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L’implantation des villages 65 : l’organisation spatiale de l’Ujamaa

Les Uporoto sont anciennement anthropisées selon les rythmes des groupes ethniques autochtones Nyakyusa, des Safwa, des Malila, et des Wandali. Le peuplement a connu des moments de bouleversement dont le plus majeur, ou du moins le plus contemporain est la politique de villagisation menée dans les années 1970, cette évolution s’inscrit dans un politique de construction du socialisme à l’africaine. La déclaration d’Arusha le 29 janvier 1967 marque un tournant dans la politique tanzanienne qui s’organise autour du concept de

self-reliance, c'est-à-dire l’autosuffisance de la nation. La philosophie de Julius Nyerere était

enracinée dans des valeurs traditionnelles africaines telles la famille, la communauté, elle était également imprégnée d’idées rousseauistes basées sur le Contrat social énonçant le principe de la souveraineté du peuple qui organise la vie collective, à l’instar de la villagisation qui devait s’effectuer sur des principes volontaires (Stoger-Eising, 2000 in Ibhawoh, Dibua, 2003). La société idéale selon le Mwalimu66 devait s’articuler autour du triptyque liberté, égalité et unité, cependant le bilan controversé résulterait du caractère utopique de sa philosophie (Ibhawoh, Dibua, 2003). L’objectif de pouvoir compter sur ses propres forces devait être rendu possible par le développement du monde rural à travers l’éducation et les techniques agricoles. Ces mesures s’appuyaient sur le regroupement de population, d’abord par l’adhésion, puis par la contrainte et ensuite par la force. Le mouvement des populations dans des villages gouvernementaux s’est réalisé en trois phases, la première étape n’a pas rencontré d’engouement et n’a duré qu’une année, le constat d’échec des Village Settlement

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Les villages en question ne se réfèrent pas à la catégorie statistique du district Mbeya Urban qui concerne des quartiers intra-muros ou périphériques. Le terme « village » se rapporte aux agglomérations rurales, au sens de finage, c'est-à-dire « à une unité humaine et à son espace de souveraineté et de production, généralement avec un composant agricole » (F.P. in Levy J., Lussault M., 2003 : 987), sauf que dans notre cas il faut supprimer l’adverbe « généralement » puisque les villages de la zone d’étude sont essentiellement dominés par les activités agricoles.

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Scheme fut établi en 1966, soit après seulement un an la promulgation du Land Tenure

(Village Settlement Act) en 1965. La seconde phase qualifiée d’Ujamaa (signifiant « famille élargie », « fraternité » en swahili) a suivi la déclaration d’Arusha et est la plus connue, alors qu’elle n’a finalement pas eu beaucoup d’impacts. Jusqu’en 1970, les rassemblements dans les villages nouveaux concernent une très faible part des tanzaniens, le mouvement s’accélère en 1973, année où le terme d’Ujamaa est remplacé par celui de « village de développement », année à partir de laquelle la villagisation devient obligatoire, année aussi où les mouvements forcés prennent une ampleur considérable. Moins de 20% de la population de la région Mbeya vivait dans ces villages en 1974, deux ans plus tard ce n’est pas moins de 80% des habitants qui vivent dans les centres nouvellement créés (Raison, 1989). Au niveau national, les déplacements ont été conduits « pour l’essentiel en moins d’un an (surtout juillet à novembre 1974) et globalement en moins de trois ans un déplacement de population d’une très grande ampleur en chiffres absolus et plus encore en proportion de sa population : le nombre des habitants dans les villages est passé de 2 millions et demi en janvier 1974 à 13 millions (plus des trois quarts de la population de la Tanzanie continentale) en janvier 1977, cependant que la taille moyenne des villages passait de 500 à près de 1700 habitants » (Raison, idem :416). La politique a officiellement été abandonnée en 1983. Le peuplement des Uporoto a été bouleversé lors de cette troisième phase. Une vue du ciel illustre bien l’orientation linéaire des villages et des hameaux le long des pistes. Les ambitions de cette politique étaient louables, il s’agissait de rassembler les populations dispersées dans des centres où ils puissent bénéficier des services d’éducation, de santé et d’eau potable. L’autre objectif, certes moins affiché, était de « transformer une société de parenté en société de citoyenneté, elle [la villagisation] devait permettre le travail en commun, facteur de progrès et de socialisation » (Idem :404). Seulement, dès le mois de décembre 1973, soit avant l’accélération du mouvement, le travail en commun n’est plus obligatoire et devient résiduel. Les décalages entre les ambitions annoncées et les moyens réels, les erreurs fondamentales conceptuelles et le fait que la bureaucratie aurait dévoyé les objectifs initiaux ont participé à l’échec relatif du projet original. En matière agricole « l’intérêt de la villagisation est alors tout sauf agronomique » (Idem : 416), paradoxalement, les premiers critères de sélection de sites d’implantation dont la base productive est agricole n’étaient pas la qualité des sols, ils étaient plutôt ceux d’accessibilité et de positionnement sur un axe de transport. Ainsi s’opérait la localisation quasi-systématique des villages sur des voies carrossables, sans de véritables prises en compte de la fertilité des sols, ni des systèmes de production ébranlés par l’augmentation de la

