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L’affirmation d’un nouveau modèle agricole qui s’appuie sur les avantages agro-économiques des Uporoto et qui répond à la demande urbaine extérieure, est un phénomène qui suppose de nouvelles modalités d’ouverture. Cette orientation pose le problème de l’intégration de l’économie et de la société de la montagne périphérique, de plus en plus en interaction avec des dynamiques extérieures. Le passage graduel vers une montagne moins périphérique se traduit par des phénomènes d’articulations de plus en plus étroites entre l’économie rurale et l’économie urbaine, entre les lieux du système d’échange dans lesquels l’homme est au centre de la construction sociale de l’espace. Pour aborder ces phénomènes, je construis une problématique qui porte l’empreinte de la pensée complexe et systémique. Ce choix se justifie par l’objet de recherche qui est la dimension relationnelle de la montagne, autrement dit l’intégration territoriale de la montagne sociale à la globalité. L’intégration est une dynamique qui établit des relations plus étroites entre les parties d’un tout, elle organise des interdépendances dans un tout renouvelé par l’intensification des liens entre des éléments eux mêmes reconstruits par cette dynamique. L’intégration est « l’incorporation d’une réalité dans une autre […] elle n’est pas la fusion [elle] donne lieu à un mélange dissymétrique » (Levy, 2003 : 516). En termes géographiques, ce processus peut être illustré par les rapports entre les centres et les périphéries, et s’avère approprié pour appréhender les relations entre Mbeya, zone de production agricole et le réseau urbain dominé par Dar es Salaam. À une autre échelle, l’intégration territoriale fait référence aux relations entre les lieux dans la montagne, dont les modalités d’ouverture et l’articulation au centre régional sont au cœur de la problématique.

Les dynamiques qui organisent le système d’intégration territoriale mettent en scène les dimensions sociales de l’espace et les dimensions spatiales de la société, l’enjeu est d’élaborer un modèle qui dépasse la dualité dans son ontologie, exprimée par celle des territoires et des réseaux, celle du centre et de la périphérie, ou encore celle du configurant et du configuré. La manière d’aborder le phénomène s’attache à ne pas se laisser emporter dans des modes d’explication mécanistes. Mon objectif est de ne pas cloisonner la réalité puisque l’objet de recherche nous montre à quels points les phénomènes sociaux, économiques et spatiaux sont liés, reste à savoir comment les regarder et avec quels outils les appréhender. Il s’agit de réaliser un travail géographique façonné par le terrain et par un cadre théorique dont

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l’ambition est de dépasser les relations linéaires de causes à effets, les principes de disjonction ou encore ceux de l’opposition.

La question de départ rétravaillée est formulée ainsi :

L’organisation du système montagnard basé sur une économie agricole extravertie permet-elle l’intégration des Uporoto au territoire national ?

Elle pose les interrelations entre les dimensions spatiales et économiques de la société, elle suppose un lien entre le développement agricole et le développement territorial, le modèle agricole composerait le territoire qui le compose, les deux éléments sont constitutifs l’un de l’autre, puisque chacun d’entre eux est nourri et nourri son vis-à-vis. Leurs échanges se manifestent par des flux dont l’écoulement met à jour la nature et l’intensité des relations. Il est question de se demander en quoi les flux du système d’échange réorganisent les territoires dans la montagne et la place des Uporoto dans l’économie et le territoire national ? Ces flux étant produit par des logiques économiques, on peut compléter la question recherche avec celle-ci : est-ce que l’intégration au marché conduit à l’intégration territoriale ?

Des sous-questions de recherche enrichissent ce questionnement : l’urbanisation conduit-elle à l’intégration ? L’intégration conduit-elle à l’urbanisation ? Ce questionnement devient le fil central de la recherche, il met en relation les dimensions que le modèle d’analyse s’attachera à investiguer. La formulation de la problematique est la suivante :

Dans quelle mesure l’émergence d’un modèle d’intégration fondé sur l’essor de nouvelles cultures commerciales, sur un réseau de marchés et sur la complexification des flux, produit un système qui redéfinit l’organisation montagnarde et la place du massif dans le territoire?

Dans une perspective géographique, cette élaboration oriente la recherche en mettant l’accent sur la construction territoriale par flux, ces derniers étant eux-mêmes configurés par l’espace des sociétés. Les flux et les territoires sont à la fois configurant et configurés, les flux produisent les territoires qui les produisent, autrement dit les territoires produisent les flux qui les produisent, au même titre que les hommes produisent la société qui les produit. La clé de voûte de cette articulation est la boucle de rétroaction, relation fille de l’approche systémique. À travers les relations entre les parties et le tout, la problématique entend (re)visiter des objets géographiques et la manière de les aborder. Ainsi seront étudiés les couples urbain-rural, centre-périphérie, territoire-réseau, ainsi que les notions de « marché », de « flux ».

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L’orientation théorique retenue est imprégnée par le paradigme de la complexité et par la science complexe, elle est un alliage entre une géographie rurale, une géographie urbaine, une géographie tropicale, sans être chacune d’elle ni toutes à la fois ; peut être l’approche proposée peut se retrouver dans l’expression « géographie métisse » de Paul Pélissier, qui insistait sur le métissage social des populations africaines du fait de la multiplication des échanges entre la ville et la campagne, de la modernisation des campagnes et du rôle grandissant des petites villes croissantes (Pélissier, 2004), en résumé du fait de la croissance des interactions rurales-urbaines (Pélissier, 2000). Le modèle élaboré fait la part belle aux flux de l’échange car cette entrée est une « aubaine géographique » si l’on peut dire, puisqu’elle permet d’articuler les échelles géographiques indissociables des phénomènes d’intégration comme le souligne Torsten Hägerstrand « même dans les activités les plus simples, les individus sont pris dans des flux, des interrelations, etc. qui dépassent largement l’échelle locale » (Hägerstrand, in Levy, Lussault op. cit. : 368). Le flux ainsi placé au cœur de l’ambition géographique de ce travail sera traité dans ses dimensions matérielles (flux de produits, flux d’hommes, etc.) et dans sa dimension immatérielle (flux d’information). Les hypothèses de travail et les concepts associés sont déclinés dans la seconde partie.

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SECONDE PARTIE :

Approche interrelationnelle du mode