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Folklore moderne de Bealtaine en Irlande

MANIFESTATIONS SOCIALES

3.1 ASSEMBLEES FESTIVES

3.1.3 Reines et Bébés de mai

Absente des Gaeltachta du Connacht, extrêmement rare dans le Munster, la tradition des Reines de mai se retrouvait principalement dans le Leinster et l’Ulster,31 pratiquement toujours couplée avec un May Pole ou un May Bush collectif ; en d’autres termes, il s’agissait d’une tradition presque exclusivement urbaine. La coutume consistait à élire une « Reine de mai », à May Day, pour les douze mois de l’année à venir.32 A cette occasion, jeunes et

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Cette affirmation doit être nuancée par le fait que Kevin Danaher, comme la plupart des chercheurs, n’établit aucune différence entre les feux de joie et les feux de Bealtaine.

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There are traditions from many areas to show that the lightning of bonfires on May Eve was common

and widespread, but this custom has almost entirely died out. In Limerick city May Eve is still ‘Bonfire night’ and until recently children in Belfast lit small fires in the side streets in honour of their ‘May Queens’. The Year in Ireland, Op. cit., p. 96.

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Les exemples les plus célèbres se retrouvent à Belfast et à Holywood, dans le comté de Down. 32

Si la jeune fille n’avait pas trouvé d’époux pendant la durée de son règne symbolique, de Bealtaine à

vieux se réunissaient, généralement à proximité du lieu où le May Bush / Pole collectif était érigé. Ils « sélectionnaient » la plus belle des jeunes filles présentes dans l’assemblée ; les restrictions liées à l’âge variaient selon les régions, même si l’on admettait généralement que la Reine de mai devait avoir une vingtaine d’années. Souvent, on la choisissait parmi les jeunes filles dansant autour du May Bush / Pole.33 On la couronnait avec des fleurs sauvages,34 autrement dit des « fleurs de mai ». S’ensuivaient alors les festivités (danses, prestations musicales et sportives35 traditionnellement rattachées aux manifestations sociales populaires du May Bush collectif) durant lesquels la jeune fille occupait une place d’honneur. Les célébrations s’achevaient, à la tombée de la nuit, par une grande procession : la Reine de mai siégeait généralement sur un trône recouvert de fleurs ; elle était alors portée à travers les rues de la ville ou du village et lançait des fleurs sur ceux qui croisaient son chemin ; les jeunes gens l’accompagnant, les May boys ou « garçons de mai »,36 sollicitaient l’argent des habitants, argent destiné à être utilisé pour décorer le May Pole et orner les différentes parures des protagonistes :37

Le premier jour de mai, depuis des temps immémoriaux jusqu’en 1798, un grand mât était planté sur la place du marché de Maghera [comté de Derry], et une procession de garçons de mai, dirigée par un faux roi ou une fausse reine, paradait dans le voisinage, [...] décorée de rubans aux couleurs variées. La coutume fut rétablie l’année dernière.38

Traditions and Superstitions of the Country with Humorous Tales. Glasgow : Cameron and Ferguson,

Glasgow, 1870 ( ?), pp. 207-8. 33

MS. 1095 §56 (Limerick). MS. 1096 §124 (Fermanagh) et §125 (Antrim) : l’informateur mentionne l’un des hymnes accompagnant la coutume : « Mais je dois ramasser des [lianes] de fleurs / Et des boutons et des guirlandes joyeuses / Car je vais être Reine de mai / mère / Je vais être Reine de mai. »

But I must gather knots of flowers / And buds and garlands gay / For I’m to be Queen of the May / mother / I’m to be Queen of the May).

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Voir, par exemple, MS. S.686 (Meath). 35

Pour les manifestations sportives, voir infra, chap. 3.1.4. 36

On désigne également les « garçons de mai » par le terme Morris dancers qui, selon un informateur du comté de Donegal pourrait être interprété en Moorish dancers, c’est-à-dire « danseurs mauresques ». MS. 1096 §152 (Donegal). Le terme Morris dancers désignait l’intégralité des jeunes gens, principalement des jeunes garçons, donc, prenant part aux danses de May Day (danses relatives aux coutumes des feux de joie, des May Bushes / Poles collectifs ou des Reines de mai). On trouve une excellente description des processions liées aux « garçons de mai » dans le livre de Patrick Kennedy. Kennedy, Patrick. The

Bank of the Boro. A Chronicle of County Wexford. Dublin : McGlashan and Gill, 1875, pp. 208-11.

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MS. 1096 §95 (Sligo), §111 (Down). 38

On the 1st day of May, from time immemorial, until the year 1798, a large pole was planted in the market place at Maghera, and a procession of May boys, headed by a mock king and queen, paraded the neighbourhood, [...] ornamented with ribbons of various colours. The practice was revived last year.

L’élection d’un Roi (et non d’une Reine) de mai était rare, voire exceptionnelle, en Irlande ; lorsque la coutume locale exigeait qu’un jeune homme dirigeât les processions de mai, on préférait généralement le travestir en Reine de mai. Le choix du garçon était alors motivé par sa féminité naturelle.39

Comme souvent, la coutume des Reines de mai s’est étiolée avec le temps, partout en Irlande. La dernière occurrence d’une telle tradition se retrouve à Belfast, dans les années 1950 :