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distance entre le lieu d’habitation et les champs. Le bilan de ces politiques reste controversé et les effets sur l’organisation spatiale toujours prégnants. Pourtant si plus de 80% des habitants de la région Mbeya ont été déplacés dans des villages, trente ans plus tard c’est toujours environ 90% de la population du district MR et Rungwe qui est rurale, certes les habitants ont été regroupés, mais les concentrations n’en demeurent pas moins rurales, l’accès aux services de base n’est pas systématique et les équipements urbains limités.

Le nombre de villages s’élève à 126 dans le district de Mbeya Rural et à 162 dans celui du Rungwe, la population moyenne par village est respectivement de 2502 habitants et 2327 habitants67. 42 villages ont plus de 2000 habitants dans MR et 51 dans le Rungwe. Très peu dépassent les 4000 habitants en 2002, un seul dans Mbeya Rural et six dans le Rungwe (dont trois excèdent les 5000 h.). L’essentiel du peuplement se rapporte donc à de nombreux villages de taille réduite et à de l’habitat dispersé le long des pistes qui occupent l’espace en fonction des contraintes topographiques. Globalement dans les zones à reliefs escarpés, principalement le piémont sud du Rungwe, le peuplement s’effectue le long des lignes de crêtes longitudinales, dans les zones où les reliefs sont moins saillants, le peuplement s’apparente à du mitage à partir des pistes. Sur le piémont sud-ouest du mont Rungwe le peuplement très dense a une orientation longitudinale sur les arêtes tandis que là où la topographie n’est pas contraignante, le piémont du volcan est parsemé d’une pléiade d’habitations orientées en fonctions de la multitude de pistes sinueuses comme sur la planèze de Mwakaleli. Dans le Rungwe, les centres urbains les plus importants sont surtout répartis le long de l’axe Mbeya-Malawi. Dans les Uporoto Highlands, le peuplement est concentré dans les villages de taille moyenne, entre 1000 et 4000 habitants. Dans la zone Umalila, il suit une organisation similaire mais les centres sont de tailles plus réduites mais ils sont relativement plus nombreux, l’habitat s’y concentre à un niveau inférieur d’autant plus que les reliefs doux n’ordonnent pas l’agencement. Des petits foyers de peuplement émaillent le district sans qu’une piste carrossable ne les relie au réseau de transport. La densité humaine dans le concave des Uporoto est irrégulière, des zones sont encore peu occupée tandis que d’autres sont congestionnées. De nombreux hameaux traversés par une piste, ne regroupent que quelques dizaines de maisons, ceux de taille moyenne, dont l’effectif est plus réduit ont plusieurs rangées d’habitations parallèles à la piste.

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Les critères de définition d’un village ne sont pas indiqués dans le rapport du recensement de 2002, cette unité administrative regroupe des ensembles qui vont de 1 à 74 000 habitants (e-geopolis, 2012).

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