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Faire émerger la cause du handicap dans l’action syndicale avec l’appu

I. Les acteurs syndicaux 78

1)   Faire émerger la cause du handicap dans l’action syndicale avec l’appu

En France, dans les années 2000, le renforcement du droit antidiscriminatoire a amené les pouvoirs publics à mettre en œuvre des politiques d'égalité des chances, qui passent par la création d'autorités administratives chargées de diffuser et de faire appliquer le droit antidiscriminatoire et par des mesures d'incitation à destination des entreprises. La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées renforce le cadre législatif protecteur pour les salariés handicapés et augmente les amendes sanctionnant le non- respect des quotas d'emploi. En même temps, elle réaffirme le principe de non- discrimination, en renforçant les droits des salariés à des postes de travail aménagés et encourage la négociation collective entre employeurs et organisations syndicales. Dans ce contexte, la plupart des syndicats ont créé des postes de « référents handicap » au sein des fédérations. A côté de ceux-ci, des délégués syndicaux sont aussi amenés à devenir implicitement les personnes de référence dans le domaine, sans pour autant avoir le titre de référent.

Les personnes en charge du handicap occupent des positions très variables au sein de l’organigramme syndical : certains sont au niveau régional pendant que d’autres travaillent au niveau national ; certains sont spécialisés autour du handicap, alors que d’autres ont en charge différentes missions, comme c’est le cas d’un secrétaire régional de l’Union territoriale interprofessionnelle CFDT qui a négocié des accords avec les entreprises pour l’intégration des travailleurs handicapés mais qui s’occupe, de façon plus générale, de la coordination des actions syndicales134

. En fonction de leur position dans l’organisation, ils ne sont pas en mesure de mobiliser les mêmes réseaux et de mettre en place les mêmes actions. Les référents et délégués rencontrés font part de l’éclatement de leurs activités dans le domaine du handicap. Tous considèrent qu’ils remplissent plusieurs missions qui sont à la fois orientées vers la prise en charge à un niveau collectif et vers le

133 Cette section sur les syndicats en France est une version remaniée d’un article, co-écrit par Aude

Lejeune et Héléna Yazdanpanah, paru dans Politix sous le titre : « Face au handicap : action syndicale et cadrages juridiques » (Lejeune & Yazdanpanah, 2017).

134

Au sujet de ces accords collectifs, voir le chapitre de Morgan Sweeney « Les accords collectifs de travail en faveur des personnes handicapées » dans le rapport de recherche (Gründler & Dumortier, 2016).

soutien individuel des travailleurs. Toutefois, leur rôle demeure relativement flou. Les référents ont l'impression d'avoir modelé leur poste « à leur image », dans un contexte d'incertitude autour des missions de leur syndicat en matière de handicap.

Les trajectoires professionnelles et syndicales des militants investis autour des questions de handicap influencent la façon dont ils définissent les contours de leur poste et dont ils s’investissent dans leur fonction. Leur parcours est marqué par un intérêt pour les questions de santé au travail en général, qui se traduit par une formation initiale dans ce domaine ou par le choix de formations syndicales autour de ces questions. La comparaison de deux syndicalistes, tous deux référents handicap à la CFDT, permet de mettre en évidence différents modes de socialisation aux questions de santé et de sécurité. Tous deux ont été élus au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)135

, ce qu’ils perçoivent comme leur première activité syndicale liée aux questions sanitaires et médicales. L’une voit son passage au CHSCT comme la continuité « logique » de sa formation et de sa profession. Infirmière formée en santé au travail, elle occupe un poste dans le service de médecine du travail d’un grand groupe. Lors de son adhésion à la CFDT, elle s’est très rapidement orientée vers les thématiques de santé au travail :

« J'ai été adhérente et j'ai été embarquée tout de suite en fait… du fait que j'étais infirmière de santé au travail, le syndicat a utilisé un peu mes compétences pour tout ce qui était santé, sécurité au travail. […] Ensuite, on m'a demandé de rentrer… dans le CHSCT, donc j'ai accepté. J'étais secrétaire du CHSCT » (Référente handicap CFDT).

