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3.2- Reconfiguration par de nouvelles interactions économiques et spatiales

L’évolution vers le marché de l’agriculture des Uporoto s’opère via un glissement d’un modèle traditionnel basé sur des cultures de rente, vers un modèle qui s’appuie sur des cultures destinées à la demande urbaine en vivres. Ces échanges mettent en scène des lieux et des acteurs plus nombreux, selon des modalités multiples, et se traduisent par des interactions complexes entres les lieux et les acteurs. Pierre George emploie le terme « interaction » par la discipline « biogéographie », soit l’interaction biotique comme l’ « ensemble des rapports

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dynamiques entre les organismes d’une même biocénose » (George, 1993 : 251). L’entrée par la biogéographie est intéressante, puisqu’elle permet d’établir un parallèle : la biocénose est la communauté des êtres vivants réunis par des liens de dépendances réciproques, la communauté qui fait partie de mon objet de recherche est socio-éco-spatiale, elle rassemble les acteurs du système d’échange des produits agricoles. Les relations peuvent être qualifiées selon la nature des interactions, dont je retiens la compétition qui est inhérente à l’environnement économique caractérisé par le libéralisme et la régulation par le marché. La qualification « spatiale » de l’interaction et le passage de l’interaction à l’interdépendance sera franchi dans le chapitre trois. À ce stade, on retient qu’une interaction est un phénomène relationnel entre des acteurs et entre des lieux qui s’inscrivent dans un environnement dont les dynamiques traversent les éléments à des degrés divers. Les dynamiques sont appréhendées dans ce travail en matière de flux, l’accent étant mis sur les circulations liées à la production et au commerce agricole.

La croissance des volumes du vivrier marchand destiné au marché national a entrainé une augmentation des échanges entre des acteurs et des espaces plus nombreux. De nouveaux acteurs ont investi les filières à tous les stades. Au niveau de la production, l’essentiel est assuré par des locaux, mais se développent des systèmes marchands dans lesquels les paysans deviennent dépossédés des moyens de production. Les filières s’allongent et se complexifient par l’intervention d’une gamme plus variée d’acteurs. Agents-courtiers, transporteurs, grossistes, détaillants, tout un éventail d’intermédiaires prennent en charge les activités de mise en marché. Ils sont de différentes origines géographiques, par exemple certains sont ruraux locaux, d’autres viennent de Mbeya ou de Dar es Salaam. La terre est de plus en plus en plus sollicitée. Les nouvelles cultures alimentaires commerciales se sont diffusées dans les terres de façon hétérogène suivant le rythme, les modalités et les incertitudes des réponses au marché. Les processus de différentiation spatiale et de spécialisation qui existaient déjà lors de l’ancien modèle agricole sont en mutation, les étages se redéfinissent. Ce nouveau système agricole a changé l’organisation territoriale de la montagne.

Les échanges reposent sur un réseau de marchés montagnards qui continuent à augmenter en nombre et en taille. Ainsi, dans les montagnes Uporoto, des lieux formels d’échange ont été créés selon des modalités et des temporalités différentes. Leur localisation semble accentuer une différenciation de l’espace montagnard et les différents rythmes de création indiquent des dynamiques hétérogènes dans l’ensemble des Uporoto. Ces marchés

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arriment d’une autre manière les sociétés rurales à la globalité. Ils sont les lieux privilégiés de l’interaction entre l’échelle locale et les plus petites échelles, autrement dit, ils sont les espaces où se matérialisent de manière prégnante les relations entre l’urbain et le rural. Ils sont aussi les vecteurs de l’urbanisation des campagnes. Ils représentent également un support des flux amplifiés par la marchandisation de l’agriculture de montagne. Les flux s’appuient sur ce système de marchés extraverti mais reposant sur son arrière pays.

