel et les deux autres de part et d'autre des stalles. Voir Dalton, 1917, p. 214 et 218.

262 Ce triptyque est aujourd'hui conservé au British Museum de Londres ; un second triptyque ainsi que deux autres panneaux, portant les mêmes armes de Grandisson, sont également dispersés entre ce même musée et le musée du Louvre.

263 Il s'agit bien des armes personnelles de John de Grandisson : d'argent à trois pals d'azur, chargé d'une bande de gueule à trois mitres d'or et non trois aigles comme le portent ses frère et neveux.

264 Le fait que Grandisson porte une représentation de la Vierge sur son anneau épiscopal prouve sa dévotion envers la mère du Christ, dévotion qui se retrouve dans la fondation de la chapelle de Notre-Dame de la collégiale d'Ottery-Saint-Mary notamment.

265 Ce dernier n'est autre de Pierre Roger, futur pape Clément VI, archevêque de Rouen de 1330 à 1339.

précis pour sa nouvelle fondation, qui règlent la vie quotidienne des chanoines267. Le chapitre se compose de quatre officiers - le doyen, le sacristain, le curé et le précenteur - et de quatre chanoines. À ces derniers viennent s'ajouter une dizaine de chapelains, huit clercs et huit

enfants de chœur plus un maître de grammaire268.

John de Grandisson a reconstruit entre 1338 et 1342 une grande partie de l'église d'Ottery-Saint-Mary (fig.16), édifiée à l'origine vers 1260. Il a modifié le plan d'origine en ajoutant deux bras de transept, ainsi qu'une chapelle dédiée à la Vierge, située dans l'axe, en arrière du chevet. Ce dernier compte alors six travées, accostées de part et d'autres de deux petites chapelles de plan carré. La nef a également été prolongée vers l'ouest pour couvrir cinq travées. John de Grandisson a pourvu le chœur liturgique d'un jubé, ainsi que de dix stalles en bois, avec des miséricordes, dont certaines sculptées à ses armes, et d'un lutrin en forme d'aigle.

L'évêque d'Exeter a-t-il souhaité faire d'Ottery-Saint-Mary une nécropole dynastique ? La présence du tombeau de son frère Othon de Grandisson, mort en 1359, et de son épouse pourrait laisser supposer une telle hypothèse. Mais le projet initial a été ensuite modifié, puisque John de Grandisson a choisi d'être inhumé dans sa cathédrale d'Exeter, au sein d'une chapelle qu'il avait fondée.

John de Grandisson, par le biais de l'appui et du soutien du cardinal des Prés, qui présente sa requête au pape, demande à Clément VI, en 1343 - alors que les travaux de l'église sont terminés - de bien vouloir approuver sa fondation, ainsi que l'union de l'église d'Ylstyngton, dans le diocèse d'Exeter, au nouveau collège. Le pape signe favorablement le 2 juillet de cette même année et ajoute l'octroi de quarante jours d'indulgence pour tous ceux qui visiteront l'église durant les fêtes et octaves de la Vierge, de la dédicace et de saint Édouard le Confesseur. Une année et quarante jours sont donnés en plus aux bienfaiteurs de l'église, qui participeront à sa construction269.

John de Grandisson est donc un évêque bâtisseur, qui a donné un nouvel élan au chantier d’embellissement de sa cathédrale d'Exeter, tout en reconstruisant l'église d'Ottery-Saint-Mary. À propos de cette dernière, il est frappant de constater que Grandisson fonde une collégiale séculière, tout comme son protecteur le cardinal des Prés, quasiment en même temps que lui : le chantier de Montpezat bat son plein entre 1337 et 1343, tout comme celui

267 Ces statuts ont été édités en 1917 par le chanoine Dalton. Voir Dalton, 1917, p. 218-260.

268 Cornish, 1869, p. 5.

d'Otttery. Évoquer une coïncidence paraît difficile. John de Grandisson a plutôt voulu imiter, voire rendre hommage à Pierre des Prés en reproduisant sans son diocèse d'Exeter le modèle de fondation du cardinal de Palestrina. Un argument qui est étayé par ce sentiment de profond respect, voire de piété quasi filiale vis-à-vis de des Prés, déjà évoqué plus haut. Un dernier élément peut être ajouté à ce dossier : le sceau de John de Grandisson le représente crossé et mitré, assis sur un faldistoire décoré de têtes de lions ; il porte une vaste chasuble sous son aube et bénit de la main droite, avec deux doigts levés. Mis à part ses armes, placées dans le registre inférieur, son sceau reprend la même composition que celui de Pierre des Prés. Mais il s'agit là peut-être d'une simple coïncidence.