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II. Les avocats 103

2)   Contester le droit, quand il est trop tard pour négocier 120

Les avocats peuvent jouer le rôle de conseil en amont du contentieux. Si cette pratique est courante pour les avocats qui défendent des employeurs, elle existe aussi leur de la prise en charge de dossiers de travailleurs. Dans ces cas-là, ils indiquent à leurs clients les démarches à suivre et les moyens à déployer de maximiser leurs chances d’avoir gain de cause dans leurs conflits avec leur employeur. Ainsi, un avocat estime qu’il a un rôle à jouer pour aider le travailleur à faire valoir ses droits, sans pour autant intervenir lui-même directement auprès de l’employeur :

« Donc moi j'aiguille, je dis voilà, comment il faut faire : ‘Là, il y a cette loi, cet arrêté-là. Là, vous faites ça puis vous allez là, vous allez demander au médecin ceci, puis vous allez faire comme ça et puis vous suivez le trajet quoi.’ Je leur dis quel trajet ils doivent faire. Après, ben s’il n’y a rien qui bouge, je leur dis ‘Vous revenez nous voir, moi je fais une lettre et on voit si ça bouge quoi’. Mais bon, idéalement ça serait mieux qu'il n'y ait pas d'avocat qui intervienne. » (Avocat)

Avant d’entrer dans la phase contentieuse, les avocats peuvent essayer de s’appuyer sur les différentes dispositions légales qui protègent les travailleurs pour négocier une solution avec l’employeur. Un avocat, sollicité par une travailleuse, entreprend des démarches auprès de l’employeur pour demander un aménagement qui consiste à muter une travailleuse qui a des problèmes de santé plus près de son domicile. Les démarches s’inscrivent en dehors de tout contentieux, dans la négociation avec la direction. Dans ce cas, l’avocat essaie que l’employeur prenne une décision qui suive l’avis du médecin traitant. Pour ce faire, il s’appuie sur les législations en matière de non- discrimination en raison de l’état de santé pour faire pression sur l’employeur.

« Cette agente a des problèmes cardiaques, et elle dépose un certificat médical de son médecin traitant qui dit qu'elle ne peut plus faire la route de son domicile

jusqu’à Bruxelles tous les jours en voiture. Sur cette base-là, elle essaie en vain d'obtenir une mutation pour la rapprocher de chez elle […]. On a eu, je dirais, un an de démarches. Ce n’est pas vraiment des démarches contentieuses mais plutôt administratives pour trouver une solution. Pour éviter quoi ? Bah pour éviter qu'elle ne soit mise à la pension d’office. […] On a mis en avant les législations antidiscriminatoires pour que l’employeur prenne ses responsabilités vis-à-vis de sa travailleuse. » (Avocat)

Une avocate explique avoir été sollicitée par un travailleur licencié par son employeur suite à un accident de travail. Elle a essayé de négocier avec un employeur sa réintégration temporaire dans l’entreprise, afin qu’il puisse suivre une formation en vue de son reclassement. Elle a appuyé son argumentation principalement sur l’obligation de reclassement qui, selon elle, n’avait pas été respectée par le travailleur. L’employeur a refusé. L’avocate a donc porté ce cas devant le tribunal.

« Bon, le gars en question, il a vraiment cru que l'employeur allait le soutenir. Il a eu une incapacité définitive à cause de son accident de travail. Le métier qu'il faisait, c'est fini, c'est terminé, il ne pourra plus jamais le faire de sa vie. […] Le type en fait, ce qu'il voulait, c'était qu'on lui donne un travail adapté. Et j'avais proposé, mais on n'a pas réussi à trouver un terrain d'entente, qu'ils reprennent le type en CDD pour qu'il passe sa formation. Parce que, ce qu'il voulait, c'était continuer à travailler et qu'au chômage, cette formation était quasiment impossible à faire, bon, ils n'ont pas voulu, donc on est parti au tribunal aller discuter de ces questions-là... » (Avocate)

Dans la très grande majorité des cas, les avocats qui défendent les travailleurs déplorent le fait qu’ils sont souvent sollicités trop tard pour pouvoir mener une action efficace de défense des droits des travailleurs en poste. Alors que les avocats peuvent jouer le rôle de conseil aux employeurs en amont de toute procédure contentieuse, ils sont souvent sollicités par les travailleurs lorsque ces derniers ont été licenciés, après de longues démarches non fructueuses pour obtenir une adaptation du poste de travail ou un reclassement à un autre poste. Lorsqu’ils interviennent après le licenciement, les avocats estiment que le droit ne peut servir qu’à réparer les dommages subis, mais en aucun cas il ne permet ni de rééquilibrer le rapport de force dans l’entreprise ni favoriser une meilleure intégration au travail des personnes en situation de handicap. A ce stade, le droit devient une arme bien moins puissante pour faire valoir les droits des travailleurs.

