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La qualification juridique du handicap: sortir des catégorisations

III. Les agents des organismes publics chargés de la lutte contre les

2)   La qualification juridique du handicap: sortir des catégorisations

Toute prise en charge de dossiers de discrimination supposée en raison du handicap implique que le travailleur qui dépose plainte soit considéré comme « travailleur handicapé ». Dans leur travail quotidien de traitement des plaintes, les agents s’interrogent sur l’articulation entre qualification juridique du handicap et reconnaissance administrative du handicap. Les travailleurs doivent-ils avoir obtenu la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH)145

, reconnaissance administrative octroyée par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), pour être reçu par le

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Définition de travailleur handicapé selon le code du travail (art L.5213-1 du Code du travail) : « Est considéré comme travailleur handicapé toute personne dont les possibilités d’obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite de l’altération d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielle, mentale ou psychique. »

La RQTH ne donne pas droit à une allocation, ni à l’aménagement automatique du poste de travail. Elle permet cependant d’appuyer les démarches entreprises auprès de l’employeur pour l’aménagement de poste, le reclassement ou pour l’intégration du travailleur en milieu protégé. Pour une étude sociologique des enjeux biographiques et institutionnels liés aux demandes et aux attributions de la RQTH, voir (Bertrand, Caradec, & Eideliman, 2014) ainsi que la quatrième partie de ce rapport.

Défenseur au nom de leur handicap ? Se limite-t-on à intégrer dans cette catégorie ceux qui ont fait la demande et obtenu cette reconnaissance, ou y englobe-t-on également tous les travailleurs qui rencontrent des difficultés pour obtenir, exercer ou conserver leur emploi en raison d’altérations physiques, sensorielles, mentales ou psychiques attestées par un médecin du travail ou un médecin traitant ? La question n’est pas tranchée par les acteurs concernés.

Pour comprendre les difficultés de positionnement auxquelles sont confrontées les agents, il est important de savoir qu’à côté du traitement des plaintes, le Défenseur des Droits est l’institution chargée de veiller au respect, sur le territoire français, de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées146

. Entrée en vigueur en 2008, cette Convention suggère qu’il faut défendre une conception élargie du handicap, qui ne se fonde pas sur une obligation pour les personnes handicapées de demander une reconnaissance administrative de leur statut d’handicapé147

. Le respect des principes de cette convention place les agentes dans une situation complexe car elles sont amenées à défendre une définition étendue du handicap, qu’elle ne considère cependant pas tenable dans les négociations avec les employeurs.

Lors d’un entretien collectif, une discussion entre trois agentes du Défenseur des Droit fait émerger les enjeux qui sous-tendent cette question. La reconnaissance administrative du handicap est-elle une condition indispensable pour considérer qu’une personne est handicapée ? Est-ce cohérent par rapport à la volonté d’envisager le handicap comme lié à l’environnement et aux situations, plutôt qu’aux individus ? Est-ce cohérent par rapport au souhait affiché de considérer que le handicap peut exister même lorsque la personne n’a entrepris aucune démarche auprès de l’administration pour faire reconnaître son statut ? Dans la majorité des cas, la gestion des réclamations qui ont trait au handicap débute par la vérification de l’obtention de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé comme condition préalable à l’intervention du Défenseur des Droits.

« Quand on reçoit un dossier d’un travailleur handicap qui se dit discriminé, la première chose que l’on regarde, pour voir si notre intervention est justifiée, c’est qu’il est reconnu comme travailleur handicapé. On regarde s’il a fait les démarches auprès du médecin du travail pour constater son handicap, faire constater le besoin d’aménagement, etc. Ce sont souvent les premiers éléments qui vous nous inciter à intervenir auprès de l’employeur. Parce que si la personne a fait reconnaître son handicap et que l’employeur refuse, alors ça va fonder notre intervention, c’est la base de notre intervention en matière de discrimination des travailleurs handicapés je vais dire » (Agente du Défenseur des Droits).

