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II. Les travailleurs et leurs droits 176

1)   Revendiquer 181

Lorsqu’il revient d’un séjour à l’étranger de plusieurs années, Christophe cherche un emploi. Il est au départ très confiant : il pense trouver rapidement du travail, au vu de son expérience professionnelle à l’international et de sa bonne maitrise de plusieurs langues. Il envoie de nombreux CV, est reçu à des entretiens, mais ne reçoit pas d’offre d’emploi concrète pendant plusieurs mois. Désemparé, il se tourne vers l’Office régional pour l’emploi, où il rencontre un conseiller avec qui il aborde sa stratégie de recherche d’emploi. Il explique, entre autres, qu’il précise toujours d’emblée au potentiel employeur, lors du premier entretien, qu’il est déficient visuel et reconnu handicapé. Le conseiller lui suggère de cacher son handicap jusqu’au moment de la signature du contrat. Il adopte cette stratégie et pose sa candidature auprès d’une société de grande distribution. Il est reçu pour un entretien d’embauche, durant lequel il ne précise pas son handicap. Il passe ensuite toutes les phases de la sélection jusqu’à ce qu’on lui propose un contrat. Lors de la négociation des conditions salariales, il dit qu’il est intéressé par la voiture de société proposée mais qu’il ne peut néanmoins pas la conduire en raison de problèmes sévères de la vue. L’employeur retire son offre d’emploi quelques jours plus tard et justifie cette décision par le fait qu’il ne pourra pas effectuer de déplacements. Face à cette situation qu’il juge injuste, Christophe se tourne vers l’Office régional pour l’emploi, qui l’oriente vers le Centre pour l’égalité des Chances.

- Enquêté : « A partir de ce moment-là, on a engagé... un dialogue avec l'employeur, et on est arrivé, finalement, à un accord... par rapport au paiement de dédommagements... par rapport à la situation. Et je dois dire que, en fait, très peu de temps après que cet employeur a retiré son offre, j'étais en parallèle en discussion avec [son employeur actuel], et j'ai eu très rapidement une offre d'emploi que j'ai signée donc à partir du mois de janvier, comme je vous ai dit tout à l'heure, j'ai commencé à travailler ici […]. Donc... bon, finalement voilà, enfin, les discussions avec le Centre pour l'égalité des chances et l'autre employeur, c'était plus une question de principe plutôt que, par exemple, de forcer cet employeur à me refaire une offre de contrat ou quelque chose comme ça. […] - Enquêtrice : « Et, qu'est-ce que c'était votre objectif ? Vous m'avez dit que c'était plutôt un combat de principe parce que vous aviez une autre offre [il acquiesce] qui était en train de se concrétiser ailleurs. Quand vous êtes allé pour la première fois au Centre pour l’égalité des chances, est-ce que vous aviez une idée particulière de ce que vous... ? »

- Enquêté : « Pas vraiment… C'était plus le sentiment d'avoir été traité de façon... injuste. Et donc... juridiquement, j'étais pas du tout au courant de ce que dit la législation, de ce qui est possible d'obtenir en matière de dédommagements etc. donc... Voilà enfin, j'y allais vraiment sans avoir aucune idée de ce qui allait pouvoir être fait. Mais, donc, c'est au fur et à mesure des entrevues avec [son interlocutrice au Centre pour l’égalité des chances] que, voilà enfin, j'ai expliqué ce qui s'était passé, on a commencé une correspondance par le biais d'avocats, par rapport au cas précis, et puis on en est arrivé relativement rapidement au fait de demander des dédommagements pour... le tort qui avait été... provoqué dans la situation. À la base, moi, je ne savais même pas que j'allais avoir droit à ce type de dédommagements donc c'était plus savoir ce qu’il y avait moyen de faire par rapport à des situations comme ça où les employeurs se comportent de façon... très limite, je trouve. Même en ne connaissant pas la loi, en termes de principes, c'est quand même relativement – je trouve – choquant, alors que, justement, ce type d'entreprises sont les premières à communiquer sur l'égalité des chances et sur la diversité, sur leur responsabilité sociale... »

Face à une situation qu’il perçoit comme injuste, Christophe décide d’entamer une procédure de contestation qu’il décrit comme un « acte de principe ». Au départ, il explique qu’il n’avait pas connaissance de la législation qui interdit la discrimination des travailleurs en raison du handicap, mais que « même en ne connaissant pas la loi », il a estimé qu’il s’agissait d’une situation qui, « en termes de principes », n’était pas juste. S’il n’entame pas la procédure avec l’idée qu’il pourra recevoir des dédommagements financiers pour ce refus d’embauche, il apprend rapidement qu’il y aura droit et décide de poursuivre la procédure jusqu'à son terme. Lorsque l’audience au tribunal du travail est fixée, l’employeur propose une transaction et paie des dédommagements au candidat pour le refus d’embauche. Christophe estime qu’il a mené son combat jusqu’au bout car

l’entreprise a reconnu ses torts et proposé un dédommagement. De plus, elle s’est engagée à mettre en place des politiques de recrutement plus transparentes.

Ce premier profil se traduit ainsi par la formulation d’une revendication en termes de droits, initiée par le travailleur suite à une situation qu’il juge injuste. Avec l’aide et le soutien d’intervenants extérieurs, en l’occurrence le Centre régional pour l’emploi, le Centre pour l’égalité des chances et des avocats, le travailleur a construit sa revendication en l’appuyant sur le droit antidiscriminatoire. Il a demandé à l’employeur non seulement de le dédommager pour le préjudice subi, mais aussi de respecter ses obligations en matière d’égalité de traitement.

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