« Dans ces cas [où on est sollicités après le licenciement], le droit n'est plus qu'un débiteur. Ça ne servira plus à grand chose. » (Avocat)

De plus, ils soulignent les limites des recours en justice pour faire avancer la cause des travailleurs avec un handicap ou pour débloquer des situations individuelles problématiques. Une avocate compare le recours en justice avec les ressorts d’action des syndicats, qui sont présents dans l’entreprise et qui peuvent peser dans le rapport de force avec l’employeur. Elle déplore le fait que les avocats n’ont en leur possession « que » l’arme judiciaire, qui n’est finalement à ses yeux pas très efficace pour aider les travailleurs. Elle estime que les syndicats peuvent jouer un rôle primordial et peser dans

la balance, en amont de toute procédure judicaire, ce qu’ils ne peuvent pas faire avec leurs seules armes juridiques.

« Nous [les avocats], tout ce qu’on peut proposer aux gens, c’est finalement de judiciariser leur problématique en fait, parce qu’on n’a pas d’autres ressources […]. Le syndicat, donc l'organisation syndicale permanente, tout le système qui est dans les entreprises, eux, évidemment, n'ont pas du tout le même rapport. Eux, ils peuvent aller sur place dire : ‘Oui, mais enfin...’, avec un membre du CPPT [Comité pour la prévention et la protection au travail], ‘Ça, ça ne va pas, vous devriez faire ça pour aménager le poste de travail’. L'avocat, le juriste, le juriste avocat n'a pas cette possibilité-là. » (Avocate)

A ce stade, les avocats engagés auprès des travailleurs considèrent que leur seul levier d’action n’est plus la négociation, mais la contestation du droit. Quel que soit le profil des avocats rencontrés, lorsqu’ils défendent les salariés, les avocats estiment que les législations existantes sont très défavorables aux travailleurs qui ont subi un accident de travail ou qui sont en situation de handicap. En effet, la législation belge prévoit que l’employeur peut se séparer d’un travailleur lorsqu’il n’est plus apte à exercer la tâche pour laquelle il avait été recruté. La jurisprudence va d’ailleurs dans ce sens (voir partie juridique). Dans cette situation, une avocate estime qu’elle joue avec les différentes législations en vigueur pour faire en sorte de répondre le mieux aux objectifs posés par ses clients, par les contraintes de l’action en justice, mais aussi par les enjeux sous-jacents en termes de justice sociale. Dans sa pratique auprès des travailleurs en situation de handicap, cette avocate considère que le droit social et le droit antidiscriminatoire offrent toute une série d’outils et d’armes qui permettent de défendre les travailleurs. Elle jongle ainsi avec les différentes législations pour proposer la meilleure indemnisation à ses clients en cas de licenciement lié au handicap.

« Moi, je vois les différentes législations comme des outils pour atteindre un objectif. L’objectif, il est déterminé par la personne, mais aussi par la situation dans laquelle elle est. […] Donc à partir du moment où on détermine ce qu'on peut faire par rapport à la demande de la personne, ben alors, viennent les outils, donc on peut faire, qu'est ce qu'on peut faire, ben alors on va mobiliser les outils pour essayer de voir comment on va répondre à la demande qui est devant nous. […] Alors, j'utilise les outils juridiques, et je les combine entre eux en fonction de la situation personnelle de la personne et vu l'objectif qui est demandé. » (Avocate)

Les avocats, qu’ils se définissent comme des militants ou non, estiment cependant de concert que ces armes juridiques sont peu puissantes et que les cas portés devant les juridictions sont difficiles car ils conduisent souvent à un échec de la procédure144

.

144 Dans les matières similaires, par exemple en cas d’accident du travail, les syndicats (voir partie sur

les syndicats) hésitent très fortement à porter ces cas devant le tribunal du travail car ils jugent qu’il s’agit de situations injustes mais totalement légales.

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