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Le suffixe « -ation » désigne l’action, soit un processus, pourtant le terme « organisation » est souvent assimilé seulement à l’infrastructure, c'est-à-dire un ensemble stable. Je rappelle que ce qui nous préoccupe c’est le mouvement de la société montagnarde, dans cette démarche, l’organisation se réfère à la configuration des interrelations, c’est-à-dire aux processus organisés qui font l’unité du système, autrement dit, aux « dynamiques organisatrices » organisées. L’accent est ainsi mis sur les processus qui organisent la société au regard du modèle agro-économique ; il est question de saisir « l’organisation organisée » et « l’organisation organisante » (Lussault, in Levy, Lussault, op. cit.: 680).

L’organisation organisée

L’organisation spatiale correspond à la configuration des objets spatiaux en fonction des principes organisateurs du système. On pourrait l’assimiler à la structure spatiale, fille du structuralisme et de la conception homéostatique, elle a quelque chose de la géographie régionale classique. Elle se réfère à la nature des éléments spatiaux constitutifs du système et à leur agencement. Dans notre cas, elle concerne le massif, le réseau urbain intramontagnard et extra-montagnard, les zones agro-écologiques, les composantes physiques de la montagne. Une attention particulière sera portée sur l’agencement des marchés périodiques. L’organisation de l’organisation spatiale s’exprime notamment par l’urbanisation, par la spécialisation de zones productives, par les traductions spatiales des modes d’intégration au marché. L’adaptation de la société des Uporoto à travers les époques manifeste la capacité d’auto-transformation du système. Les formes nouvelles, par exemple la création d’un marché, sont des indicateurs de l’organisation construite. L’organisation n’est pas seulement la structure, c’est aussi un processus qui implique donc la dimension temporelle, en cela

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D’aucuns soutiennent que même une chaise peut être conceptualisée, du moment que ce travail d’abstraction serve un questionnement « À quoi sert un concept? À penser, à catégoriser, à classer, à comprendre, à connaître, à juger. C'est-à-dire à rendre possible une lecture et une compréhension d'un domaine. Cette utilité, cette valeur pragmatique du concept est centrale et primordiale. » Sylvand (2009), http://pourrais-je-savoir.blogspot.fr/2009/01/qu-qu-concept.html , consulté le 29 juin 2013. Voir également la thèse du même auteur : Sylvand B. (2005) Concept et changement de concept, Thèse de philosophie, Université Paris IV. 310 p.

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l’organisation « ne peut s’entendre que dans le temps, le temps irréversible de l’action. C’est en cela qu’elle se distingue de la structure comprise comme charpente, squelette relativement stable » (Lugan, 2005 : 116).

L’organisation organisante

L’organisation organisante du système social s’appuie sur les intentionnalités individuelles et collectives qui produisent les phénomènes d’émergence. Une intentionnalité signifie que les acteurs agissent en fonction de buts ; le principe systémique énonce que le tout est plus que la somme des parties, les finalités ne se confondent pas avec la somme des buts des acteurs ; l’ensemble des finalités (la téléonomie) oriente l’ensemble des processus d’un système (Lapierre, op cit.). Ce principe téléonomique s’illustre dans les Uporoto par l’orientation de la production et de l’économie vers le marché, en visant l’objectif conscient et inconscient de l’intégration au marché. Je présume que l’intégration au marché conduit à l’intégration territoriale, la téléonomie incite au changement, « pourtant » le système se reproduit. Les systèmes sociaux sont caractérisés par leur plasticité, par la variété des possibles de leur état. La société des Uporoto dont l’économie repose sur l’agriculture a montré, et continue de montrer sa capacité d’adaptation. Lorsque les changements de l’environnement sont négatifs et représentent des risques pour les conditions de vie, on peut parler de « résilience » pour pointer la résistance et la créativité africaine (Courade, 2000). Dans le jargon systémique, l’adaptation se traduit par le terme d’auto-transformation, qui n’implique pas un bouleversement de l’organisation ; la cohérence, la finalité et l’identité du système restent les mêmes par rapport à l’environnement. Le changement permet la stabilité, cette propriété du système est nommée « ultrastabilité » par le cybernéticien Ross Ashby, c’est-à-dire la capacité à rester le même en changeant (Lapierre, op. cit. : 51). Le passage suivant du volume un de la Méthode résume cette section « L’organisation lie de façon interrelationnelle des éléments ou évènements ou individus divers qui dès lors deviennent les composants d’un tout. Elle assure solidarité et solidité relative à ces liaisons, donc assure au système une certaine possibilité de durée en dépit de perturbations aléatoires. L’organisation donc : transforme, produit, relie, maintient ». (Morin, 1977 : 103-104).

