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Avant la colonisation, les échanges agricoles se rapportaient pour une part non négligeable au troc. Ils se réalisaient par l’intermédiaire des marchés périodiques ruraux dans lesquels les paysans des alentours apportaient leurs produits. Du temps des colons, les Uporoto représentaient une réserve de main d’œuvre pour les plantations des autres régions et

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aussi pour l’industrie minière d’Afrique du Sud. Jusqu’au années 1960, la source principale de revenus provenait des travailleurs émigrés (Rasmussen 1986, in Ponte, 1998 : 323). Le système de taxation et l’introduction de cultures commerciales ont accéléré le besoin en numéraire et la création d’une main d’œuvre marchande. « Taxation and export crop

production, and laws requiring housholds to cultivate a minimum of acreage of a specific export crop acted as instruments of market penetration » (Sokoni, 2007 : 4). Les cultures du

café, du thé et du pyrèthre ont participé à la mutation de l’économie traditionnelle. Le pyrèthre de Dalmatie (Tanacetum cinerariifolium) est une plante herbacée vivace cultivée pour ses fleurs dont on tire une poudre insecticide. Des colons l’auraient implanté dans la région d’Iringa au débit des années 1930 et il aurait été adopté dans les Uporoto vers 1960 (Kabahaula, 1989). Le point de départ du café tanzanien remonte aux Pères français de la Congrégation du Saint-Esprit qui ont planté la première graine à Bagamoyo en 1871. Le café s’est ensuite diffusé dans les terres grâce aux routes caravanières et aux implantations des missions qui exploitaient des cultures vivrières et des cultures commerciales. À partir de 1909 les prix devinrent incitants et nombre de colons se lancèrent dans cette entreprise (Charlery de la Masselière, 1994). Le thé a d’abord été expérimenté par les Allemands en 1904 dans les Monts Usambara et dans le Rungwe à la mission de Kyimbila. C’est à partir de la deuxième moitié des années 1920 que la production commerciale de thé débuta. En 1929 une commission de l’administration coloniale recommanda que le thé remplace le café à Tukuyu. À la suite, des semences furent distribuées gratuitement aux colons. Avec la création de la première usine à Mufindi, dans la région Iringa, l’industrie était solidement lancée (Carr et al., 1992).

Après l’indépendance acquise en 1961, le secteur agricole fut encouragé de manière considérable par l’État du Tanganyika puis à partir de 1964 par la République unie de Tanzanie. La déclaration d’Arusha proclamée le 5 février 1967 par le Président Julius Nyerere définit les grandes lignes de la politique de l’Ujamaa qualifié de socialisme à l’africaine. Le développement rural s’appuyait sur les mesures de villagisation qui, en encourageant le regroupement, ont aussi favorisé l’augmentation des emplois non-agricoles et la croissance des marchés ruraux (Sokoni, 2001). Cette politique privilégia le soutien à l’agriculture commerciale par la création de coopératives et de services de régulation de la commercialisation (marketing board). L’objectif était la transformation des systèmes de production dans le but de passer d’une agriculture d’autosubsistance à une agriculture capable de dégager des surplus commerciaux pour augmenter les revenus et répondre à la demande

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urbaine croissante. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, le bilan est mitigé, le pays entre dans une phase de récession économique. Si l’accès à l’éducation et aux services sociaux de base comme l’éducation ont beaucoup progressé, les résultats économiques furent loin d’être à la hauteur des espérances des dirigeants. Les déficits budgétaires s’accumulaient tout comme les déficits commerciaux d’une économie fortement axée sur l’exportation de cultures commerciales. En matière agricole, l’encadrement étatique était pointé du doigt. Il était reproché à l’État de fixer des prix qui ne correspondaient pas aux cours du marché. De plus les nombreux organismes publics de régulation chargés de la commercialisation des cultures commerciales furent taxés d’être un frein à la modernisation de la paysannerie. Aussi, d’autres accusations portaient sur l’importante corruption des responsables à plusieurs niveaux de ce système. Pour remédier à ces problèmes, la Tanzanie lança son propre programme de réforme au nom évocateur de National Economic Survival Programme qui couvrit la période de 1981 à 1985. Cette décision fut l’annonce des plans d’ajustement structurels imposés par le FMI à partir de 1986 pour mettre fin à l’interventionnisme de l’État. L’objectif de ces mesures était d’augmenter les performances économiques de la Tanzanie et de stimuler la production et le marché agricole par la « liberalization of exchange and trade

regime ; liberalization of agricultural marketing system and domestic prices ; initiation of parastatal and civil reforms » (FMI, Nord et al., 2009 : 4). Cela s’est traduit par le

désengagement de l’État dans la régulation des prix et de la commercialisation et dans la fourniture de subventions aux paysans. Les organismes publics furent démantelés. La libéralisation du marché agricole a signifié pour les producteurs la fin des certitudes quant à l’accès au crédit et à des marchés auparavant garantis. L’essentiel des interventions s’intéressait aux cultures d’exportation mais autant le secteur des food crops comme toute l’agriculture et la vie rurale se trouvèrent bouleversés par ce changement de règles ou pour ainsi dire la quasi absence de règles.