Cette référente handicap est disposée, par son ethos professionnel et sa trajectoire militante, à s'intéresser à la santé et à la sécurité au travail. Son prédécesseur estime quant à lui avoir acquis ses compétences « sur le tas ». Consultant qualité dans un centre financier, il a exercé deux mandats d'élu CHSCT, au niveau de l'entreprise et au niveau du groupe et, à l’occasion de ceux-ci, s’est spécialisé dans des problématiques liées à la santé et aux conditions de travail. Malgré leur socialisation différente autour des questions de santé au travail, ces deux référents considèrent que ce sont les compétences acquises au cours de leur carrière syndicale et professionnelle qui justifient leur intérêt pour le handicap, plus qu’un engagement préalable autour de cette cause spécifique. D’ailleurs, ils ne mettent pas en avant de liens affectifs, personnels ou militants avec le handicap et demeurent éloignés des associations de défense des droits des personnes handicapées136

. Leur trajectoire les amène à adopter une lecture du handicap en termes de

135 Les CHSCT ont pour mission de contribuer à la protection de la santé et de la sécurité des salariés

ainsi qu’à l’amélioration des conditions de travail. Ils sont composés d’un représentant de l’employeur et d’une délégation du personnel (de 3 à 9 salariés selon la taille de l’entreprise), ainsi que d’autres membres avec voix consultative (médecin du travail, inspecteur du travail). Ils existent dans toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Dans les entreprises de moins de 50 salariés, ce sont les délégués du personnel qui exercent les missions des CHSCT.

136 Cette distinction entre militantisme du handicap et militantisme professionnel ne se retrouve pas

santé au travail et à se tourner principalement vers leurs réseaux dans le domaine de la santé au travail pour traiter les questions de handicap.

Les actions menées par les référents consistent à créer des mobilisations autour du handicap au sein de leur organisation. Les militants reconnaissent qu'il est difficile de mobiliser autour du handicap dans les organisations syndicales ou au sein des collectifs de salariés. Ils considèrent qu’en dehors d’évènements ponctuels, tels que l’organisation d’une journée sur le handicap ou la participation à la semaine pour l’emploi des personnes handicapées, les syndicats sont peu mobilisées autour de cette thématique et qu’ils sont peu aiguillés pour délimiter leur champ d’action. De ce fait, la prise en charge et la défense des intérêts et des droits des travailleurs en situation de handicap sont relativement peu structurées en tant que telles. Elles sont plutôt envisagées comme un point de rencontre entre différentes priorités de l’activité syndicale : la sensibilisation des employeurs aux maladies chroniques et problèmes de santé nés dans l’entreprise, l’attention portée au reclassement suite à un accident de travail ou de la vie ou encore la lutte pour l'égalité des chances. La capacité des référents à mobiliser les autres membres du syndicat autour du handicap dépend des réseaux dont ils disposent, localement et nationalement, pour diffuser leurs actions. L’un des objectifs des référents handicap est de constituer des réseaux de militants et d'experts en matière de santé au travail et de handicap au sein du monde du travail. Ces réseaux se font les relais des évolutions législatives, en mettant en relation administrations, acteurs du monde du travail et professionnels de la santé. Ainsi, un référent handicap CFE-CGC régional explique qu’il s’est appuyé sur ses relations privilégiées avec le Président de la régionale syndicale pour mettre en place un comité de pilotage, puis organiser des formations et sensibiliser les délégués syndicaux.

« Depuis ma prise de fonction, avec le président de région, on a constitué un comité de pilotage régional. L'idée étant d'avoir des personnes qui s'intéressent au sujet, qui sont plus ou moins déjà investies dans le thème du handicap, à la fois par leur métier ou bien qui ont déjà réalisé un certain nombre de choses ou qui s'intéressent plus précisément au sujet. Ensuite, j'ai monté une formation avec le service formation de la confédération. L'idée étant de permettre à chacun de disposer d'un minimum de culture, à la fois sur la situation du handicap dans l'emploi et aussi sur les différents moyens dont peut disposer le délégué syndical : la négociation d'un accord, les droits, etc. » (Référent handicap CFE-CGC).

