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COMMUNAUTÉ POUR ASSURER SON SALUT

1. Choisir un ordre Mendiant

1.3 Fonder un couvent de Mendiants : un privilège princier

Nous l'avons dit, la fondation propre et ex nihilo d'un couvent de religieux mendiants par un laïc ne va pas de soi et enfreint même pour les Prêcheurs les conceptions de l'Ordre en la matière472. Les fondations antérieures à celles des cardinaux de la papauté d'Avignon émanent de souverains ou de membres de familles royales, toutes issues des Capétiens et du lignage de saint Louis. C'est en effet sous le règne du roi Louis IX que se situe la grande période d'implantation des couvents de Mineurs et de Prêcheurs en France, entre 1230 et

1260473. Le saint roi est très tôt entouré de frères Mendiants. Il leur confie même la garde de la

Sainte-Chapelle et de ses précieuses reliques474. Les enquêtes ordonnées dans tout le royaume

pour la préparation de la Croisade sont essentiellement menées par des Mendiants. Enfin, le roi comble de ses largesses les chantiers de très nombreux couvents : Rouen, Mâcon, Jaffa,

Compiègne, Béziers, Carcassonne, Caen ou Rouen475. Après 1254 et son retour de Croisade,

son plus proche conseiller et ami est un franciscain, Eudes Rigaud, archevêque de Rouen ; son confesseur est un dominicain, Geoffroy de Beaulieu ; ses principaux biographes, des

Mendiants476. Le roi, sous l'influence et la demande de sa sœur Isabelle, a fondé en 1255 le

couvent des Clarisses de Longchamp, achevé en 1259477. Le roi Philippe IV le Bel a fondé

quant à lui le couvent des Clarisses du Moncel-les-Pont-Sainte-Maxence, en 1309, sur des

472 Montagne, 1998, p. 107.

473 Le Goff, 1996, p. 331.

474 Les trois offices spéciaux consacrés annuellement aux reliques christiques déposées dans la Sainte-Chapelle de Paris étaient à la charge du couvent dominicain, du couvent franciscain et de l'un des couvents des autres ordres Mendiants de Paris. Voir Le Goff, 1996, p. 331.

475 Le Goff, 1996, p. 332.

476 Deux sont des dominicains : Geoffroy de Beaulieu et Guillaume de Chartres ; le troisième est un franciscain : Guillaume de Saint-Pathus. Voir Le Goff, 1996, p. 333-344.

477 Le Goff, 1996, p. 728. Isabelle de France s'y retire en 1263 et y meurt en 1270. Le roi Philippe V décède également à Longchamp en 1322, alors que sa fille Blanche est religieuse, depuis 1317 jusqu'à sa mort en 1358. Le couvent de Longchamp reste sous la protection des rois de France jusqu'à sa fermeture en 1792.

terres confisquées à Philippe de Beaumanoir, bailli de Senlis, afin que les religieuses prient pour lui, ses successeurs et le bien du royaume478.

Imitant leur royal et saint aïeul, les princes de la maison d'Anjou-Sicile ont également fondé des couvents de Mendiants. Le cas le plus important, justement pour les Dominicains, est la création du couvent de Saint-Maximin-La-Sainte-Baume. Il s'agit d'un monastère né de la volonté même de Charles II d'Anjou, comte de Provence et roi de Sicile, en 1295. Le souverain, alors qu'il n'était que prince de Salerne et envoyé en Provence par son

père, le roi Charles Ier, avait participé en 1279 à l'élévation de la relique du chef de sainte

Marie-Madeleine dans cette localité des domaines paternels. Ce n'est toutefois qu'en 1295 qu'il réussit à faire reconnaître par le pape Boniface VIII l'authenticité des précieux restes479. Il

charge alors Pierre d'Allamanon, dominicain et évêque de Sisteron480, de prendre possession

en son nom de Saint-Maximin-La-Sainte-Baume, que le souverain pontife venait de lui octroyer le 7 avril de cette même année. Les bénédictins de Saint-Victor de Marseille, affectés au service religieux du site, se trouvent alors évincés de par les volontés conjuguées du souverain et du pape, au profit des Dominicains. Le but du roi est atteint : il se pose en pieux laïc, protégé directement par sainte Marie-Madeleine, qui l'a guidé pour découvrir et faire partager à tous ses sujets les précieuses reliques ; il fonde une importante basilique, associée à

un bourg481, afin d'accueillir les nombreux pèlerins qui se pressent déjà depuis 1280 auprès du

tombeau de la sainte Femme ; il consolide également son image et son pouvoir dans ses États de Provence, qu'il dirige de loin depuis la Sicile. Les Dominicains assurent le relais de ses ambitions et de sa politique sur place, Charles II étant un puissant protecteur de l'Ordre des

Prêcheurs482. Le chantier de construction démarre dès la fin de l'année 1295, et le souverain

prévoit sur ses fonds une somme annuelle de 2000 livres, octroyée à Pierre d'Allamanon pour

l'édification de la basilique et du couvent483. Toutefois, cette fondation du roi de Sicile est en

grande partie motivée par des fins politiques plus que personnelles. Le roi ne cherche pas à

478 Ce couvent est fondé en avril 1309. Les travaux paraissent suspendus après la mort du roi en 1324, et ne reprennent que vers 1328. L'église du monastère est consacrée le 27 mars 1336 par le cardinal Guy de Boulogne. Voir Roest, 2013, p. 123-124.

