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Deux profils distincts, un investissement différencié autour du droit 93

I. Les acteurs syndicaux 78

1)   Deux profils distincts, un investissement différencié autour du droit 93

Le syndicalisme belge se préoccupe de la question du handicap depuis de nombreuses années, notamment car les entreprises de travail adapté (ETA), qui engagent des travailleurs handicapés, ont également des délégations syndicales en leur sein. Les permanents syndicaux des centrales chargées de la gestion des ETA sont particulièrement sensibilisés aux difficultés d’insertion des travailleurs avec un handicap. En parallèle, depuis une dizaine d’années, des postes de responsables diversité ont été créés au sein des régionales syndicales. Ces derniers ont pour mission de veiller au respect des principes de non-discrimination au sein des centrales et des délégations en entreprise. Parmi leurs missions, ils sont amenés à se pencher aussi sur le handicap et sur les moyens d’action dont ils disposent pour lutter contre les discriminations à l’encontre des travailleurs en situation de handicap. Ainsi, les syndicalistes qui prennent en charge le handicap peuvent être répartis en deux groupes aux profils distincts.

Les premiers sont issus « du terrain », c’est-à-dire qu’ils ont eux-mêmes travaillé en entreprise, avant d’être recrutés comme permanents syndicaux. Ainsi, un permanent de la CSC a débuté sa carrière comme ouvrier dans le secteur du bâtiment. Il est ensuite devenu délégué syndical dans son entreprise, avant qu’on lui propose de poser sa candidature pour devenir permanent à la Centrale Bâtiment-Industrie-Energie, en charge de la gestion des Entreprises de Travail Adapté (ETA). Il estime que sa connaissance des réalités de terrain est un atout essentiel pour pratiquer son métier de permanent, surtout lors de la négociation avec les employeurs. Les seconds acteurs en charge du handicap ont des parcours professionnels différents. Ils ont intégré leur organisation syndicale directement en tant que salarié, soit à la sortie de l’école, soit après avoir travaillé quelques années dans une entreprise, souvent avec un statut d’employé. Ils n’étaient pas forcément affiliés à leur syndicat avant d’avoir été recrutés, et n’ont donc pas occupé la fonction de délégué syndical sur le terrain. Ainsi, une responsable diversité est arrivée à

la CSC en 2003, à la sortie de ses études de travail social. Ses parents et proches ont toujours été affiliés à la CSC. Elle, pour sa part, n’était pas syndiquée lorsqu’elle a postulé pour cet emploi, mais s’est syndiquée à la suite de son recrutement. Elle est d’abord recrutée comme responsable des jeunes de la CSC, puis devient, 7 ans plus tard, responsable diversité. Elle a très peu de contacts avec les affiliés, dont elle suit les dossiers par l’intermédiaire du délégué syndical ou du permanent de la centrale concernée.

Ces deux groupes de syndicalistes ne sont pas confrontés aux mêmes situations en matière de handicap. Les permanents et les délégués sont sollicités pour intervenir autour de toutes sortes de problèmes entre employeurs et travailleurs, qui peuvent être liés à l’état de santé ou au handicap du travailleur. Ce sont eux qui peuvent, dans certains cas, renvoyer des dossiers de travailleurs aux responsables diversité, s’ils pensent qu’il pourrait s’agir d’une discrimination. Les responsables diversité, quant à eux, ne sont saisis de dossiers en matière de handicap que si les permanents et délégués ont jugé opportun de leur transmettre. Ainsi, ils ne sont sollicités que sur un nombre limité de dossiers, lorsque la qualification de l’injustice en tant que discrimination a déjà été opérée en amont.

Quand ils ont connaissance de problèmes rencontrés par un travailleur concernant son handicap ou son état de santé, les acteurs syndicaux font un usage variable du droit en fonction de leur parcours syndical et professionnel, ainsi que de leur position dans l’organisation syndicale et du moment où ils sont saisis141. Les délégués et permanents

dans les centrales font généralement peu référence aux législations qui encadrent le travail comme un outil sur lequel ils peuvent s’appuyer pour négocier avec les employeurs ou pour régler des situations concrètes de désaccord entre un travailleur et un employeur en raison du handicap. Ils estiment plutôt que d’autres répertoires d’action sont prioritaires dans leurs actions. Par exemple, la médiatisation constitue une stratégie primordiale pour faire en sorte que les employeurs soient informés des possibilités qui existent en matière de recrutement et de maintien dans l’emploi de travailleurs avec un handicap.

