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Les bénéficiaires du droit à l’aménagement raisonnable : une définition

III. La réception du droit à l’aménagement raisonnable pour les travailleurs

1)   Les bénéficiaires du droit à l’aménagement raisonnable : une définition

Un premier constat s’impose à l’examen de cette jurisprudence : dans la plupart des affaires, les juges adoptent une approche large du handicap lorsqu’ils appliquent le droit antidiscriminatoire. Le handicap dans le cadre de cette législation n’est pas limité au sens donné à cette notion par les législations citées plus haut relatives aux quotas de recrutement ou aux allocations spécifiques accordées aux personnes handicapées.

Ni la directive 2000/78, ni la législation belge relative à la non-discrimination ne contiennent de définition du handicap. Cependant, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à préciser ce concept dans sa jurisprudence. Dans un premier arrêt rendu en 2006, dans l’affaire Chacon Navas, la Cour affirme qu’il s’agit d’une notion de droit communautaire qui doit faire l’objet d’une interprétation autonome et uniforme78

. Elle insiste sur la différence entre « handicap » et « maladie », observant qu’une « assimilation pure et simple des deux notions est exclue »79

. Elle met en avant deux critères pour caractériser le handicap dans le contexte de la directive antidiscrimination : la « notion de handicap doit être entendue comme visant une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques et

77 En ce sens, voir aussi (Neven, 2008) et, du même auteur (Neven, 2013).

78 Aff. C-13/05, Sonia Chacon Navas c. Eurest Colectividades SA, 11 juillet 2006, § 42. 79 Id., § 44.

entravant la participation de la personne concernée à la vie professionnelle »80

. En outre, il doit être probable qu’elle soit de longue durée81

. Cette caractérisation du handicap a été critiquée par certains auteurs qui l’ont jugée réductrice parce que n’intégrant pas la dimension sociale du concept82

.

Postérieurement à cet arrêt, a été adoptée la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, qui, elle, contient une définition. Les personnes handicapées y sont décrites comme « des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres » (art. 1, al. 2). Cette définition fait de l’interaction entre l’incapacité affectant une personne et son environnement un élément de définition du handicap, alors que ce critère était absent de l’arrêt Chacon Navas.

Dans sa jurisprudence ultérieure, la Cour de justice a reformulé sa conception du handicap en tenant compte de cette définition. Les arrêts Jette Ring et Leone Skouboe Werge de 2013 précisent ainsi qu’un handicap peut avoir pour origine une maladie, qu’elle soit curable ou incurable, dès lors que cette maladie « entraîne une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs, et que cette limitation est de longue durée. »83

Autre précision importante : un handicap « n’implique pas nécessairement l’exclusion totale du travail ou de la vie professionnelle »84

, il suppose seulement « une gêne à l’exercice d’une activité professionnelle » 85

.

Au niveau belge, un Protocole conclu en 2007 entre l’Etat fédéral et les différentes entités fédérées afin de fixer les critères devant guider l’interprétation du concept d’aménagement raisonnable86

apporte des précisions sur la notion de handicap, sans établir de définition formelle afin de laisser ouverte la possibilité d’évolution. Les indications fournies rejoignent la jurisprudence de la Cour de justice : « il faut entendre par handicap toute limitation durable et importante de la participation d'une personne, due

80 Id., § 43. 81 Id., § 45.

82 Voy. L. Waddington, « Case C-13/05, Chacon Navas v. Eurest Colectividades SA », C.M.L.R.,

(2007) 44.

83 Aff. C-335/11 et C-337/11, Jette Ring et Lone Skouboe Werge, 11 avril 2013, § 41. 84 Point 43.

85 Point 44. Sur la notion de handicap, voir aussi Aff. C-363/12, Z., 2014 et Aff. C-354/13, 18

décembre 2014.

86 Protocole relatif au concept d'aménagements raisonnables en Belgique en vertu de la loi du 25

février 2003 tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l'égalité des chances et de lutte contre le racisme (M.B. 20.09.2007).

