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CARRIÈRE ET LIGNÉE

B. Les bénéfices de Pierre des Prés au Portugal

Dans ce contexte de reprise en main de l’Église portugaise par la papauté d'Avignon,

qui est de plus favorable au Quercy depuis la fin du XIIIe siècle, il n'y a rien d'étonnant à ce

que Jean XXII donne à Pierre des Prés, tout juste créé cardinal-prêtre au titre de Sainte-Pudentienne, le 9 février 1321, un canonicat dans la cathédrale de Braga, assorti de l'archidiaconé de Couto183, bénéfices vacants depuis la promotion de leur titulaire, Jean

d'Aragon et d'Anjou184 comme archevêque de Tolède. Il reçoit le 22 mars 1321 un indult du

pape afin de pouvoir déléguer des procureurs dans son archidiaconé de Couto pour visiter les

églises et autres lieux ecclésiastiques, et d'en percevoir les revenus en son nom185. Les revenus

de l'archidiaconé lui rapportent 200 livres d'or en 1324, somme convoyée par deux clercs

français méridionaux, Pierre de Labrunie186, recteur de la paroisse de Colonias, chanoine de

Braga, et Raymond de La Serre, chanoine de Lérida. Pierre des Prés a-t-il, suite à sa promotion à Braga, influencé l'attribution de bénéfices portugais à des compatriotes quercynois ? Avant de tenter de répondre à cette question, il convient de rappeler que les cardinaux fonctionnent alors à l'échelle de la chrétienté toute entière. Ils sont à la tête d'un système qui a pour but de faire circuler les bénéfices, soit comme moyen de rétribuer des familiers ou commensaux, soit pour conserver des bénéfices au sein du collège cardinalice. Comme le précise Mario Fareló, « l'un des éléments structurant de ce système de gestion bénéficiale passait par l'établissement des procureurs sur place qui se chargeaient de

182 Barbosa Morujão, 2005, p. 85.

183 Lettres communes de Jean XXII, n° 012944 et Rodrigues, Taveira Ribeiro, Moreira da Costa, Pinheiro

Maciel 2005, p. 102.

184 Sur ce personnage, voir Avezou, 1930.

185 Lettres communes de Jean XXII, n° 013120.

186 Pierre de Labrunie est mentionné comme recteur de Colonias en 1323, année où il occupe la charge de collecteur du Saint Siège conjointement avec Raymond de La Serre, pour percevoir les taxes dues par la mense épiscopale de Lisbonne. Une charte émanant du roi Denis de Portugal les qualifient de « messagers du pape ». Il obtient un canonicat à Braga en 1327. Rodrigues, Taveira Ribeiro, Moreira da Costa, Pinheiro Maciel 2005, p. 231-232.

l'administration et de la gestion de leurs bénéfices dans chaque royaume où ils détenaient des

intérêts patrimoniaux 187». La nécessité pour les cardinaux de transférer les fonds issus des

revenus de leurs bénéfices portugais serait même certainement à l'origine du développement et de la consolidation des collecteurs apostoliques dans le royaume lusitanien. Pour le cardinal des Prés, les clercs qui se chargent de lui convoyer vers Avignon les fonds de ses bénéfices en

1324 transportent également les sommes dues à la Chambre apostolique188 ; inversement, un

des collecteurs de la Chambre apostolique pour le Portugal, Arnaud de Saint-Vincent, est un de ses chapelains.

Qu'elle est donc l'influence du cardinal de Palestrina sur le cursus honorum de ses compatriotes ? Pour certains d'entre eux, la protection de Pierre des Prés est évidente, notamment pour ceux qui deviennent bénéficiers à Braga. Ainsi, Bertrand IV de Crégols est chapelain du cardinal, et obtient un canonicat à Coïmbra (1342), l'archidiaconé de Vouga (1347), un canonicat à Braga (1353), un canonicat à Évora (1353) et divers bénéfices dans des

églises séculières portugaises189. Il en est de même pour Arnaud de Saint-Vincent, archidiacre

de Vouga (1334) puis chanoine de Coïmbra (1340), lui aussi chapelain de Pierre des Prés190.