« Nos principales actions visent à mettre en avant des entreprises dans lesquelles il y a de bonnes pratiques. On a un employeur par exemple qui a recruté plusieurs travailleurs handicapés. Trois exactement. Donc on essaie, à l’occasion de la journée du handicap le 3 décembre, de mettre ce type de bonnes pratiques en avant. On a nos contacts dans la presse, donc on utilise beaucoup ce canal. » (Permanent, CSC)

Cette sensibilisation est perçue comme le meilleur moyen d’inciter les employeurs, car tout repose sur leur bonne volonté, face aux faibles incitants financiers.

141 Par contre, la prise en charge ne semble pas différer significativement en fonction des syndicats

concernés (FGTB, CSC, CGSLB), lesquels travaillent d’ailleurs parfois en front commun autour des questions de discrimination et handicap.

« Dans le milieu ordinaire, c’est compliqué de faire en sorte que l’employeur fasse un effort. On avait eu une opportunité, avec le Fonds d’expérience professionnelle, de faire en sorte qu’un employeur conserve en emploi un travailleur qui a subi un accident de travail et qui n’est plus aussi efficace qu’avant. Mais ce fonds n’a plus la même enveloppe qu’avant donc c’est difficile de motiver les employeurs. Il faut beaucoup de bonne volonté. » (Permanent CSC)

De plus, les permanents estiment qu’aucune législation ne contraint les entreprises à recruter ou maintenir dans l’emploi des travailleurs avec un handicap. Un permanent CSC considère que, lorsqu’il est confronté à des travailleurs individuels qui ont une difficulté avec leur employeur au sujet de leur handicap, il n’a pas les moyens de faire pression sur l’employeur. S’il y a une délégation syndicale dans l’entreprise, il prend contact avec les délégués sur place pour voir avec eux si l’employeur a bien étudié les possibilités de reclassement ou d’aménagement de poste avec le Comité pour la Prévention et la Protection du Travail (CPPT)142

. S’il n’y a pas de représentants syndicaux dans l’entreprise, il estime qu’il ne peut rien faire.

« Quand la personne a un accident du travail, qu’elle est licenciée pour force majeure médicale, il n’y a aucune obligation pour l’employeur de le garder. Que voulez-vous qu’il fasse ? » (Permanent, CSC)

La seule stratégie qui est envisagée est d’inciter le travailleur à faire reconnaître son handicap pour qu’il puisse demander une place dans une entreprise de travail adapté. Il s’agit donc de quitter le milieu de travail ordinaire, dans lequel les syndicalistes estiment que le travailleur ne trouvera plus d’emploi, a fortiori dans un contexte de crise économique.

« Les gens peuvent toujours venir se plaindre ici, mais on n’a aucun moyen de contraindre les employeurs. Donc nous, on dit aux gens d’aller à l’AVIQ [Agence pour une VIe de Qualité] pour se faire reconnaître comme handicapé, comme ça ils pourront demander à intégrer une ETA. Mais bon, c’est complètement bouché les ETA puisqu’on ne crée plus de nouveaux postes. » (Permanent syndical, CSC)

Aux yeux des permanents syndicaux, le droit apparaît comme un outil très peu contraignant pour les employeurs, qui ne permet pas de mener une action visant la réintégration ou le maintien dans l’emploi du travailleur. Il ne constitue donc pas une arme efficace dans le combat syndical, qui doit plutôt se focaliser sur l’augmentation des budgets octroyés aux entreprises de travail adapté, afin qu’elles puissent recruter davantage de travailleurs, en dehors du travail ordinaire.