à l'interaction dynamique entre 1) des déficiences de nature mentale, physique, psychique ou sensorielle, 2) des limitations lors de l'exécution d'activités et 3) des facteurs contextuels personnels et environnementaux. »87

Le Protocole précise également qu’un handicap peut avoir des causes multiples : il peut toucher la personne dès la naissance ou postérieurement, en raison d’une maladie, d’un accident ou d’un âge avancé.

Les juges belges se réfèrent largement à ces différents documents – et en particulier à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne – lorsqu’ils doivent déterminer si une personne peut être qualifiée de « handicapée » au sens de la législation antidiscriminatoire. Ont ainsi été reconnus comme présentant un handicap : une femme de ménage atteinte d’arthrose88

, une employée de grand magasin souffrant de problèmes d’appréhension des mains89

, une aide-soignante ne pouvant plus réaliser de travail de manutention90

, un travailleur du port d’Anvers atteint de diabète de type 191

, un traducteur-interprète présentant des lésions du dos92

, une personne dyslexique93

, des individus souffrant de sclérose en plaque94

ou encore une personne atteinte d’obésité95

. Dans une affaire, toutefois, la qualification de handicap a été refusée pour des motifs contestables au vu de la jurisprudence européenne : une femme travaillant comme gardienne d’enfant avait été déclarée définitivement inapte parce qu’en raison de problèmes d’épaule, elle était empêchée de soulever des poids. Elle avait alors été licenciée par son employeur. Dans son jugement du 23 avril 2015, le tribunal du travail de Louvain déclare qu’elle ne peut pour autant être qualifiée de « handicapée » parce qu’il n’est question que d’une incapacité de travail spécifique à la fonction exercée chez un employeur déterminé, et non d’incapacité à exercer la fonction de gardienne d’enfant en général. Dès lors, elle ne peut se prévaloir de la législation antidiscriminatoire96

.

On soulignera qu'alors que la notion de handicap englobe les atteintes d'ordre psychique, mental ou intellectuel autant que d’ordre physique, nous n’avons rencontré presque aucun cas dans lequel une personne invoquait un handicap relevant de cette

87 Le Protocole renvoie à la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé

(CIF), entérinée par l'Organisation Mondiale de la Santé le 22 mai 2001 lors de la cinquante-quatrième assemblée mondiale de la santé.

88 C.T. Anvers, 12 mai 2009. 89 C.T. Bruxelles, 9 janvier 2013. 90 C.T. Liège, 25 octobre 2011. 91 C.T. Anvers, 21 novembre 2011. 92 C.T. Bruxelles, 18 décembre 2012. 93 Trib. trav. Anvers, 8 mai 2014.

94 Trib. trav. Louvain, 22 janvier 2015 et trib. trav. Mons et Charleroi, 9 mars 2015.

95 Trib. Trav. Liège, 20 juin 2016. Le tribunal s’appuie sur l’arrêt de la Cour de justice de l’Union

européenne Kaltoft c. Danemark du 14 décembre 2014 (aff. C-354/13).

96 Le tribunal conclut néanmoins à l’absence de force majeure et condamne l’employeur au paiement

première catégorie pour réclamer un aménagement. Le seul exemple de ce type que nous avons relevé concerne une factrice qui, étant atteinte d’autisme, nécessitait plus de temps que ses collègues pour réalisr une tournée complète de distribution du courrier. Son employeur refusait dès lors de lui confier la tâche de distribuer le courrier. Grâce à l’intervention du Centre pour l'égalité des chances, une solution négociée a été trouvée avec son employeur, lequel a accepté qu’elle réalise un travail de distribution du courrier combiné à une part de tâches administratives97

. La jurisprudence, en revanche, n’offre pas à ce jour d’exemple de plainte pour refus d’aménagement raisonnable en raison d’un handicap psychique. Il est à noter toutefois que la législation belge mentionne également l’état de santé actuel ou futur parmi les critères de discrimination. Une personne atteinte d’un trouble psychique qui estime avoir été discriminée pour ce motif peut donc également invoquer une discrimination liée à ce critère98

.

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