Pierre Bertrand est procureur de Pierre des Prés dans son archidiaconé de Couto et devient en

1354 chanoine de Braga191. Guillaume Piloti est chargé de la même tâche en 1354, année où il

obtient du pape un canonicat sous expectative de prébende et une expectative de dignité à

Lisbonne192. Pons de Salavert est un montpezatais au service de Pierre des Prés et il ne fait

aucun doute que c'est par lui qu'il est pourvu en 1342 d'une grâce expectative de prébende à

Braga193. En tout, ce n'est pas moins d'une quinzaine de noms de clercs quercynois qui a pu

être identifiée dans les listes établies par Mário Fareló pour la période 1321-1361194.

Il est par contre difficile d'appréhender pour les autres clercs originaires du Quercy le rôle joué par leur puissant parent et protecteur à la Curie pour se voir octroyer un bénéfice dans un diocèse où leurs compatriotes avaient leurs habitudes. Durant la longue possession de l'archidiaconé de Couto par le cardinal des Prés (de 1321 à 1361), en suivant les relevés effectués par Gérard Pradalié, ce ne sont pas moins de 27 clercs quercynois qui occupent une prébende au sein du chapitre cathédral coïmbrien et 6 pour les prieurés des collégiales de la

187 Fareló, 2010, p. 104. 188 Fareló, 2010, p. 104. 189 Fareló, 2010, p. 116. 190 Fareló, 2010, p. 112. 191 Fareló, 2010, p. 137. 192 Fareló, 2010, p. 128. 193 Fareló, 2010, p. 143.

194 Fareló, 2010, p. 110-147. Cette estimation ne reflète toutefois pas la réalité, car le lieu de naissance de nombreux bénéficiers étrangers dans les chapitres portugais n'est pas connu.

cité195. Tous sont liés par le jeu complexe des mariages à la famille des Prés, à des degrés très divers. Ainsi, Jean de Cardaillac, issu d'une grande famille quercynoise liée aux des Prés, devient évêque de Caldas d'Orense en 1351, un diocèse qui est alors suffragant de l'archidiocèse de Braga. Faut-il y voir un appui du cardinal des Prés ?

Cette hypothèse est plus acceptable en ce qui concerne les nominations de deux évêques successifs de Coïmbra. En 1325, suite au décès de Raymond d'Ébrard, qui occupait le siège depuis 1319, le chapitre cathédral de cette ville a élu deux candidats, Egas Lourenço Magro, doyen de Lisbonne et Maître Barnabé, sans réussir à se départager pour l'un ou

l'autre196. Malgré le fait que Magro se trouve alors à la Curie, et donc près du Souverain

Pontife, il n'obtient pas l'assentiment pontifical. Jean XXII lui préfère un autre clerc, dévoué à son service, neveu de l'évêque défunt, Raymond II d'Ébard. Nous avons vu qu'il était déjà chanoine de Coïmbra et officier du chapitre depuis 1321. Il est sacré évêque en Avignon, en

avril 1325, par le cardinal des Prés197. Le choix d'un tel prélat consécrateur n'est pas innocent

et démontre l'existence de liens étroits entre les deux hommes. Une seconde preuve de cette idée est donnée par le fait que l'un des trois clercs désignés par Jean XXII pour exécuter la dispense accordée au cardinal des Prés de visiter lui-même son archidiaconé de Braga n'est

autre que Raymond II d'Ébrard, évêque de Coïmbra198. Enfin, Gailhard d'Ébrard, neveu de

l'évêque Raymond II, diplômé en droit civil, chanoine de Coïmbra depuis le 5 mars 1333199,

est nommé le 6 octobre200 de la même année par le pape à un canonicat, une prébende, ainsi

qu'à l'abbatiat de l'abbaye de Saint-Pierre-Latour dans le diocèse du Puy-en-Velay, bénéfices laissés vacants par la promotion à l'évêché de Coïmbra de Jean des Prés.

Pierre des Prés intercède sûrement directement auprès du pape pour qu'il nomme son neveu Jean sur le siège épiscopal de Coïmbra, suite au décès en Curie de Raymond II d'Ébrard, en utilisant le principe de la réserve apostolique. Jean des Prés est né en 1304 ou en

1305201, certainement à Montpezat-de-Quercy. Il est le fils de Raymond II des Prés, frère de

Pierre, et le frère d'un autre Pierre, qui lui succédera en 1348 comme évêque de Castres202. Il

est pourvu d'un canonicat, d'une prébende et de la dignité abbatiale dans l'abbaye de

Saint-195 Pradalié, 1982, p. 384-386.

