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Relations entre les marchés ruraux et l’urbanisation

Le réseau de marchés des Uporoto Mountains comprend les marchés périodiques dit

gulio qui se tiennent une à deux fois par semaine. Ces lieux du commerce sont la vitrine des

productions de leurs alentours et ils ont aussi les lieux par lesquels sont introduits les marchandises importées de l’extérieur. Leurs formes sont variées, certains disposent d’une infrastructure couverte, d’autres s’organisent autour de l’arbre central du village. Les étals dépendent de l’infrastructure, sous les halles très ouvertes, l’agencement est ordonné. Géométriquement parlant, les espaces de plein ciel paressent moins ordonnés, mais pourtant ils le sont car les zones sont spécialisées par des types de produits. Ainsi, ne se mélangent pas les vêtements et le poisson sec ou le vivrier marchand et les cultures commerciales, etc. Les acteurs sont les paysans et les commerçants. Les producteurs apportent en faible quantité des produits pour les consommateurs locaux tels du maraîchage, des tubercules, des condiments, des fruits, etc. auxquels s’ajoutent suivant l’état des champs des cultures destinées aux commerçants comme la banane. Le transport est souvent fait à pied. Des paysans sont, le temps du marché, des commerçants des marchandises qu’ils ont achetées comme du poisson sec, du riz, etc. Les commerçants professionnels sont de types variés, les détaillants arpentent les marchés périodiques de leur aire d’action, ils se déplacent avec leurs marchandises importées (équipement de la maison, vêtements, chaussures, etc) via les transports en commun. Un autre type de commerçants regroupe les intermédiaires, les transporteurs, les négociants, les grossistes qui cherchent à s’approvisionner en grande quantité, enfin les commerçants urbains viennent constituer leur stock qui sera vendu dans les marchés de Mbeya. Cette présentation est succincte, elle dresse les grands traits de la complexité du corps social qui interagit dans les marchés.

La dimension sociale du marché est importante, d’autant plus pour les marchés ruraux qui font office de lieux de rencontre, les personnes communiquent, donnent et prennent des nouvelles. Le marché « ne saurait se réduire à sa simple fonction marchande. Chez beaucoup de populations, une fonction sociale se superpose à la fonction économique » (Chaléard, 1996 : 495). De plus les rencontres faites lors des gulios sont l’occasion de boire la bière locale, d’autant plus quand c’est le dimanche. Après les affaires, les paysans prennent le temps de boire quelques litres de millet ou de maïs fermentés, ils apprécient la saveur finement balancée entre l’acide, l’amère et le sucré, issue d’un savoir faire séculaire. Ce rituel

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social fortifiant le corps et l’âme se réalise dans de petites échoppes, ou alors les bidons au préalable remplis sont bus à l’extérieur sur des lopins d’herbe accueillante.

Les marchés sont qualifiés de « marchés primaires » pour indiquer que les paysans amènent directement leur production. Cependant, les formes de circulation des flux entre les champs et la place du village sont multiples tout comme les modes d’approvisionnement de ces marchés. Ils peuvent être directement ravitaillés par les paysans, ou par des agents collecteurs, ou des commerçants. Il est difficile d’établir une typologie en fonction des canaux de circulation des flux. Les flux entrants d’objets manufacturés sont globalement identiques, ils concernent principalement des vêtements, des chaussures, de l’épicerie (sucre, huile, savon, etc.), des ustensiles pour la maison (plats, seaux, etc.) et une multitude d’objets en provenance de chine (montres, réveils, radios, serre tête, coupe-ongles, etc). Par contre, les flux sortant sont à l’image des cultures locales, dans la ceinture bananière, les volumes exportés concernent principalement la banane, plus haut il s’agit de la pomme de terre, du maïs et du haricot. La zone d’étude regroupe 24 marchés périodiques enregistrés par les services en charge du commerce des circonscriptions de référence (districts). Douze d’entre eux se trouvent dans le district de Rungwe et douze dans celui de Mbeya Rural. Il existe d’autres places marchandes qui se tiennent régulièrement une fois par semaine, cependant, elles sont d’une importance limitée, elle concerne du commerce de détail entre un nombre réduit d’acteurs. Par exemple, il y a un marché périodique tous les mercredis à Simambwe, une dizaine de commerçants investissent un espace ouvert dans le village. Ils proposent de l’habillement, des biens d’équipement de la maison, de l’épicerie. Ces dispositifs d’échange ne sont pas enregistrés par le district du fait des volumes et des montants restreints échangés ; ils ne sont pas compris dans le réseau des gulio analysés.