Les interrelations

Les interrelations renvoient aux liaisons entre les éléments et entre les éléments et l’ensemble. Dans un système social, par essence complexe, les types de liaisons sont d’une variété extrême. Le projet conceptuel se cale sur la problématique, les interrelations qui font

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l’objet de ce travail sont celles en rapport direct avec la production agricole, son commerce et sa régulation, auxquelles sont jointes celles liées à l’urbanisation. La multiplicité et la variété des interrelations rendent difficile leur appréhension. Je les traduis en termes d’échange, c’est-à-dire un phénomène de réciprocité entre les opérateurs de l’échange, qu'ils soient spatiaux, sociaux ou économiques. Les échanges s’opèrent en fonction des intentions des acteurs et également dans le cadre de la téléonomie du système, il y a donc une régulation élaborée par l’organisation ouverte du système sur son environnement. Les interrelations portent sur les rapports d’échange de flux de matière, d’énergie ou d’information. L’ensemble des interrelations crée des interdépendances, cette configuration « fait système » tout du moins c’est la proposition provisoire qui demande à être vérifiée.

Au terme de ces paragraphes quelque peu abstraits, je propose un schéma qui présente le « circuit relationnel » (Morin, 1977 : 125) du système montagnard. Cette représentation vise à résumer l’approche interrelationnelle.

Schéma 2. Circuit relationnel du système montagnard, d’après Morin, 1977

Ce schéma souligne que l’explication des parties (Éléments) est liée à celle du tout, et vice et versa comme l’écrit Edgar Morin « la description (explication) des parties dépend de celle du tout qui dépend de celle des parties » ; et d’ajouter « les éléments doivent donc être définis à la fois dans et par leurs caractères originaux, dans et avec les interrelations auxquelles ils participent, dans et avec la perspective de l’organisation où ils s’agencent, dans et avec la perspective du tout où ils s’intègrent » (Idem) Autrement dit, on ne peut expliquer les parties sans expliquer le tout, et réciproquement, et on ne peut expliquer les éléments isolement ni le tout dans sa globalité seule. Cette construction est une sélection, elle met l’accent sur les multiples relations en fonction de la problématique. Les interrelations sont plus ou moins fortes, l’organisation « lie, transforme les éléments en un système, produit et

Éléments Société Agriculture Urbanisation Interrelations: Liaisons faibles (+/-indépendance) Liaisons fortes (combinaisons) Organisation Agencement des interrelations Tout Système montagnard: unité complexe du tout interrelationné ouverture

fermeture

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maintient ce système » (op. cit. :130). C’est l’organisation qui fait le système de la montagne, ce tout est donc un ensemble construit par des acteurs qui en assurent la cohésion afin de permettre les échanges entrants et sortants (inputs et outputs). Le système est ouvert, l’ouverture se manifeste par le bouclage ouverture-fermeture, comme il a été écrit plus haut, pour qu’un système soit ouvert, il faut qu’il soit fermé, pour assurer sa cohésion interne, et ouvert pour bénéficier des inputs (information, demande, etc.) et pour émettre des outputs (flux de produits, etc.). Cette ouverture organisationnelle boucle le système sur lui-même, sans l’enfermer. Selon cette conception, l’ouverture et la fermeture sont considérées en fonction de l’organisation du système, par exemple, le volume des produits émis peut s’appréhender d’après l’organisation productive dans la montagne.

Conclusion

L’approche systémique, explicitée dans ce chapitre permet de rendre compte des processus relationnels entre des éléments qui forment un tout cohérent, elle pense la montagne comme un système organisé dont l’ouverture se fonde sur les complémentarités à travers les jeux d’échelle. La finalité de l’organisation vise l’intégration territoriale des Uporoto à un schéma plus global, ce mouvement passe par l’intégration au marché et par l’intégration spatiale. Le modèle agricole qui se développe est orienté vers l’extérieur, l’extraversion souligne les interactions entre des échelles spatiales reliées par les flux agricoles. Le point de vue systémique s’impose comme la démarche la plus à même à relever le défi de la compréhension des jeux interrelationnels en cours dans le sud-ouest tanzanien.

La justification de la démarche adoptée prend sa source dans l’évolution des Uporoto dont les modalités d’ouverture redéfinissent les fondements mêmes de son organisation et de sa place dans le territoire. Le chapitre a explicité des principes de la complexité, inhérents dans la réflexion de cette thèse comme la récursion organisationnelle qui considère la rétroaction au-delà de la causalité linéaire, cette vision prend forme dans la relation configurant-configuré entre les flux et le territoire, les flux produisent le territoire qui les produit. Ces considérations prennent sens grâce au corpus des hypothèses qui s’attache à vérifier si le développement du modèle agricole contribue à la recomposition du massif et à son intégration territoriale. Des interrelations prennent corps à travers les flux qui sont l’objet de la seconde hypothèse de résultat tandis que les jeux d’acteurs et les relations de pouvoir

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sont des champs du systémisme. Le corpus des hypothèses met en avant les processus organisationnels qui sont un domaine de prédilection du « systémisme authentique».

La démarche adoptée s’appuie sur des travaux d’auteurs qui ont été sollicités à de nombreuses reprises80 ; il a paru intéressant de travailler l’idée d’intégration et de regarder des fondements géographiques à travers les lunettes de la complexité ; conscient du potentiel théorique et des limites du cadre de cet exercice. Le point de vue systémique mobilisé s’évertue à ne pas galvauder cette aventure théorique stimulante.

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Edgar Morin, Michel Lussault, Jacques Levy, Jean-William Lapierre, Yves Barel, Anne-Marie Codur, dont les ouvrages sont indiqués dans la biblioraphie.

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Chapitre 4