• Aucun résultat trouvé

I. Les réponses des employeurs 149

3)   L’obligation de quotas d’emploi comme contrainte exogène 161

L’obligation de quotas d’emploi est perçue comme une contrainte exogène, qui s’impose aux employeurs. Elle concerne les employeurs du secteur public et privé en France, et seuls les employeurs publics en Belgique.

Les chargés de mission handicap ou diversité sont souvent très critiques à l’égard de la politique des quotas qu’ils sont chargés de mettre en œuvre. Ils soulignent ses limites : que fait-on pour les travailleurs lorsque les quotas sont atteints ? Comment combiner cette politique des quotas avec une politique qui vise à accompagner les travailleurs handicapés dans les éventuelles difficultés qu’ils rencontrent dans l’entreprise ? En France, où le non-respect des quotas s’assortit d’astreinte financière pour l’employeur, plusieurs chargés de mission mettent en avant les difficultés liées à leur position et à leur fonction : lorsqu’ils ont décidé d’occuper ce poste, ils voulaient favoriser une meilleure insertion des travailleurs handicapés au sein de l’entreprise ou de l’administration. Ils se trouvent aujourd’hui confrontés, dans la pratique quotidienne de leur métier, à devoir « chasser les travailleurs pour qu’ils se déclarent » comme le disait un chargé de mission handicap. Ainsi, une chargée de mission handicap répète qu’elle ne veut pas jouer ce rôle-là et qu’elle veut continuer à accompagner les travailleurs dans leurs démarches, sans les contraindre à demander une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé.

« J'essaie d'infuser cette idée que l'objectif n'est pas d'atteindre les 6 % coûte que coûte. Et que notre façon de travailler, à la cellule handicap – et ça j'y tiens et je le dis beaucoup –, c'est : toujours avec la volonté de l'agent. Toujours, toujours, toujours. On ne fera rien sans la volonté de l'agent. Et si un agent ne veut pas d'un poste aménagé, on ne le forcera pas. Et s’il ne veut pas nous donner son papier des MDPH, eh ben il ne nous le donne pas. Et voilà. Et si quelqu'un vient nous voir, nous raconte toute sa vie et qu'on sait qu'il peut être en situation de handicap et qu'il décide de ne pas le faire, on ne le fera pas. On le laissera vivre en disant que la porte est toujours ouverte et qu'il peut revenir quand il veut. » (Chargée de mission handicap, administration publique territoriale en France)

Durant nos enquêtes, nous avons également rencontré un responsable du pôle recrutement dans une entreprise privée du secteur bancaire qui rejette la logique des quotas, considérant qu’elle n’est pas en adéquation avec la politique de gestion des ressources humaines mise en place dans l’entreprise car elle favorise certains profils de travailleurs dans une logique de discrimination positive.

« Nous, on n’est pas d’accord avec la logique des quotas. Enfin, on ne le dit pas comme ça mais on ne va pas essayer à tout prix d’entrer dans les quotas, parce que c’est contraire à la politique qu’on met en place. On veut choisir les meilleurs candidats. S’ils ont un handicap et qu’ils sont les meilleurs, on les retiendra, mais

comment voulez-vous expliquer à quelqu’un qu’il n’a pas été retenu parce qu’on a décidé de faire passer quelqu’un d’autre avant lui ? » (Responsable pôle du recrutement, entreprise du secteur de la finance et des assurances)

Ce responsable du recrutement explique plus tard que son entreprise paie les astreintes financières à l’AGEFIPH car ils ne remplissent pas les quotas d’emploi. C’est le seul cas où nous avons pu observer une critique ouverte vis-à-vis du système des quotas, mais qui se manifeste néanmoins par un respect des conditions prévues par la loi via l’amende en cas de non-respect des taux d’emploi prévus par la loi.

Les chargés de mission handicap – particulièrement ceux qui se définissent d’abord comme des gestionnaires du handicap – poursuivant cet objectif de maintien dans l’emploi des travailleurs, envisagent le handicap comme la survenance d’une difficulté dans une relation de travail préexistante. Ils estiment que cette difficulté est à traiter comme tout autre type de problème qu’ils pourraient rencontrer vis-à-vis de leur personnel ou de leurs agents, dans une logique de gestion des ressources humaines. Ils inscrivent ainsi le handicap dans les obligations générales de l’employeur en termes de gestion des ressources humaines de l’ensemble de son personnel, mais ne font pas mention de législations qui traitent spécifiquement du handicap, ni la loi du 11 février 2005 en France, ni les législations contre les discriminations, ni en France, ni en Belgique. Ainsi, une chargée de mission handicap en France, anciennement au service de gestion des ressources humaines, explique son traitement du handicap au regard des dispositions légales existantes.

« Nous, on est fonction publique hospitalière donc, on est déjà sur les règles régies par la fonction publique hospitalière. […] Donc après, on s'appuie sur les textes juridiques, forcément, puisqu'on a aussi l'obligation d'emploi. Mais, je dirais, ça rentre dans une politique globale ressources humaines, quoi qu'il arrive, puisqu'on peut pas déconnecter les agents... [hésitations]. On a un focus sur tous nos agents. D'autant plus aujourd'hui, en période de restructuration, on est vraiment sur quels sont les droits des agents, quels sont les droits et devoirs de l'employeur, et comment on arrive à accompagner l'agent et à trouver la meilleure solution pour différentes situations. » (Chargée de mission handicap, fonction publique hospitalière en France)

Ainsi, l’obligation de quotas est perçue comme une contrainte exogène, à laquelle les entreprises et secteurs publics cherchent à se conformer, ou vis-à-vis de laquelle elles acceptent les répercussions prévues par la loi. Cette attitude vis-à-vis du droit s’apparente à ce que Tom Burke et Jeb Barnes qualifient d’approche « réactive » face à la loi, c’est-à- dire que les organisations mettent en place des dispositifs qui visent principalement à répondre aux problèmes lorsqu’ils se posent, plutôt qu’à mener une politique proactive visant l’égalité de traitement et la pleine participation des travailleurs avec un handicap.

Outline

Documents relatifs