112 Carte 10. Localisation des marchés

Dans les places marchandes, le nombre de points de vente s’échelonne entre quelques dizaines pour les plus petits à l’image d’Ibililo qui rassemble environ 50 commerçants, à plusieurs centaines comme à Kiwira. Il est plus pertinent d’utiliser le terme de « commerçant » à celui de « vendeur », ce dernier étant ambigu puisque les paysans qui vendent leur production sont en même temps des acheteurs, de produits comme le savon, l’huile, etc. La fréquentation des marchés périodiques varie entre plusieurs centaines et plusieurs milliers de personnes, de 400 personnes jusqu’à 20 000 personnes pour Kiwira qui est le plus important. L’aire d’attraction des gulio est variable et ne dépend pas de la taille du village mais plutôt de l’agencement du réseau urbain qui a des implications au niveau de l’accessibilité au marché pour les paysans locaux et de l’accessibilité aux denrées pour les commerçants. L’aire d’attraction se réfère à la zone géographique du marché dans lequel les paysans viennent écouler leur récolte, l’aire d’influence est la zone d’où proviennent la

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Vers Dar es Salaam

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majorité des clients, ces derniers étant des commerçants ou des intermédiaires venus s’approvisionner. Pour l’aire d’influence, il est plus question de distance réticulaire que distances topographiques, par contre du fait de manque de capitaux, les paysans sont contraints par la distance topographique. Le marché d’Ibililo attire les paysans d’un rayon d’environ 7 km, en même temps, des commerçants de Dodoma s’approvisionnent directement dans ce petit village. Il y a une distorsion entre l’aire d’attraction et l’aire d’influence, et entre la taille urbaine et l’importance commerciale. Tout comme les échanges participent fortement à la croissance de Mbeya, ils sont un moteur de l’urbanisation des campagnes par le biais des marchés périodiques.

Dans les Uporoto, l’urbanisation de la montagne s’appuie sur le réseau d’échange dont certains nœuds ne correspondent pas toujours aux centres urbains. Par exemple, Kiwira, village de moins de 4000 habitants, joue un rôle bien plus important dans les échanges que Tukuyu, chef lieu du district et le village d’Ibililo émet autant de flux que la capitale du Rungwe. La fonction de collecte et de distribution des marchés ruraux crée un réseau de places d’échange dont la hiérarchie s’organise en fonction de critères commerciaux tels la disponibilité des produits, l’accessibilité, les prix et la qualité. Le volume des transactions génère des revenus dans la localité et dans son aire d’attraction, pour les foyers et pour la communauté.

Au niveau des foyers, la ressource monétaire sert d’abord à la reproduction des moyens de production et à assumer les dépenses indispensables d’alimentation (pour ceux qui ne peuvent pas être autoproduits : sucre, sel, huile, etc.), de santé, de scolarité, d’habillement et d’équipement basique de la maison. Les dépenses sociales sont aussi très importantes, ne fût-ce que pour la dimension symbolique. Ensuite les éventuels surplus peuvent être alloués pour l’amélioration des conditions de vie qui se traduisent souvent par une amélioration de l’habitat, une diversification de la consommation alimentaire, une augmentation des déplacements. Aussi, des investissements peuvent être possibles pour développer la production du ménage en renforçant l’activité et en la diversifiant. Les éventuels surplus monétaires réalisés à partir du commerce agricole peuvent donc modifier les conditions d’existence au quotidien et à terme pour les producteurs. Les possibilités financières peuvent permettre d’envoyer un enfant en ville pour étudier au lycée, et peut-être plus tard à l’université, c’est en quelque sorte sortir de la seule condition de paysan. De plus, fréquenter un marché c’est aussi s’exposer à l’extériorité, rencontrer des personnes d’ailleurs, de la ville,

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voire de loin, mais aussi livrer son mode de vie à la « modernité ». Un paysan qui négocie avec un commerçant de Dodoma est aux premières loges dans le théâtre de l’économie libérale globalisée.

