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Folklore moderne de Bealtaine en Irlande

IMPORTANCE DE BEALTAINE ET IMPLICATIONS DANS LA VIE RURALE IRLANDAISE

1.2 BEALTAINE ET RURALITE

1.2.2 Paiement de loyers

1.2.4.1 Foires à l’embauche

Comme tant de coutumes irlandaises relatives aux foires, les foires à l’embauche dérivent probablement d’une loi du Parlement [anglais] votée sous le règne d’Edward III. Cette loi, appelée « Loi des travailleurs » [Statute of labourers], déclarait que les magistrats devaient fixer les salaires des ouvriers agricoles et faire connaître ces taux à toute personne concernée [lors des] « Séances de la loi » [Statute Sessions], qui se tenaient le premier mai ou en automne. Lorsque les employés et les travailleurs du district s’assemblaient pour connaître le cours des taux, ils se rencontraient, parvenaient à un accord et les foires à l’embauche pouvaient commencer.71

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Day for hiring of labourers, from the 1st of May to the 1st of November. MS. 1095 §35 (Clare).

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MS. 1097 §171 (Westmeath). 70

MS. 1096 §102 (Leitrim). 71

Like so many Irish fair customs, the hiring fair may be derived from an act of the English parliament

passed during the reign of Edward III. This act, called the Statute of Labourers, declared that magistrates must fix the wages of farm labourers and the rates must then be made known to all those concerned. This was done at what were called Statute Sessions, held about 1 May or in the autumn. When the employers and the workers of the district assembled to learn what the fixed rates were, they

Les foires à l’embauche ayant probablement été introduites en Irlande par la couronne d’Angleterre,72 il n’est pas étonnant de constater que, dans les années 1940, la coutume avait déjà pratiquement disparu de la République d’Irlande, tout particulièrement du Connacht et de l’Ouest de l’île où les exemples se faisaient plus que rares. La tradition était, en revanche, toujours vivace en Ulster lors de la rédaction de la Schools’ Collection. 73 Le manuscrit S.962 de la Schools’ Collection détaille les foires à l’embauche du comté de Cavan :

Les plus grosses foires de l’année se tiennent à Blacklion le 22 mai et le 19 novembre ; ce sont deux foires à l’embauche et les garçons et les filles qui cherchent du travail vont à ces foires et sont embauchés par les hommes qui ont besoin d’aide dans leur ferme ou leur maison. Les jours de foire, on vend beaucoup de choses dans la rue, [surtout] des vieux vêtements.74

La foire à l’embauche de Blacklion et ses voisines de Balieborough et Kingscourt,75 si elles étaient encore d’actualité au début du XXe siècle,76 sont bien évidemment tombées en désuétude aujourd’hui. Le système, archaïque et inadapté, s’est progressivement éteint et n’a logiquement survécu nulle part en Irlande.

Certaines foires se démarquaient par leur importance. Ainsi, la grande foire de Letterkenny, comté de Donegal, qui avait lieu le 12 mai, c’est-à-dire à Old May Day, attirait les fermiers des comtés avoisinants (Derry, Antrim et

met and made their agreements, and so the hiring fair began. Logan, Patrick. Fair Day, the Story of Irish Fairs and Markets. Belfast : Appletree Press, 1986, p. 121.

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Nous apportons cependant ici la même nuance que celle mentionnée plus haut en relation aux Gale

Days ; une coutume a priori importée par l’Angleterre ne signifie pas qu’elle n’existait pas auparavant en

Irlande, qu’elle ne correspondait pas à des coutumes antérieures, ou que les traditions anglaises ne fussent pas elles-mêmes associées au cycle agro-pastoral déjà mentionné : l’Angleterre célébrait en effet

May Day. Voir également The Festival of Lughnasa, Op. cit., p. 289.

73

Encore une fois, l’étude au cas par cas n’aurait guère d’intérêt et nous ne mentionnerons ici que certaines foires à l’embauche susceptibles de représenter au mieux la tradition établie ou, au contraire, de s’en démarquer de manière notable.

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The biggest fairs of the year are held in Blacklion on 22nd May, and 19th November, these are the two hiring fairs, and boys and girls who are looking for work, go to these fairs and are hired by men who require help on their farms on in their homes. On fair days there are a lot of things sold on the street, and old clothes too. MS. S.962 (Cavan).