479 Lauzière, 2003, p. 22-26.

480 Pierre d'Allamanon doit son évêché à la protection du roi Charles II de Sicile. Voir Lauzière, 2003, p. 22.

481 Le roi Charles II a promulgué depuis Aix-en-Provence, le 17 août 1295, une charte de coutumes, qui accorde de nombreuses exemptions et avantages, en faveur de tous ceux qui viendront s'installer auprès de la basilique en chantier. Le bourg de Saint-Maximin se développe ainsi considérablement. Voir Lauzière, 2003, p. 29.

482 Lauzière, 2003, p. 24 et Mérindol, 2015, p. 297. Christian de Mérindol rappelle le profond attachement de la dynastie des Anjou avec les Dominicains notamment. Charles II a également fondé les couvents de San Pietro a Castillo, de San Domenico et de San Pietro Martire.

faire de la basilique son lieu de sépulture ou un panthéon dynastique. Entre-temps, Charles II a fondé en 1290 à Aix-en-Provence, non loin de sa résidence de campagne dans un premier temps puis transféré en Aix deux ans plus tard, un autre couvent, de Dominicaines cette fois, sous le vocable de Notre-Dame-de-Nazareth. Le souverain a expressément demandé à y être

inhumé, ce qui est chose faite après 1309484. Son fils Robert d'Anjou-Sicile, fonde avec son

épouse Sancie de Majorque le double couvent des Mineurs de Santa Chiara de Naples485. Il y

est inhumé, revêtu de l'habit de franciscain486, en 1343, tout comme Charles de Calabre, Marie

de Valois et d'autres membres de la famille royale, conférant ainsi à cette église le statut de

sanctuaire dynastique487. Les deux derniers fils de Charles II, Philippe de Tarente et Jean de

Duras, sont inhumés au sein de l'église des Dominicains - San Domenico - de Naples. Les Duras, issus des Anjou-Naples, choisissent l'église franciscaine de San Lorenzo de Naples comme sanctuaire dynastique : Jeanne de Duras y est ensevelie avec son époux, Robert II d'Artois488.

Outre ces fondations, les descendants de saint Louis privilégient toujours les Mendiants pour accueillir soit leur tombeau d'entrailles pour les souverains, soit leur corps entier pour certains princes et princesses de sang489.

En Sicile, la princesse Constance de Sicile fonde en 1294 le couvent des Clarisses de

Messine490. La seconde épouse de son fils, le roi Jaume II d'Aragon, la reine Blanche d'Anjou,

fidèle à la tradition familiale des Capétiens, fonde de ses deniers le monastère de Clarisses de

484 Mérindol, 2003, p. 297. Le corps du roi est d'abord déposé dans l'église San Domenico (des Dominicains) de Naples.

485 L'ensemble est destiné au départ à accueillir des franciscains sous la houlette de Philippe de Majorque, frère de la reine Sancie, et un couvent de Clarisses.

486 Mérindol, 2003, p. 298.

487 Cette fonction dynastique perdure tout au long de l'époque moderne et jusqu'au début du XXe siècle pour les derniers membres de la famille royale des Deux-Siciles.

488 Mérindol, 2003, p. 298.

489 Le seul couvent des Dominicains de Paris accueillait notamment les dépouilles suivantes : le cœur de Pierre d'Alençon (+ 1283) ; le cœur de Charles II d'Anjou-Sicile (+ 1309) ; le cœur du roi Philippe III le Hardi, déposé par son fils Philippe le Bel ; le cœur de la seconde épouse de Philippe III, Marie de Brabant (+ 1321) ; le cœur du roi Charles IV (+ 1328) ; les entrailles du roi Philippe V (+ 1322) ; le corps de la reine Clémence de Hongrie (+ 1328), seconde épouse de Louis X le Hutin ; le corps de Charles de Valois (+ en 1325) ; le tombeau des entrailles du roi Philippe VI (+ 1350) ; le tombeau de Charles d’Alençon, frère de Philippe VI, tué à la bataille de Crécy en 1346 ; le corps de Louis de France, comte d’Evreux (+ 1319) et de son épouse, Marguerite d’Artois (+ 1311) ; les cœurs de Philippe d’Evreux (+ 1343) et de sa femme Jeanne (+ 1343) fille du roi Louis X et héritière du royaume de Navarre ; l’église renfermait les tombeaux des premiers ducs de Bourbon, en la chapelle Saint-Thomas d’Aquin : Robert, comte de Clermont et duc de Bourbon (+ 1318), sixième fils de saint Louis ; Louis I°, duc de Bourbon (+ 1342) ; Pierre I° (+ 1356).