Les référents handicap tentent ainsi de créer des mobilisations au sein des organisations syndicales en faisant « monter en compétence » les responsables des unions, des fédérations professionnelles ou les militants en entreprise :

« Au niveau du syndicat [...], on a fait une formation de personnes ressources. On est pas là pour faire à la place des délégués mais justement à faire en sorte d'apporter notre expertise, pour qu’ils puissent monter en compétences et qu'ils

leur propre situation de handicap ou leur implication dans le secteur associatif du handicap comme

puissent prendre en main et puis évoluer par eux-mêmes et apporter eux la réponse. Donc les personnes ressources sont là vraiment pour impulser et surtout pas faire à la place des gens. Donc ça, on a fait des formations, justement pour qu'on puisse justement faire grandir toutes les personnes au niveau du syndicat » (Secrétaire fédérale handicap CFDT).

Leur capacité de mobilisation dépend aussi de leur degré de connaissance des réglementations en vigueur et de leur application dans le cadre de contentieux portés au conseil de prud’homme. Les délégués et référents handicap s’appuient sur les textes législatifs pour définir les contours du handicap et pour rappeler les obligations qui incombent aux employeurs. Ils ont généralement suivi des formations juridiques, qu'ils aient été conseillers prud'hommes ou qu'ils été formés plus spécifiquement aux droits du CHSCT.

« Au départ, je n’avais aucune formation juridique. Ma formation juridique s’est faite sur le tas depuis les mandats syndicaux de délégué du personnel, membre du CE et puis surtout membre du CHSCT » (Ancien délégué syndical aujourd’hui retraité, bénévole dans une Union locale de la CGT).

Ils mettent en avant l’importance de maîtriser des législations pour défendre les travailleurs. Un syndicaliste, conseiller au prud’homme depuis près de dix ans, aujourd’hui président d’audience, explique l’intérêt de sa pratique au sein du conseil de prud'hommes car il connaît la manière dont les conseillers appliquent les législations :

« Lorsqu’on me parle de handicap aux prud’hommes, je dis ‘D’accord, est-ce que vous avez la reconnaissance, la qualité de travailleur handicapé ?’137

, ‘Non’. ‘Est- ce que vous êtes bénéficiaire d’une obligation d’emploi telle que le définit la loi ?’, ‘ Non’, ‘Donc là, vous me parlez d’inaptitude.’ Voilà, c’est bien faire la différence puisque encore aujourd’hui, et même les professionnels du droit confondent, même les membres des CHSCT, ils ne sont pas sensibilisés et ils confondent. […] ‘Qu’est- ce que vous avez fait concrètement pour préserver la santé physique, psychologique de votre collaborateur ? […] Qu’est-ce que vous avez comme preuve ? Vous me dites que c’est pas possible, que ça va au-delà de vos capacités, moi je veux bien vous croire, prouvez-le’. Je peux comprendre que, pour une boulangerie qui n’a qu’un salarié, avoir une obligation de reclassement peut être lourd […]. Je peux en fait comprendre que là, le licenciement peut être une des solutions. Mais souvent, on parle de grosses sociétés multinationales qui me disent ‘Ca me coûte trop cher’, ‘Bah écoutez, vous allez en fait me le prouver par a + b que ça vous coûte trop cher ou que ça va au-delà de vos possibilités’. L’avantage de cette pratique prud’homale, c’est que ça structure votre esprit » (Secrétaire fédéral handicap CFDT et conseiller au prud’hommes).

137 La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) est un dispositif d’aide à

l’insertion des personnes handicapées sur le marché du travail qui ouvre toute une série de droits pour la personne handicapée (orientation professionnelle, formation, aide de Cap Emploi…) et pour son employeur (obligation d’emploi, aides…).

La socialisation au droit des militants, variable en fonction des parcours professionnels et militants, les amène à promouvoir un usage différencié des législations pour faire avancer leurs revendications. Certains estiment que le droit est un outil central et maîtrisent les législations articles par articles, tandis que d’autres en font un usage plus lâche dans les négociations avec les employeurs. Ainsi, dans leurs missions individuelles ou collectives, les référents handicap font régulièrement référence au droit et aux dispositifs législatifs qui encadrent leur activité, sans que le recours au droit soit uniforme, car l'intervention des militants dans le domaine du handicap est le résultat d'un cadrage effectué par les référents, mais également par les militants qui interviennent dans les entreprises et qui sont confrontés à une multitude de situations.

2) Des recours au droit à géométrie variable : négociation d’accords, réparation

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