Cette pénétration de l’économie globale a conduit à une marchandisation de la vie rurale qui certes semblait inéluctable, mais qui s’est imposée par la force des choses. Les productions alimentaires ont revêtu une dimension marchande intensifiée. L’État ne participait pas aux cultures de subsistance et malgré qu’elles aient pris un caractère marchand, il a laissé les forces du marché réguler ce nouveau jeu de l’offre et de la demande. Les nouvelles possibilités du cadre libéral s’appréhendent au regard d’un contexte national de croissance urbaine et de croissance démographique. La demande urbaine en denrées alimentaires a encouragé l’élargissement de la gamme des cultures dans les zones de

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production. Les paysans ont adapté leurs systèmes de production en plantant des cultures rapides et intensives pour générer des revenus rapides (Ponte, 1998). Dans les Uporoto, ces nouveaux vivres orientés vers le marché urbain sont la pomme de terre, le haricot, la banane, le chou et d’autres légumes (tomates, carottes, oignons, ail, etc.)40. Les principales cultures produites dans les Uporoto et envoyées vers les bassins de consommation sont la pomme de terre, la banane, et le maïs. Le marché principal est le marché national, et en premier lieu celui de Dar es Salaam. Des variétés cultivées dans le massif sont aussi consommées dans la sous-région. La carte suivante montre les destinations principales des productions montagnardes majeures.

Carte 6. Direction des produits majeurs cultivés dans les Uporoto

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Il est nécessaire de nuancer l’aspect « nouveau », par exemple les pommes de terre de variétés traditionnelles sont plantées depuis longtemps, ce qui est récent c’est l’introduction de nouvelles variétés (dont la variété arika) adaptées à la demande urbaine et gourmandes en intrants. La banane est une culture traditionnelle mais ce qui est récent réside dans la croissance de la production et l’adaptation de la gamme des variétés aux différents marchés.

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La production croît continuellement et durablement malgré la saturation foncière. Les tonnages récoltés augmentent beaucoup plus que les superficies cultivées par des pratiques d’intensification. Ce développement s’est fait au détriment du café et du pyrèthre dont les superficies cultivées sont en diminution constante41. Les revenus escomptés sont pour une grande part absorbés par le remboursement des investissements lourds que nécessitent les cultures maraîchères. L’accès aux moyens de production et l’accès au marché impliquent des coûts auxquels l’Etat ne pourvoit plus. Le modèle agricole basé sur l’essor du vivrier marchand s’est développé selon une tradition de non-intervention étatique. Le secteur privé opère depuis toujours dans la commercialisation de denrées alimentaires car les interventions publiques étaient dédiées aux cultures d’exportation42. Néanmoins, le fait que le privé ait structuré le commerce du vivrier marchand et que ce dernier soit en expansion ne doit pas être compris comme un avantage ou comme un facteur de développement du rural. Le libéralisme, la disponibilité d’un marché et des conditions environnementales favorables n’impliquent pas un enrichissement significatif de la paysannerie montagnarde. Le processus d’accumulation demeure limité, les producteurs ne capitalisent pas à hauteur de pouvoir s’occuper de la commercialisation et de là renforcer leur capacité de négociation et de décision au sein des filières. Toutes les étapes de mise en vente sont accaparées par les acteurs privés qui prolifèrent et qui sont en concurrence. Dans ce marché dérégulé et en expansion il apparaît que les forces du marché orientent le développement agricole des Uporoto.

3. La prégnance d’une économie agricole dans un contexte d’amplification

des échanges

La ville de Mbeya est un pôle commercial pour lequel les échanges reposent sur l’agriculture de son arrière pays; à l’échelle de la région éponyme, ils sont croissants avec l’extérieur et fondent le dynamisme économique : le produit intérieur brut de la région a augmenté de 19 % entre 2006 et 2007 et de 18 % entre 2007 et 2008. Le secteur agricole

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Les superficies de thé ont légèrement augmenté de 2002 à 2009 mais auraient chuté de 40% en un an : 5147 ha cultivés pour la campagne 2008-2009, et 2992 ha cultivés en 2009-2010. Ce chiffre est vraissemblablement douteux, il illustre la difficulté à utiliser les données officielles. Je n’ai pas observé de faits significatifs sur le terrain.

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Ici aussi il faut nuancer un pseudo cloisonnement strict entre les food crops et les cash crops ; les paysans savaient tirer profit de certains avantages des cash crops. En effet, ils pouvaient ne pas épandre tout le sac d’engrais subventionné sur la culture commerciale pour en garder pour la production de subsistance.

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anime l’essentiel de la population rurale, et près de la moitié des habitants de la métropole, en effet 39,7 % des habitants du district Mbeya Urban vivent de l’agriculture (URT, 2002).