490 Son fils Frédéric, qui gouverne la Sicile, est un grand protecteur des frères Mineurs. Sa veuve, ses deux filles, deux de ses nièces et d'autres membres de sa famille vont faire profession au sein des Clarisses. Voir Castellano i Tresserra, 1998, p. 28.

Vilafranca del Penedès en 1308491. L'infant Joan d'Aragon492, fils de cette dernière et du roi Jaume II, patriarche d'Alexandrie et archevêque de Tarragone, promeut le monastère de la Puríssima Concepció de Gérone en 1319. La reine Marie de Molina agit de même avec la

maison des Minorettes de Las Huelgas en 1320493. La mère du roi Pierre le Cérémonieux,

Thérèse d'Entença, est inhumée au sein du couvent des franciscains de Saragosse, qu'elle avait

reconstruit de ses deniers, et son gisant la présente revêtue de l'habit de l'Ordre494. Le couvent

des franciscains de Barcelone accueille les tombeaux de membres de la famille royale d'Aragon : la reine Constance de Sicile, le roi Alphonse le Libéral et la reine Marie de

Chypre495. La reine Élisabeth d'Aragon a patronné le monastère des Clarisses de Coïmbra, en

1324, avec le soutien de l'évêque du lieu, le quercynois Raymond I d'Hébrard496. Le couvent

des Clarisses de Pedralbès, près de Barcelone, est dû à la générosité et à l'initiative de la reine Elisende de Moncade, dernière épouse de Jaume II, en 1327. Enfin, le roi Alphonse le Magnanime et son épouse Éléonore de Castella, choisissent d'être ensevelis au sein du couvent des franciscains de Lleida, sous un sépulcre somptueux, près de l'autel majeur. Là encore, les souverains sont représentés portant la bure des Mineurs, sandales aux pieds.

Fonder un couvent de Mendiants est donc, en cette fin du XIIIe siècle et au début du

XIVe siècle, un privilège réservé aux membres des familles royales, dont certains choisissent

d'y être inhumés. D'autres grandes familles de l'aristocratie les imitent dans les décennies suivantes : Fayt de Thémines, épouse du seigneur de Gourdon, implante un couvent de

Clarisses dans les faubourgs de la ville éponyme en 1302497 ; les Talleyrand-Périgord font

ériger le couvent des Clarisses de La Rochelle en 1305 498; la famille de Tournel établit une

maison de Clarisses à Mende, en 1309, pour les jeunes filles non mariées499 ; le comte Amédée V le Grand de Savoie négocie en 1318 avec le maître-général des Dominicains

l'implantation d'un couvent de l'ordre à Montmélian500 ; Jean II de Chalons-Arlay et sa femme

491 Castellano i Tresserra, 1998, p. 25-26.

492 Il meurt en 1334. Voir Español, …., p. 163-164.

493 Castellano i Tresserra, 1998, p. 28.

494 La mère du souverain porte également une couronne sur la tête ; la cuve qui supporte le gisant est orné d'écus aux armes de la Catalogne et des Entença et portée par six lions. Ses deux derniers enfants, Isabel et Sancho, reposent également dans la même église, près de leur mère. Voir Español, 2010, p. 165.

495 Le gisant de Marie de Chypre, œuvre du sculpteur Jean de Tournai, assisté de Jean de France, qui y travaille en 1324, représente la reine, couronnée, portant l'habit des Clarisses. Le gisant est aujourd'hui au Musée National d'Art Catalan de Barcelone. Voir Español, 2010, p. 188.

496 Albe, 1902, p. 40.

497 Roest, 2013, p. 117.

498 Roest, 2013, p. 117.

499 Roest, 2013, p. 118.

dote vers 1322 une maison de Clarisses à Mogette près de Besançon501 ; Isabelle, fille du

comte Henri II de Rodez, fonde un couvent de Clarisses à Boisset en 1324502 ; Arnaud Duèze,

neveu du pape Jean XXII et vicomte de Caraman, fonde avec son épouse Marguerite de L'Isle-Jourdain en 1333 le monastère de Notre-Dame-des-Anges de Cassès, dans le diocèse de

Saint-Papoul, pour des Clarisses503 ; en 1352, Isabelle de Lévis, veuve du comte Bertrand de

L'Isle-Jourdain dote dans son testament un monastère de Clarisses à Azille504 ; Marthe d'Armagnac, veuve de Bernard IV d'Albret, fonde en 1358 un couvent de Clarisses à Nérac505 .