146 Voir à ce sujet : http://www.un.org/disabilities/documents/convention/convoptprot-f.pdf

147 L’article premier de la Convention indique : « Par personnes handicapées on entend des personnes

qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres. »

Cependant, dans certains cas, les juristes estiment qu’il n’est pas nécessaire d’avoir obtenu une RQTH car le Défenseur des Droits adopte une définition large du handicap, qui dépasse la définition administrative du handicap.

« Nous, on intervient que s’il y a présomption de discrimination. Il faut qu’on ait des éléments pour dire que l’employeur était au courant que la personne était handicapée. Alors ce n’est pas forcément que la reconnaissance de la qualité de travailleurs handicapés, ça peut aussi être ce qui rentre dans la définition du handicap telle qu’elle est portée aujourd’hui par les textes internationaux, pas forcément dans la définition du code du travail. Nous, on doit savoir si l’employeur est informé du besoin d’aménagement […] Oui, ce qui est important, c'est le besoin d'aménagement. Il faut avoir des billes sur le besoin d'aménagement » (Agente du Défenseur des Droits).

« Alors au delà de toutes les reconnaissances administratives du handicap, ça va être des éléments médicaux, les certificats médicaux qui démontreraient que la situation de la personne c'est pas simplement des difficultés, enfin c'est pas un état de santé dégradé temporairement, mais que effectivement c'est les difficultés plus à long terme, qui engendre un handicap parce que dans l'emploi çà va générer une gêne dans l’emploi » (Agente du Défenseur des Droits).

En fait, les contours de la prise en charge du handicap sont flous et posent question aux acteurs concernés. Les agentes soulignent les difficultés liées à la définition de ce qui entre ou non dans le domaine du « handicap ».

« Effectivement, est-ce qu'on est dans une situation de handicap ou pas, ça fait partie des questions, c'est pas simple. On a eu plusieurs dossiers, on sait pas ce que ça donnera au final, mais la question se pose souvent, ce sont des personnes qui nous saisissent et qui invoquent une discrimination fondée non pas sur le handicap mais sur l'état de santé. Et donc c'est vrai que ça revient assez régulièrement, et on sait quand on connait la définition de handicap, que le handicap, l'origine du handicap peut très bien être un problème de santé. […] Alors soit on s'en tient aux personnes qui justifient une reconnaissance administrative du handicap. Mais auquel cas on est quand même dans des catégories beaucoup plus restreintes que la définition du handicap hein, puisque pour bénéficier d'une reconnaissance administrative en France, en tout cas, faut remplir des conditions particulières » (Agente du Défenseur des Droits).

Finalement, après une longue discussion autour de la définition du handicap et de l’obligation, ou non, d’avoir obtenu préalablement la RQTH pour pouvoir être considéré comme un travailleur handicapé qui peut demander un aménagement raisonnable du poste de travail, les agentes s’accordent toutes à dire que, dans la pratique, cette reconnaissance représente un enjeu considérable dans les négociations avec les employeurs.

« L'absence de la reconnaissance administrative, la qualité de travailleur handicapé c'est un peu un obstacle forcément à notre intervention. » (Agente du Défenseur des Droits).

Alors que les agentes cherchent à sortir de la catégorisation administrative de la RQTH, octroyée par une administration en charge du handicap selon toute une série de critères prédéfinis qui ont trait à une personne considérée comme handicapée, elles se trouvent finalement contraintes, dans leurs négociations avec les employeurs, de demander aux travailleurs d’introduire une demande de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, qui permet de démontrer que l’employeur a été prévenu du handicap du travailleur pour « avoir des billes pour démontrer son inaction ».

La délimitation des cas qui entrent dans le champ du handicap de ceux qui en sont exclus est variable selon les situations auxquelles sont confrontés les agentes. La construction des dossiers en matière de handicap repose, d’une part, sur une prise en charge qui vise à affirmer la position de neutralité de l’administration et, d’autre part, sur une implication variable des plaignants dans la construction des dossiers.

3) Tenir une position de neutralité: mise à distance du public, sélection des

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