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Etre en avance sur le droit de la non-discrimination: le handicap comme

I. Les réponses des employeurs 149

1)   Etre en avance sur le droit de la non-discrimination: le handicap comme

Dans une partie des entreprises privées et des services publics de notre enquête, le discours dominant est fondé sur l’idée d’une déconnexion entre management du handicap et les obligations légales. Dans ces organisations, surtout dans le secteur privé, le handicap est pris en charge au sein d’un service de gestion de la diversité, souvent déconnecté du service de gestion des ressources humaines. Le droit de la non- discrimination est cité, par les responsables diversité, comme une ressource pour mener des actions dans le domaine du handicap. Un responsable diversité dans une entreprise de télécoms et internet considère que la société dans laquelle il travaille, une multinationale américaine, anticipe le droit plus qu’elle ne le suit. Selon lui, les législations françaises de 2005 et de 2008 n’ont pas du tout modifié les pratiques en interne, dans la mesure où les

158 Ces deux auteures émettent toute une série d’hypothèses pour expliquer la faible prise en compte

d’une logique de non-discrimination au sein du secteur hospitalier, qui vont dans le sens des constats posés dans ce rapport de recherche. Elles soulignent notamment les spécificités de la fonction publique hospitalière française : l’universalisme républicain français, spécialement présent dans la fonction publique, apparaît réticent à l’égard d’un principe d’adaptation pragmatique du droit aux besoins particuliers des personnes ; l’habitus de la fonction publique, très hiérarchique et codifié, peine à s’approprier un droit de la non-discrimination moins procédural et plus labile que le droit administratif ; ou encore la forte production de situations de handicap au sein de la fonction publique hospitalière associée au contexte de gestion à flux tendus des ressources humaines, incite à concentrer l’essentiel des efforts dans le maintien dans l’emploi et le respect du quota d’emploi légal de travailleurs handicapés.

politiques de diversité prévoyaient déjà des mesures qui permettaient de garantir l’égalité professionnelle des travailleurs avec un handicap, notamment un observatoire des carrières des travailleurs handicapés, créé sur la demande d’un groupe de travail de travailleurs handicapés et visant à mesurer les performances de ces travailleurs années après années pour éventuellement corriger les écarts salariaux entre employés.

Enquêtrice : « - Et est-ce que vous pouvez me dire s’il y a eu déjà des modifications, depuis la loi de 2005 sur le handicap en France, ou depuis les législations en matière de non-discrimination, dans la politique [de votre société] en France ? »

Enquêté : - « Il n’y a rien qui nous oblige à faire ce genre de dispositifs, comme l’observatoire des carrières des travailleurs handicapés, c'est même pas dans l'accord d'entreprise, c'est quelque chose qu'on fait en plus. Donc je ne vois pas… A chaque fois qu'on trouve des choses qui peuvent améliorer la situation des personnes handicapées, on va essayer de les mettre en œuvre. Mais ça, rien ne nous y oblige formellement de par la loi […] Si on parle toujours de [notre filiale française], on a été les premiers à signer cet agrément avec l'AGEFIPH, on était déjà plutôt en avance par rapport à la législation, donc quand la législation est arrivée, on n'a pas beaucoup vu la différence, c'est pas ça qui nous a fait bouger. » (Manager de la diversité, secteur télécoms et internet en France)

Tout comme dans les entreprises dans lesquelles Laure Bereni a réalisé ses enquêtes (Bereni, 2015), les managers de la diversité et du handicap mettent en avant les bienfaits d’une politique de recrutement de travailleurs handicapés dans une perspective de management inclusif, permettant à l’entreprise d’innover, de s’adapter, mais aussi de devenir le reflet d’une société plurielle. Ils considèrent ainsi que leur politique en matière de handicap, outre le fait qu’elle est le produit d’une initiative interne à l’entreprise, permet de servir les intérêts économiques de l’organisation.

