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IV. Comparaison des droits belge et français 70

1.   Coexistence des obligations de reclassement et d’aménagement

L’obligation de reclassement, en cas d’inaptitude du salarié, ne s’impose pas avec la même évidence en droit français et en droit belge : alors que cette obligation est indiscutable dans le premier, son statut est longtemps resté incertain dans le second, en raison notamment de la jurisprudence de la Cour de cassation, et n’a été clarifié que tout récemment à l’occasion d’une réforme destinée à favoriser la réintégration dans l’emploi de travailleurs déclarés inaptes au travail convenu. En tout état de cause, la coexistence du régime de l’incapacité de travail et de l’obligations de reclassement qui y est liée, d’une part, et du concept d’aménagement raisonnable pour cause de handicap, d’autre part, est un des aspects communs aux deux droits de nature à susciter quelques observations générales sur les conséquences de l’introduction de la notion d’aménagement raisonnable.

D’une part, comme la jurisprudence française le montre, dans une première période qui suit l’apparition de la notion d'aménagement raisonnable, notion nouvelle venue du droit de la non-discrimination, celle-ci sert rarement d’unique fondement aux actions en justice : l’obligation d’aménagement, et l’identification, faute d’aménagement, d’une discrimination à raison du handicap, se trouvent, le plus souvent, combinées avec une action fondée sur l’obligation de reclassement. Pourtant, ces actions n’ont pas le même régime juridique et doivent donc être clairement distinguées. En premier lieu, les sanctions ne sont pas nécessairement les mêmes. En droit français, par exemple, le licenciement faute d’aménagement raisonnable doit être considéré comme discriminatoire, ce qui entraîne sa nullité, alors que l’absence de reclassement rend le licenciement abusif. Beaucoup d’autres questions se posent qui peuvent concerner, notamment, les titulaires de l’action en justice et les délais pour agir. En particulier, alors que le reclassement dans l’entreprise doit être recherché par l’employeur, suite au constat d’inaptitude, on peut se demander si l’aménagement doit être demandé par le salarié ou émaner de l’initiative de l’employeur. La deuxième solution est privilégiée par la directive 2000/78 qui indique que « l’employeur prend les mesures appropriées, en fonction des besoins dans une situation concrète pour permettre à une personne handicapée, non seulement d’exercer un emploi mais aussi d'y progresser » mais cela ne dit rien du rôle éventuel du salarié lui-même et de son éventuelle contribution à la recherche et à la mise en œuvre d’un aménagement.

D’autre part, la question se pose de l’étendue des revendications que peuvent fonder, respectivement, le droit au reclassement et le droit à l’aménagement raisonnable. Dans les deux cas, la logique contractuelle (qui n’obligerait l’employeur qu’à fournir l’emploi convenu au contrat) est écartée au profit d’une conception d’un droit au travail ou à l’emploi dont l’employeur, privé ou public, doit assumer la responsabilité. Mais

quelle est la limite de ce droit, selon que l’on raisonne dans le cadre du reclassement ou dans celui de l’aménagement raisonnable ? En droit français, seule l’impossibilité de reclassement libère l’employeur : l’exigence de reclassement impose que les postes adaptés disponibles soient proposés ou que le poste occupé précédemment soit adapté, sans que la limite soit fixée à ce qui est « raisonnable ». Le dispositif classique du droit au reclassement est donc, de ce point de vue, plus protecteur que le droit à l’aménagement raisonnable.

En revanche, en droit belge, vu l’incertitude qui pesait jusque récemment sur le statut de l’obligation de reclassement en cas d’incapacité définitive d’exécuter le travail convenu, le droit à l’aménagement raisonnable présentait l’avantage d’être clairement établi. Pour ce qui est de l’étendue de l’obligation pesant sur l’employeur, les motifs susceptibles d’être invoqués par l’employeur pour refuser un reclassement sont définis de façon moins restrictive qu’en droit français. La différence avec les motifs pouvant justifier un refus d’aménagement pour cause de handicap est moins nette qu’en droit français. Selon l’ancienne version de l’article 72 de l’arrêté royal de 2003, l’employeur pouvait échapper à son obligation d’affecter à un autre travail un travailleur déclaré définitivement inapte non seulement lorsque cela n’était pas « techniquement ou objectivement possible » mais également lorsque cela ne pouvait « être raisonnablement exigé pour des motifs dûment justifiés ». La référence à la notion de « raisonnable » donnait à penser qu’un rapprochement avec l’obligation d’aménagement raisonnable serait facilité. Depuis la réforme de janvier 2017 et l’introduction du système de « trajet de réintégration », c’est l’article 73/3, § 4 du même arrêté royal qui énonce les circonstances dans lesquelles un employeur peut refuser la mise en place d’un plan de réintégration, qui est, jusqu’à un certain point, comparable au mécanisme de reclassement en droit français. Celles-ci consistent en l’impossibilité technique ou objective, d’une part, et, d’autre part, la situation dans laquelle un tel plan « ne peut être exigé pour des motifs dûment justifiés ». Cette réforme est trop récente pour qu’on puisse déjà en discerner toutes les conséquences pratiques. Il faudra attendre que la jurisprudence précise la notion de « motifs dûment justifiés » pour pouvoir déterminer si ce critère est plus ou moins exigeant que celui du « raisonnable » dans le cadre du droit à l’aménagement pour cause de handicap.

On peut faire l’hypothèse que la faiblesse de la protection offerte par le droit belge au travailleur déclaré inapte et désireux d’obtenir un autre poste dans l’entreprise, explique en partie la facilité avec laquelle les juges belges ont intégré le concept de droit à l’aménagement raisonnable, celui-ci permettant de compenser les incertitudes pesant sur l’éventuelle obligation de reclassement. A l’inverse, le caractère bien établi de l’obligation de reclassement en droit français pourrait expliquer une plus grande difficulté des juges à se détacher des spécificités de ce concept pour assimiler la logique propre au droit à l’aménagement raisonnable.

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