196 Fareló, 2010, p. 96.

197 Albe, 1905, p. 43.

198 Lettres communes de Jean XXII, n° 053449.

199 Albe, 1905, p. 100.

200 Lettres communes de Jean XXII, n° 061685.

201 L'année précise de sa naissance nous est donnée par la bulle qui le nomme à l'abbatiat de Saint-Pierre-La-Tour, et qui précise qu'il est âgé de 20 ans en 1325. Mais en décembre 1326, il est dit âge de 22 ans. Voir

Lettres communes de Jean XXII, n° 022159 et 027173.

Pierre-La-Tour, dans le diocèse du Puy-en-Velay, le 30 avril 1325, bénéfice vacant suite à la mort de son titulaire Jaucerand Mallet, malgré son jeune âge (20 ans). Il étudie alors le droit civil, comme son oncle, et le pape lui accorde en juin 1325 un indult afin qu'il puisse

percevoir les revenus de son canonicat sans être pour autant astreint à résidence203. L'année

suivante, le 2 décembre 1326, Jean XXII lui octroie, toujours grâce au principe de la réserve

apostolique, un canonicat, une prébende et l'office de sacriste de la cathédrale de Majorque204.

Il est toujours étudiant en 1327205, et le pape lui accorde à nouveau un indult de non résidence.

À la mort en Avignon de Raymond II d'Ébrard, Jean XXII le nomme le 23 août 1333 évêque

de Coïmbra206, avec une dispense à cause de son âge (28 ans) et au fait qu'il n'est pas prêtre

mais doté de qualités insignes207. Le nouveau prélat tarde à payer son droit de nomination à la

Chambre apostolique, puisque ce n'est que le 18 septembre 1336 que les 500 florins d'or dus

sont réglés, via Raymond de Solerio, chapelain du cardinal des Prés208.

La nomination de Jean des Prés à Coïmbra n'est pas du goût du roi Denis de Portugal. Le monarque tente depuis plusieurs années de réserver les sièges épiscopaux de son royaume à des lusitaniens, pour contrecarrer la possession de ces bénéfices par ces clercs étrangers. Déjà, nous l'avons vu, à la mort de Raymond I d'Ébrard, le pape avait nommé le neveu du défunt contre deux candidats portugais. Jean des Prés ne semble pas s'être jamais déplacé au Portugal. Il envoie depuis Avignon avec le titre de vicaire Arnaud de

Saint-Vincent. Ce dernier, natif du Quercy209, est licencié en droit civil, chapelain du cardinal de

Palestrina et chanoine de la collégiale de Saint-Étienne du Tescou à Montauban depuis le 11 mars 1318210. Par l'entremise de Jean des Prés, il est pourvu le 25 septembre 1334 de

l'archidiaconé de Vouga, dans le diocèse de Coïmbra211. À son arrivée au Portugal, il est reçu

très froidement par le roi, qui conteste la nomination de Jean des Prés. Peut-être ce climat suspicieux explique t-il le fait que le 23 février 1334, Jean XXII demande au prieur du monastère de la Sainte-Croix, au prieur séculier de Saint-Just et au grand trésorier de Coimbra d'exécuter la citation à comparaître devant la Curie pontificale des administrateurs du

203 Lettres communes de Jean XXII, n° 022482 et 022558.

204 Lettres communes de Jean XXII, n° 027173.

205 Lettres communes de Jean XXII, n° 027567.

206 Lettres communes de Jean XXII, n° 061049.

207 Lettres communes de Jean XXII, n° 061050. La bulle précise que Jean des Prés est clericali caractere tantum insignum.

208 Göller, 1920, p. 58.

209 Il est très certainement originaire de la commune de Saint-Vincent d'Autéjac, près de Montpezat-de-Quercy.

210 Lettres communes de Jean XXII, n° 006566.

211 Lettres communes de Jean XXII, n° 064049 et Fareló, 2010, p. 104. Le 7 février 1335, il obtient une grâce

expectative de Benoît XII pour un bénéfice séculier, avec ou sans cure, dans le diocèse de Montauban. Voir

temporel de leur diocèse (tous chanoines et officiers ou dignitaires du chapitre) durant la

vacance du siège épiscopal et avant l'envoi d'Arnaud de Saint-Vincent 212.