« Une personne handicapée est une personne qui doit sans cesse s’adapter, trouver des solutions à des problèmes concrets qui se posent pour elle tous les jours : se déplacer, sortir, aller au cinéma, au restaurant, tout demande d’être créatif quand on est, comme moi, dans une chaise roulante. Mais c’est pareil pour ceux qui sont déficients auditifs, visuels,… […] quand on recrute un travailleur handicapé, on recrute quelqu’un qui innove sans cesse, qui est créatif. Donc nous on le voit comme un plus pour [notre société] » (Manager diversité, entreprise multinationale en Belgique)

Les législations en matière de non-discrimination s’apparentent, dans leurs discours, à des ressources qu’ils peuvent mobiliser pour faire évoluer leur politique en matière de handicap. Ainsi, un manager de la diversité explique que les législations ont permis de faire évoluer les mentalités de leurs prestataires, et que cette évolution a facilité le développement d’une politique en matière de handicap en interne. Ce discours, particulièrement prégnant dans les entreprises privées, est parfois également défendu par des agents des services publics qui ont une attitude similaire vis-à-vis des législations en matière de non-discrimination. Un chargé de la diversité au sein d’une administration

communale en Belgique considère aussi que la loi du 10 mai 2007 constitue une ressource pour les actions qu’il met en place avec les travailleurs handicapés dont il assure le suivi de carrière.

« Suite à la loi, on a créé un label diversité. Donc [la ville] était une des premières villes à signer une Charte pour son administration mais aussi pour le politique qui dit : ‘Ben voilà, on veut que notre administration soit le reflet du citoyen’. Et donc, que l’administration puisse accueillir entre guillemets tout le monde, malgré sa différence. Donc mettre en place les structures pour permettre à tout en chacun de pouvoir avoir accès aux fonctions de l’administration. Donc ça que ce soit le handicap, que ce soit les personnes étrangères, que ce soit les personnes d’une autre religion ou qui ont des orientations philosophiques ou sexuelles différentes, donc tout ça n’entre pas en ligne de compte. » (Chargé de la diversité et du suivi des travailleurs AWIPH, administration communale en Belgique)

Ces chargés de mission handicap et diversité tendent, dans leurs discours, à envisager le handicap comme tout autre critère de leur politique de diversité, qui est calquée sur les critères de discrimination prévus par la loi (Bereni, 2015). Ils parlent ainsi de façon indissociée de leur politique à l’égard des LGBT, des personnes d’origine étrangère ou des femmes. Les initiatives qu’ils mettent en place visent cependant à créer des outils de gestion spécifique au handicap, qui facilitent sa gestion dans l’entreprise. Ainsi, une responsable diversité explique qu’ils ont mis en place des collaborations avec le SELOR [organisme officiel de recrutement de la fonction publique belge] pour aménager les épreuves du recrutement.

« Notre site de recrutement a été adapté donc quand vous allez sur notre site de recrutement, vous pouvez indiquer dans le processus que vous avez besoin d’aménagement, lié à votre, à un handicap, et à ce moment là on prend contact avec vous par mail pour voir de quoi vous avez besoin exactement, et on fait en sorte que vous ne soyez pas discriminé. Et nous avons un accord de partenariat avec le SELOR si on fait face à un moment donné à un handicap pour lequel nous n’avons pas l’expertise » (Responsable diversité, compagnie d’assurance en Belgique)

Les différents chargés de mission diversité mettent en avant le caractère proactif de ces initiatives, fondées sur des mesures mises en place en interne sans qu’il n’y ait d’incitation légale à adopter ce type de mesures. Si des dispositions juridiques encadrent la non-discrimination, les responsables diversité mettent en avant le fait que leur politique constitue une anticipation des obligations légales, plus qu’une réponse aux législations en matière de handicap. Néanmoins, ils définissent les contours de la diversité en s’appuyant sur les critères de discrimination contenus dans la loi.

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