Il est singulier de retrouver la coutume des Reines de mai à Belfast, [mais], autant que je le sache, dans aucune des zones rurales d’Ulster. Dans pratiquement tous les quartiers ouvriers de la ville, les petites filles revêtent toutes sortes de parures extraordinaires, et, de quelques jours après Pâques jusque [dans le courant du mois] de mai, elles paradent dans les rues, suivies de leur cour, chantant, dansant et, de manière générale, s’amusant en quémandant [de l’argent] avec insistance et sans honte à chaque passant. A May Eve, ils [les Reines de mai et les membres de leur cour] allument des feux de joie dans les ruelles et dansent autour de [ces feux]. L’année dernière, j’ai demandé à une de ces Reines ce qu’elles faisaient du fruit de leur quémandage, et elle m’a dit qu’elles faisaient une superbe fête, [avec des] « gâteaux, des petits pains, des glaces et des oranges ».40

Force est de constater que cet exemple récent de Reines de mai se démarque largement des autres traditions que nous venons de mentionner : à Belfast, il ne s’agissait pas d’élire une Reine de mai, puisque chaque petite fille s’autoproclamait Reine et se parait des atours relatifs à cette fonction. A aucun moment la coutume ne prenait la forme d’une procession, en dépit du fait que les jeunes filles étaient suivies d’une cour de « garçons de mai » ; de multiples petits feux de joie étaient substitués au grand feu central autour duquel gravitaient traditionnellement les célébrations ; on constate que l’argent de la collecte ne servait plus à enrichir les décorations du May Bush ou les parures des Reines mais était utilisé dans les préparations d’une grande fête ; enfin,

University Press, 1902, Vol. II, p. 264, d’après Graham, John. Statistical Account of the Parish of

Maghera, County Derry. Lieu d’édition inconnu : éditeur inconnu, 1814.

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MS. 1096 §95 (Sligo), §152 (Donegal). 40

It is odd to find the custom of the May Queen observed in Belfast and not, so far as I know, in any

rural area of Ulster. In nearly every working-class district of the city, little girls dress up in all kinds of fantastic finery and, from shortly after Easter to well on in May, they parade about the streets followed by their courts, singing, dancing and entertaining generally, and begging with shameless persistence from every passer-by. On May Eve they light bonfires in the side streets and dance around them. Last year I asked one of the Queens what they did with the proceeds of their begging, and I was told that they had a magnificent party, ‘cakes and buns and ice-cream and oranges’. Ulster Folklore, 1951, p. 41.

l’achat d’oranges, phénomène nécessairement récent, ne s’effectuait probablement pas sans une certaine connotation politico-religieuse.

Une autre variante de la coutume des Reines de mai, coutume qui semble avoir été un ajout, ou en tout cas un complément des traditions des May Bushes / Poles collectifs, incluait l’utilisation de ce que l’on appelait des « Bébés de mai ».41 Connu principalement dans les comtés de Meath, Monaghan et Louth, le Bébé de mai était en fait une effigie de paille, le plus souvent féminine, décorée de fleurs et de rubans colorés. Fixée au sommet d’un pieu et souvent accompagnée de la Reine de mai locale, l’effigie était portée en procession à travers les rues de la ville ou de maison en maison dans les villages.

Les festivités, couplées à la collecte d’argent, semblent avoir été identiques à celles relatives aux manifestations sociales de May Day que nous venons de passer en revue (chants, danses, festin etc.). Elles prenaient cependant une certaine dimension théâtrale, jusqu’alors inédite :42

Autour du Bébé de mai, un homme et une femme (en principe sa femme) de classe humble, [mais] habillés de manière extraordinaire avec de la paille etc. dansent au son des violons et amusent les gens avec des spectacles et des postures indécentes,43 alors que la jeune campagnarde [la Reine de mai] qui tient l’effigie continue de la remuer. [...] Les femmes qui n’ont pas d’enfants de leur mari assistent également [aux réjouissances] (certaines d’entre elles à distance considérable) pour voir l’effigie, qui, s’imaginent-elles, leur [permettait d’avoir des enfants]. 44

L’association de la coutume du Bébé de mai à une thématique de fécondité n’est en soi pas surprenante et ne remet pas en cause la nature urbaine, qui implique une importation tardive, de la tradition. L’influence du Bébé de mai sur la fécondité n’est pas comparable aux rituels prophylactiques,

41

May Babies ou May Babbies. Plus rarement, on utilise le terme « Enfant de mai » (May child). 42

MS. 1096 §134 (Monaghan). MS. 1097 §163 (Meath), MS. S.703 (Meath). 43

Tout porte à croire que ces « spectacles indécents » prenaient la forme d’allusions obscènes qui, si elles n’étaient pas nécessairement sexuelles, passaient par l’utilisation d’un vocabulaire vulgaire et ordurier. 44

Around [the May Baby] a man and a woman (generally his wife) of the humble class, dressed also

fantastically with straw etc. dance to the sound of a fiddle and entertain the people with indecent shows and postures, the figure at the same time being kept moving by the rustic maiden that supports it. [...] Women who have no children to their husbands also attend (some of them from a considerable distance) to see this figure [...], which they imagine will promote fruitfulness in them and cause them to have children. The Year in Ireland, Op. cit., p. 102, d’après Donaldson, John. Account of the Barony of the Upper Fews in the County of Armagh. Dundalk : 1923 (1838).

purificateurs, tendant à exorciser la peur des mauvaises récoltes ou productions de lait et à favoriser l’abondance ; ces coutumes, rurales par essence, se concentraient sur le bétail et les récoltes alors que la croyance en l’effet bénéfique du Bébé de mai était uniquement axée sur la fécondité humaine et se rapprochait plus, de ce fait, de traditions telles que les « boules de mai » et la pléthore de superstitions relatives au mariage. Les deux pôles superstitieux regroupant, d’une part, les coutumes rurales de l’Ouest, d’autre part, les traditions urbaines de l’Est,45 paraissent avoir deux origines distinctes, ce que notre étude tendra évidemment à confirmer au fil des pages.