D'autres prélats de la Curie pontificale, à l'image de Pierre des Prés, appliquent la même politique en faveur de leurs familiers ou de leurs compatriotes. Guillaume de La Garde213, archevêque de Braga de 1349 à 1361 (l'un des évêchés les plus lucratifs du royaume), et son frère Étienne, évêque de Lisbonne de 1344 à 1348, semblent favoriser 21 clercs, qui sont tous ses commensaux ou originaires du Limousin : ils occupent des bénéfices

dans les diocèses de Braga, Coïmbra, Lisbonne ou Porto214 et comblent ainsi des canonicats,

prébendes et dignités laissées libres suite aux décès provoqués par l'épidémie de peste noire. Guillaume de la Jugie, cardinal-diacre de Sainte-Marie in Cosmedin (1342-1368) puis cardinal-prêtre de Saint-Clément (1368-1374), est chanoine de Braga, de Coïmbra, de

Lisbonne, de Porto et d'Évora215. Mario Fareló a relevé 9 de ses protégés comme bénéficiers

dans les diocèses lusitaniens216. Il est vrai qu'il a obtenu du pape Clément VI, au début de son

pontificat, le droit de concéder des bénéfices dans les provinces de Compostelle et de Braga,

même vacants, jusqu'à la concurrence de 1500 livres217.

Pierre des Prés a-t-il joué un rôle dans les relations entre le royaume de Portugal et la papauté ? Le Portugal ne bénéficie, durant la papauté d'Avignon, d'aucun cardinal lusitanien. Pour défendre ses intérêts, la couronne portugaise a dû se rallier à des cardinaux étrangers, en premier lieu ibériques, comme le cardinal Gil de Albornoz, détenteur de très nombreux bénéfices ecclésiastiques dans ce pays. Guillaume de la Jugie prête son soutien en 1346 aux

négociations entre le roi Alphonse IV et la reine Béatrice, peut-être pour les mêmes raisons218.

Si cette hypothèse soulevée par Mário Fareló219 s’avérait être fondée, alors Pierre des Prés, au

vu de ses nombreux et lucratifs bénéfices au Portugal, pourrait avoir été, lui-aussi, un des promoteurs de la couronne lusitanienne auprès des papes d'Avignon.

Il est enfin frappant de constater que la place des clercs étrangers qui occupent des bénéfices ecclésiastiques au Portugal diminue de manière très significative après 1360. Pour

Mário Fareló220, cela est dû à une conjonction de conditions ponctuelles : épidémies de peste

212 Lettres curiales de Jean XXII, n° 063886.

213 Guillaume de La Garde est né à Tulle. Chanoine d'Orléans, il est nommé évêque de Périgueux en 1348 puis archevêque de Braga en 1349 et archevêque d'Arles en 1361. Nommé patriarche de Jérusalem, il meurt en 1374. Voir Morembert, 1981. 214 Fareló, 2010, p. 112-147. 215 Fareló, 2010, p. 127. 216 Fareló, 2010, p. 112-147. 217 Fareló, 2010, p. 105. 218 Fareló, 2010 (2), p. 742. 219 Fareló, 2010 (2), p. 742-743. 220 Fareló, 2010, p. 102-103.

qui déciment le collège cardinalice, meilleure efficacité des ambassadeurs portugais en Avignon mais également le climat de guerre qui s'installe dans le royaume à la fin des années 1360. Mais nous pouvons supposer que la disparition du dernier cardinal quercynois de la Curie pontificale en 1361 marque la fin de la protection des clercs de cette province et l'obtention facilitée pour eux de bénéfices ecclésiastiques, notamment au Portugal et dans le

diocèse de Coïmbra, « fief » traditionnel depuis le XIIIe siècle, où ils laissent la place à des

prélats espagnols.

3.2 L'Angleterre : des bénéfices et des protégés

Le Quercy entretient des rapports privilégiés avec l'Angleterre depuis la fin du XIIe

et le début du XIIIe siècle. De nombreux marchands de Cahors ou d'autres cités de la province

méridionale commercent avec Londres notamment, via le port de La Rochelle, certains se fixant définitivement outre-Manche221. Il en est de même pour Montauban, où certaines

familles bâtissent leur fortune sur le commerce du vin en direction de l'Angleterre222. Il n'est

donc pas étonnant que Jean XXII ait confié à certains de ses compatriotes des bénéfices outre-Manche.