Le moteur de la production agricole des Uporoto en concurrence avec les autres aires d’approvisionnement est la demande urbaine, il est donc exogène à la montagne car Mbeya n’est pas la consommatrice exclusive des denrées de son hinterland. La construction du rail et de la route Dar-Zambie dans les années 1970 est un facteur déterminant du changement de modèle agricole (Anderson, 1996). Ainsi l’intégration de la montagne dans des réseaux d’échange élargis, serait favorisée par les infrastructures de transport. Le rôle des équipements de communication est fondamental pour l’ouverture de la montagne vers l’extérieur, le désenclavement des montagnes européennes a d’ailleurs été permis par des investissements étatiques dans ce secteur. Les flux s’amplifient entre des lieux et des acteurs parties prenantes dans un marché national concurrentiel et incertain. Les Uporoto sont en concurrence pour l’approvisionnement de Dar es Salaam en pomme de terre avec les autres zones de production comme par exemple la région proche de Njombe, ou le Kilimanjaro, ou le Kenya. L’incertitude réside au niveau local dans la cohérence entre les acteurs, les flux et le territoire du fait de l’imprévisibilité des marchés, de la dépendance de l’agriculture au climat et du manque de régulation coordonnée à la fois nationalement et localement.

Conclusion

L’objectif de ce premier chapitre était de montrer les fondements structurels d’une agriculture florissante et d’indiquer son orientation vers la demande urbaine en denrées. Un modèle agro-économique s’affirme, il s’appuie sur le développement des cultures alimentaires commerciales qui rencontrent un marché croissant. Les conditions physiques sont marquées par le fait montagnard, l’altitude permet de s’affranchir dans certaines mesures de la tropicalité et d’offrir des conditions climatiques tempérées. Les gradients altitudinaux et pluviométriques ainsi que les facteurs édaphiques favorables offrent une variété de possibles

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agricoles. Les systèmes de production se réfèrent à une agriculture familiale qui ne recourt pas à la mécanique et très peu à la traction animale. L’usage de la fumure naturelle est limité d’une part par un volume restreint du cheptel, et d’autre part par l’insuffisance de l’articulation entre l’élevage et l’agriculture. Les intrants modernes sont utilisés surtout pour les cultures commerciales, dont les variétés nouvelles nécessitent l’emploi de molécules chimiques, cependant, les prix élevés et fortement volatiles limitent leur accès. L’agriculture se réalise sur de petites parcelles sur lesquelles les cultures alternent. Les récoltes peuvent fortement varier d’une année sur l’autre du fait de la dépendance aux précipitations. Le climat permet de récolter à plusieurs reprises la même année, parfois jusqu’à trois fois selon les cultures. L’agriculture des Uporoto parvient non seulement à nourrir sa population, qu’elle soit rurale ou urbaine, mais elle est aussi capable d’exporter des marchandises pour le marché urbain national et sous-régional. Son orientation commerciale n’est pas nouvelle, le fait récent réside dans les transformations des interactions amplifiées avec un marché incertain et libéralisé. L’agriculture articulée au marché est la clé de voute de l’économie rurale, et près de la moitié des actifs de la métropole travaillent dans ce secteur. L’agriculture est un ferment des relations urbain-rural dans les Uporoto, elle est caractérisée par l’amplification des échanges et entre des lieux et des acteurs plus variés, ces processus arriment la population des Uporoto au marché et au territoire national selon des modalités complexes et hétérogènes. L’intensification de l’orientation vers le marché des agricultures et des systèmes d’échange participe à la reconfiguration socio-spatiale du territoire montagnard. La question de recherche principale a été reformulée ainsi « est-ce que l’intégration au marché conduit à l’intégration territoriale ? ». L’entrée par les flux souligne la dimension relationnelle multi-scalaire de la montagne. Ce chapitre premier a introduit un des moteurs des changements en cours, le chapitre second présente le fait urbain dans les Uporoto comme producteur et produit de l’agriculture.

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Chapitre 2

CROISSANCE SOUTENUE ET INEGALE DES DYNAMIQUES