Contrairement aux permanents, les responsables diversité ne sont confrontés qu’à des dossiers de travailleurs qui leur sont transmis par les délégués et permanents qui présument qu’il pourrait s’agir d’une discrimination. Ils ont très rarement des contacts

142 Les Comités pour la Prévention et la Protection du Travail sont mis en place dans les entreprises de

plus de 50 travailleurs. Ils ont pour mission de mettre en œuvre toutes les actions possibles pour favoriser le bien-être des travailleurs. Pour plus d’information, voir http://cppt-conseildentreprise.be/fr

directs avec les travailleurs, mais agissent plutôt en tant qu’appui aux représentants syndicaux sur le terrain. Les responsables diversité mobilisent très régulièrement le droit. Ils fondent d’ailleurs leur action sur la législation contre les discriminations du 10 mai 2007, qui définit les contours de leur activité et de leurs actions auprès des travailleurs. Ils ont été recrutés pour veiller à la bonne application et à la diffusion des principes de non- discrimination contenus dans la loi. D’emblée, lorsqu’ils assistent un travailleur qui a été licencié en raison de son handicap ou d’un accident de travail, les syndicalistes se réfèrent au droit, qu’ils considèrent comme un outil central dans la négociation avec les employeurs.

Souvent, ils se réfèrent d’abord aux législations sociales qui concernent l’ensemble des travailleurs : motivation du licenciement, bien-être des travailleurs, etc. puis se réfèrent à la loi de 2007 contre les discriminations dans un deuxième temps.

« On utilise les armes juridiques classiques, donc pas toujours la loi discrimination d’ailleurs. Là [dans un dossier], on a d’abord commencé par demander la motivation du licenciement, classique. C’est la CCT 109, je crois qui autorise ça. Et, on n’a pas été satisfait de la motivation donnée par l’employeur qui nous met deux, trois lignes en disant ‘Elle ne gère pas bien ses projets’. Je trouvais ça fort léger. Du coup, j’ai ré-insisté avec un envoi de recommandé en lui mettant en avant les critères de la loi discrimination, en mettant que, comme il engage une personne handicapée, il doit vraiment motiver que le licenciement n’est pas dû à son handicap et que le fait qu’il justifie ça par insuffisance de résultats moi ça me laisse supposer une discrimination parce que ça voudrait dire qu’elle n’est pas assez rentable. Or c’est normal qu’elle ne soit pas assez rentable puisqu’elle est en, parce qu’elle a un handicap reconnu et qui a un effet, ce handicap, sur son état de santé donc elle est souvent malade quoi, elle est régulièrement absente. Et là l’employeur m’a fourni plus de preuves. » (Responsable diversité CSC)

Les responsables diversité estiment que les dispositions légales relatives à la non- discrimination sont plus efficaces pour faire pression vis-à-vis des entreprises qui craignent d’être attaquées sur un terrain plus sensible, qu’elles maîtrisent moins bien que le droit du travail classique.

« Disons que bien souvent, en tout cas dans les grosses entreprises structurées, ils sont assez à l’aise avec la législation du travail, ils la connaissent, ils la pratiquent au quotidien et donc s’ils ont licencié quelqu’un pour faute grave, c’est qu’ils ont monté un dossier qui tient un peu la route. Ça n’empêche pas qu’on attaque parfois et qu’on gagne. Parfois, on attaque sur les deux fronts : législation du travail et discrimination. Comme la loi discrimination ne ressort pas de la législation du travail, ils sont souvent un peu désarmés par rapport à ça, ce n’est pas leur spécialité. Et je pense aussi, maintenant je n’hésite pas, parfois, dans certaines boîtes, à jouer aussi la pression sur l’image de marque de l’entreprise quoi. Les grosses boîtes qui veillent à leur image de marque, ils aiment pas si on fait un article disant qu’ils ont licencié une personne handicapée ou une personne étrangère. La législation du travail ça fait moins peur j’ai, j’ai le sentiment qu’ils

sont plus à l’aise avec ça, ils ont plus d’expérience… » (Responsable diversité CSC)

Le droit constitue, aux yeux des responsables diversité, une porte d’entrée pour examiner le problème rencontré par un travailleur. Cependant, ils estiment que la mobilisation du droit dans les conflits entre travailleur et employeur est une arme qu’il faut manier avec beaucoup de prudence car le droit peut représenter une menace qui viendrait perturber l’équilibre précaire de nombreuses relations de travail.

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