Les ressources monétaires occasionnées entrent pour partie dans le budget des villages animés par un marché périodique. Les moyens financiers et matériels sont affectés à l’entretien des équipements, aux premiers desquels l’école et le dispensaire. L’équipement rural est sommaire, l’électricité n’est pas présente dans la quasi-majorité des villages et les routes ne sont pas bitumées. Les investissements nécessaires pour parfaire le réseau de route et celui de l’électricité sont au-delà des capacités des villages quand bien même leurs ressources augmentent grâce aux flux générés par le marché périodique. Néanmoins, les échanges participent à l’urbanisation des campagnes de manières subtiles. L’urbanisation ne se réfère pas seulement à la concentration des hommes et des activités dans des centres urbains, elle se rapporte aussi à la modification des conditions d’existence rurales, ces dernières étant intégrées à des degrés variables au système global. La traduction spatiale du produit des interfaces est l’expression de formes d’intégration au système global multidimensionnel, elle est matérielle et idéelle. Ainsi, la réalité sociale surgit de la dialogique permanente entre le matériel et l’idéel avec une prégnance de la matérialité (Godelier, 1984) ; l’urbanisation relève de la modification du cadre matériel de vie, et des changements dans les pratiques et les représentations des ruraux. L’urbanisation revient à une orientation vers l’urbain, à une transformation du rural qui n’a pas la vocation à devenir urbain, puisque le moteur reste l’ancrage agricole, il s’agit plutôt de formes sociales et spatiales hybrides et complexes, les phénomènes ne se produisent pas de façon homogène. L’émergence de nœuds intermédiaires entre l’urbain et le rural comme certains marchés, fait converger les stratégies de revenus des ménages urbains et ruraux vers une forme économique métisse, la croissance des emplois non agricoles seraient un atout pour l’économie des villages (Bryceson, 1993 : 16) et ne sont pas un danger pour la production agricole. L’urbain ne s’oppose pas au rural, l’urbain n’est pas la panacée comme le rural n’est pas la tare du « développement ». La transition que vit l’environnement des Uporoto est subtile, la fonction productive et commerciale à travers les échanges, modifie le cadre socio-spatial et économique qui réalise la fonction productive et commerciale. En ce sens, l’urbain et le rural, appréhendés en termes spatiaux et économiques sont les parties d’un même système.

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Les flux entre la ville et la campagne s’amplifient en volume et en variété, ce qui multiplie les relations entre la ville et la campagne. Les flux intensifient les contacts entre les producteurs et le marché, entre le rural et l’urbain ; les échanges créent des interfaces, c'est-à-dire des dispositifs de contacts qui ont des expressions multiples selon que l’on se réfère à l’interaction sociale telle la transaction, ou à l’interaction spatiale entre l’urbain et le rural. Les échanges commerciaux ne sont pas neutres pour l’environnement dans lequel ils s’inscrivent. En ce sens, dans le champ des rapports urbain-rural, les relations qui se réalisent dans le cadre des échanges agricoles sont appréhendées en tant qu’éléments d’un système d’échange, dans lequel les parties du tout sont renouvelées par les dynamiques qui traversent le système. L’urbanisation peut être considérée comme une rétroaction positive de l’amplification des échanges.

Conclusion

Le rythme de la croissance de la population est toujours rapide et nuancé par les mobilités. La métropole connaît une augmentation de sa population très rapide et les densités rurales sont élevées, bien qu’inégales. Les plus importantes d’entre elles se rencontrent sur le piémont du mont Rungwe où elles avoisineraient les 400hab/km² tandis qu’elles oscillent autour de 150hab/km² dans la zone Umalila. L’espace rural est un espace plein où les terroirs sont saturés. L’urbanisation de la ville centenaire est inégale, le centre de gravité tend à s’éloigner du centre ville et s’allonge le long de la tanzam. L’implantation des villages est marquée par la politique nationale de villagisation, leur localisation s’est faite en fonction du réseau routier, ce dernier étant fortement contraint par la topographie. La taille moyenne des villages est d’environ 2500 habitants, cependant ils vivent dans des espaces où l’équipement urbain fait sévèrement défaut. L’économie repose sur le commerce des productions agricoles de l’arrière pays, plus des trois quarts des ruraux et environ la moitié des urbains sont engagés dans l’agriculture, cette dernière peut être qualifiée de rurbaine pour indiquer l’imbrication entre l’urbain et le rural. Mbeya, par le bais de ces deux piliers commerciaux que sont Mbalizi et Uyole, est un centre de collecte et de redistribution de denrées vers des destinations lointaines, ces pôles ont un rayonnement national et international. À des degrés divers, les marchés ruraux remplissent aussi cette fonction marchande de collecte et de distribution. Les flux transitent par ces interfaces entre l’urbain et le rural, sans qu’elles en aient l’exclusivité car les zones de contacts se multiplient à l’instar des flux. Le système d’échange favorise les

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interactions sociales et spatiales exprimées par des flux dont l’intensification tendrait à l’urbanisation.

L’objet de recherche est la montagne appréhendée dans ses relations avec l’extérieur, elles se manifestent par l’émission de flux agricoles en vue de satisfaire une demande extérieure. Les dynamiques d’ouverture et les recompositions du massif sont la matière travaillée par cette thèse, il est question d’articuler les causes et les effets des processsus en cours, à savoir l’affirmation d’un modèle agricole qui redéfinit les territoires montagnards et son statut à l’échelle nationale. Les Uporoto sont pensées en tant que système ouvert en interaction avec un environnement global. L’organisation de cet ensemble cohérent vise l’intégration du massif à un tout qui redéfinit l’élément incorporé, en ce sens, la mise en valeur des interrelations justifie une approche systémique dont la construction fait l’objet de la seconde partie.

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