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Des fonctionnaires « militants du droit » : d’une contestation du droit à

III. Les agents des organismes publics chargés de la lutte contre les

1)   Des fonctionnaires « militants du droit » : d’une contestation du droit à

Les agentes chargées du handicap rencontrées lors de notre enquête sont juristes de formation, avec une spécialisation autour des droits de l’homme ou du droit du travail. Elles manifestent une forte adhésion vis-à-vis des valeurs de l’institution dans laquelle elles travaillent. Elles estiment qu’elles défendent les droits des publics victimes de discrimination, tout en garantissant une position de neutralité et d’impartialité dans le traitement des dossiers qui leur sont soumis. Face aux plaintes en matière de handicap, elles considèrent que leur rôle est de défendre les droits des personnes handicapées, sans pour autant militer pour la cause du handicap. Leur rôle est plutôt d’aider la personne à prouver la discrimination, quand elle existe.

« Notre mission première c'est la défense des droits. Et s'agissant, en plus, je l'ai dis tout à l’heure, des personnes handicapées, euh on est en plus là, pour le coup, avec notre casquette 'mécanisme indépendant' par rapport à la convention internationale. On est là pour défendre des droits, défendre les droits des personnes handicapées, ça ne veut pas pour autant dire qu'on nie qu'elles aient aussi des obligations. Voilà, elles sont dans l'entreprise, avec effectivement des droits, mais elles n'ont pas que des droits. Donc faut aussi qu'elles puissent être en capacité – et c'est très vrai pour l'aménagement raisonnable – on va pas créer un poste sur mesure pour la personne handicapée. C'est pas ça l'aménagement raisonnable. » (Agente du Défenseur des Droits)

« Donc on est toujours dans cet espèce d'équilibre, où effectivement on vient aider la personne. Parce que la personne est quand même démunie. C'est un peu pour ça d'ailleurs que les institutions de lutte contre les discriminations ont été constituées à la HALDE [Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité], c'est pour aider justement à prouver la discrimination qui, parfois, est très difficile à démontrer, et d'accompagner autant que faire ce peut la personne... mais ça ne veut pas toujours dire la défendre. » (Agente du Défenseur des Droits)

Cette injonction de neutralité implique de se démarquer des positions prises par les organisations de la société civile qui peuvent parfois être contradictoires, alors que les agentes estiment que le rôle du Défenseur des Droits est d’adopter une ligne de conduite qui fédère l’ensemble de ces revendications. Ce positionnement n’est pas forcément aisé à

tenir, dans la mesure où les agentes ont souvent une trajectoire professionnelle marquée par un investissement important dans le secteur associatif autour des questions de handicap. Ainsi, une agente du Défenseur des Droits, anciennement directrice du service de défense des droits à l’Association des Paralysés de France (APF), explique comment elle envisage le rôle du Défenseur des Droits par rapport aux associations du secteur du handicap. Selon elle, son institution doit pouvoir formuler des revendications qui sont suffisamment générales pour englober toutes les revendications associatives. Dès lors qu’il s’agit de prendre position sur des sujets qui ne font pas consensus, le Défenseur des Droits ne doit pas se prononcer, afin de garantir son impartialité.

« Depuis le départ, je suis dans cette démarche de la défense des droits des personnes handicapées, c'est vrai que moi mon soucis, enfin mon objectif, c'est vraiment de garantir aux personnes handicapées l'exercice effectif de leurs droits. Donc ça c'est mon phare, je dirais. Bon après, pour atteindre ce phare, ça veut pas dire qu'il faut pas faire attention aux récifs, et voilà c'est donc ça veut dire que aujourd'hui moi je suis capable assez objectivement de dire, même de dire aux associations avec lesquelles je suis amenée à travailler au quotidien et pour lesquelles j’ai travaillé, leur dire : ‘Non mais là-dessus, nous on n’ira pas. Vous, vous avez une position qui est engagée, qui est militante, qui est effectivement voilà, c'est normal, c'est votre rôle. Mais nous, le Défenseur des droits, on a une position différente. On n’aura pas forcément la même analyse que vous, et on sera pas forcément porteur des mêmes analyses, et des mêmes revendications’ je dirais. Et voilà, donc tout ça, c'est quelque chose qui pour moi ne pose aucun problème et je pense que là, pour le coup, en terme de crédibilité, c'est extrêmement important. Dans le secteur du handicap là, pour le coup, si on veut donner raison à l'un, on a nécessairement beaucoup de chances de donner tort à l'autre. Parce qu'ils sont pas tous porteurs des mêmes revendications hein. C'est pas parce qu'on est dans le monde du handicap que c'est un discours homogène. Donc la meilleure façon finalement de rester au dessus de la mêlée, c'est d'avoir notre propre analyse. » (Agente du Défenseur des Droits)

Tout comme de nombreux agents du Défenseur des Droits, cette agente a été recrutée lors de la création de l’agence dans une association de défense des droits de l’homme. Elle occupait un poste où elle militait pour transformer les conditions de vie des personnes handicapées. Le droit était alors un objet sur lequel elle cherchait à intervenir pour le transformer, afin qu’il devienne plus favorable aux personnes handicapées. Elle estime qu’elle a été « bercée » par cette approche militante de la défense des droits, qui continue à influencer son approche de la défense des plaignants.

« Même si on se rejoint [le Défenseur des Droits et les associations du handicap] quand même globalement parce que voilà, on a quand même été bercées par cette approche militante, et... on est des militants, mais des militants qui faisons ce militantisme en gardant cette objectivité, cette impartialité, voilà, qui est indispensable pour la crédibilité de notre analyse. Si on était vu uniquement comme

une institution avec un parti pris, il y a bien longtemps qu'on ne serait plus écouté. » (Agente du Défenseur des Droits)

Une juriste estime qu’elle ne se définit pas comme une militante du handicap, malgré sa carrière à l’Association des paralysés de France, mais qu’elle et ses collègues sont des militantes du droit. Elle estime qu’elle est chargée de défendre l’application des législations en matière de non-discrimination, plus que les publics qui sont ciblés par ces législations.

« On est des militants mais... du droit en fait ! » (Agente du Défenseur des Droits)

Les agents qui travaillent pour le Défenseur des Droits autour des questions de handicap se caractérisent ainsi par un éthos professionnel lié à fois à leur statut de fonctionnaires et à leur positionnement militant. D’un côté, elles travaillent dans une administration de l’Etat qui entend défendre l’intérêt général et adhèrent très fortement aux valeurs d’égalité et de non-discrimination promues par l’organisation dans laquelle elles travaillent. De l’autre côté, elles ont une trajectoire professionnelle marquée par un investissement dans les associations militantes en matière de handicap. Leur arrivée au sein du Défenseur des Droits les a conduites à reformuler les frontières de leur engagement autour du handicap et à transformer leurs registres de contestation. Le droit apparaît à leurs yeux non plus comme une réalité qui doit être mise en cause par la contestation, mais comme un support sur lequel elles appuient leurs revendications (Baudot & Revillard, 2015). Elles considèrent qu’elles ont aujourd’hui pour mission de s’appuyer sur le droit existant comme outil de contestation, plus que de chercher à le transformer.

2) La qualification juridique du handicap: sortir des catégorisations

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