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Les prérogatives de la capitale du sud-ouest confèrent à Mbeya un effet polarisant dans des domaines administratifs, éducatifs et sanitaires. La ville regroupe des administrations uniques dans la région, elle rassemble de nombreux établissements scolaires supérieurs tels des universités, l’hôpital fédéral, elle réunit des sièges d’entreprises tels ceux des opérateurs téléphoniques. Elle remplit ainsi dans certaines mesures les fonctions administratives, de services et de commerce ; par contre l’activité industrielle de grande ampleur n’est pas développée contrairement à l’agriculture qui imprègne une grande part de l’activité. L’économie de la capitale est à l’image de sa région dans laquelle les activités agricoles occupent 80 % de la population du district de Mbeya rural, 90 % celle du district de Rungwe et près de la moitié des habitants de la métropole68.

En 2002 plus des deux tiers du produit intérieur brut de la région Mbeya provenait de l’agriculture, l’économie de la ville de Mbeya repose sur le rural, près de la moitié des activités s’appuient sur l’agriculture. Les seules industries de grande ampleur sont une

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cimenterie, une brasserie, une usine textile, une usine de torréfaction et deux usines à thé. Les industries de taille moyenne sont peu nombreuses et se réfèrent à la transformation de produits de la terre, principalement l’agroforesterie, la fabrication de farine, d’huile et dans une moindre mesure l’aviculture. Elles peuvent se confondre avec l’artisanat qui, avec le petit commerce, absorbent une grande partie la force de travail qui ne peut pas s’investir dans l’agriculture. La frontière entre le secteur formel et le secteur informel reste floue. Christopher Comoro dans sa thèse sur l’urbanisation de Mbeya considère que le formel et l’informel constituent un tout symbiotique qui permet la survie des citadins (Comoro, 1988). Certes il y a des emplois urbains en ville, mais dans la métropole aussi, la débrouille soulage beaucoup de laborieux et de laborieuses. Les chiffres suivants issus du recensement de 2002 donnent une image de l’économie du district Mbeya Urban. Les activités se répartissent comme suit : 38 % dans l’agriculture, 27 % dans le commerce et les services, 9 % dans l’emploi public, 8 % dans la vente de denrées agricoles brutes, 6 % dans le bois, 7 % dans l’industrie et la construction 5 % regroupent les activités diverses. Si l’on regroupe l’agriculture et la vente des produits crus, c’est presque la moitié de l’économie de Mbeya Urban qui repose sur l’agriculture. Les chiffres officiels montrent le poids de l’agriculture dans l’économie de Mbeya et ils soutiennent l’intuition sur le lien entre l’urbanisation et la croissance du commerce agricole. Parmi les travailleurs, 40 % sont paysans, 19 % vendeurs dans la rue, 9 % sont employés dans les services et le commerce, 6 % sont artisans, 8 % sont techniciens. Ces chiffres indiquent la prégnance et la persistance de caractères ruraux et informels dans l’économie urbaine. Les fonctionnaires en costume côtoient les salariés des sociétés privées, les artisans, les petits vendeurs et la foule des travailleurs souvent originaires de l’hinterland qui, faute de débouchés au village, vend de manière informelle sa force de travail dans les bars, les hôtels, les marchés, les gares routières, les ateliers, etc. Un travail est frappant, celui des rabatteurs dans les gares routières et les stations principales. Ce sont de jeunes hommes qui passent toute la journée à essayer de remplir les daladala faisant les innombrables navettes urbaines, ou les

coaster qui partent dans les villes environnantes. Les jeunes arrivent au petit matin, prennent

une tasse de thé aux vendeuses assises sous un parasol, et commencent à s’agiter entre le balai des véhicules, fréquemment « motivés » par la marijuana et par l’ambiance reggae pour tenir le rythme69. Ils font partie du paysage des transports, ils sont toujours là, tous les jours. La nuit, une autre activité interpelle, ce sont les grillades de michkaki (petites brochettes de

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Bien que l’on accepte qu’il y ait une grande différence de tempo entre la musique d’origine jamaïcaine et le flot des véhicules.

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bœuf), de kuku (poulet) et de chipsi mayai (omelette aux pommes de terre). Dès la nuit tombée, trois à quatre jeunes gens sortent d’une arrière court pour déposer le choma (barbecue) et lancer le feu. Ce restaurant est sommaire, puisque seuls quelques bancs sont disposés derrière les feux, il est très apprécié par les consommateurs de toutes les classes, du rabatteur local, au père de famille avec enfants, au boss accompagné jusqu’aux musungu. Ces activités difficilement quantifiables et que l’on peut qualifier d’informelles sont très répandus dans la ville, sans parler des mini-kiosques fixes ou ambulants. Ce sont des présentoirs rapidement établis, où l’on trouve du crédit téléphonique, des boissons non alcoolisées, des cigarettes, des gâteaux et des sucreries. Ces points de vente sont très nombreux dans la ville. Ces activités peuvent s’articuler avec d’autres occupations rémunératrices, selon les opportunités.

Les activités agricoles occupent toujours une grande part de citadins et le facteur saisonnier intervient dans la répartition des activités sur l’année. La faiblesse du secteur secondaire formel s’explique en partie par le faible nombre d’usines, un capital financier insuffisant, une main d’œuvre peu qualifiée, des coûts de production élevés et des politiques libérales qui privilégient les importations de produits manufacturés aux dépens de la production intérieure. En dépit de la faiblesse structurelle de l’économie urbaine de Mbeya, la ville s’urbanise rapidement. Sur la période dans laquelle se sont réparties les missions, soit 29 mois, j’ai constaté une véritable explosion de certains quartiers, surtout entre 2010 et 2011. Le nombre d’hôtels, de centres de conférence, de banques, de commerces divers et variés sont des indicateurs de l’effervescence économique.

Par conséquent, l’économie peut être qualifiée de rurbaine. Le terme « rurbain » implique une combinaison d’éléments urbains et ruraux, il apparaît pertinent pour qualifier des villes qui s’appuient sur leur arrière pays, au premier chef sur leur agriculture. La fonction productive agricole anime encore des villes dont l’économie n’est pas industrielle, ou ne repose pas sur des activités de services, c’est le cas de Mbeya dont le commerce repose pour une grande part sur la production agricole et dont les habitants sont toujours fortement engagés dans l’agriculture, que ce soit au niveau de la production, de la transformation ou du commerce. Le caractère métissé du profil économique de la capitale n’est donc pas un fait isolé ni récent. En 1969, Pierre Vennetier écrit que « la persistance [de l'économie traditionnelle] est d'ailleurs pour maints citadins une condition de survie » (Vennetier, 1969), pour signaler la ruralisation des villes. Jean-Claude Bruneau notait que la «ruralisation

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croissante des sites urbains » est une réponse aux dégradations des conditions économiques et la paupérisation des citadins (Bruneau, 2002 :185). Le maintien de l’agriculture et sa prégnance dans l’économie de villes africaines est non seulement une réponse structurelle aux impasses urbaines mais c’est également le signe d’une urbanité originale qui manifeste l’appropriation de la ville par des sociétés et des économies s’appuyant sur l’agriculture (Racaud, 2006). Le terme « rurbain » correspond aussi à l’articulation entre les activités formelles et informelles des divers secteurs, visibles sur les hauts lieux de l’échange que sont les marchés.