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Les foires de Balieborough et Kingscourt avaient lieu le 17 mai et le 17 novembre ; MS. 1096 §114 (Cavan). Mme Guibert de la Vaissière associe la foire de Balieborough au 1er mai à la place du 17 sans préciser sa source exacte. Les Quatre fêtes irlandaises d’ouverture de saison, Op. cit., p. 293. 76

Elle l’était, plus précisément, dans les années 1930-40, date de la rédaction des manuscrits de la

Tyrone) qui venaient y chercher un emploi pour les six mois suivants.77 Elle était appelée Rabble(s) Fair, autrement dit « foire d’empoigne », rabble étant à la fois un synonyme de cohue et un terme péjoratif désignant la « populace » ; il s’agissait de la foire la plus importante de l’année.78

Toujours en Ulster, les foires à l’embauche du comté d’Armagh se distinguaient par leur régularité particulièrement significative : elles avaient lieu respectivement au début des mois de mai, août, novembre et février, respectant ainsi parfaitement la notion de « quart-jours » et se retrouvaient dans l’ensemble du comté. Les embauches se faisaient donc généralement pour trois mois, six lorsque les foires secondaires, celles de février et d’août, n’étaient pas organisées.79

L’enthousiasme de la population à l’égard de ces foires à l’embauche n’était probablement pas uniquement fondé sur la possibilité d’y trouver un emploi ; elles étaient également l’occasion de se retrouver et de s’amuser. En 1833, les auteurs des Ordnance Survey Memoirs of Ireland, Parishes of Co. Donegal, préconisaient d’ailleurs l’abolition de ces foires, en particulier de celles de Clady, le 16 mai et le 16 novembre, car elles ne profitaient guère, selon eux, qu’aux tenanciers de pubs et entraînaient ainsi disputes et débordements en tous genres.80 L’aspect festif des foires à l’embauche se retrouve dans une description de Kilmacthomas, comté de Waterford :

[Bealtaine] était jour de foire, une foire à l’embauche. Hommes et femmes, garçons et filles, se retrouvaient à Kilmacthomas afin de se faire embaucher pour un an. Lorsque quelqu’un se faisait embaucher, il, ou elle, recevait un shilling pour sceller le contrat. C’était un jour férié pour

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MS. 1096 §144, §146, §147 (Donegal). Des foires similaires se tenaient à Strabane et Millford, entre autres exemples, toujours le 12 mai et le 12 novembre.

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On trouve également d’autres noms associés aux foires à l’embauche. A titre d’exemple « Le galop » (The Gallop) pour la foire de Limavady, « la foire du relâchement » (Loosing Fair) ou « la foire au balai » (Mop Fair) pour Newry, « le jour des Sonnaghan » (Sonnaghan Day) pour Ardcath, comté de Meath (Sonnaghan étant le nom donné aux garçons cherchant du travail). Fair Day, Op. cit., p. 125 et MS. S.685 (Meath). William Wilde estime par ailleurs que « le dimanche des/du Sonnoughing » (Sonnoughing Sunday) était un terme générique désignant les foires à l’embauche dans le comté de Meath. Wilde, William R.. Irish Popular Superstitions. New York : Sterling Publishing, 1995 (Dublin : 1852), p. 46.

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MS. 1096 §115 (Armagh). Dans les années 1940, seules les foires d’Hamiltonsbawn et de Newtown Hamilton avaient survécu.

80

Day, Angélique et McWilliams, Patrick (éd.). Ordnance Survey Memoirs of Ireland. Dublin : Institute of Irish Studies, 1990-7 (1834-6). Selon l’auteur du MS. 1096 §141 (Donegal), l’embauche se faisait d’Old May Day à Old November Day. Certaines foires à l’embauche donnaient lieu à des « combats de faction » (faction fights), où il était possible de régler certaines rivalités, comme par exemple dans la ville de Monaghan, le premier lundi de mai. MS. 1096 §133 (Monaghan).

les travailleurs, un jour de détente et d’amusement et on dansait toute la journée ; les joueurs itinérants de violon et de cornemuse [n’auraient manqué l’occasion pour rien au monde]. On faisait une quête [destinée] aux musiciens : on faisait passer un chapeau et le montant de la quête pouvait s’élever à trois ou quatre livres.81

La foire à l’embauche de New Ross, dans le comté de Wexford, fut l’une des plus populaires d’Irlande.82 Cette foire, localement appelée « vieille foire de mai de New Ross »83 avait lieu le 3 mai et sa création remonte au moins au XIIIe siècle.84 L’embauche se faisait, selon les informateurs, pour une durée de six mois ou un an et la tradition semble s’être maintenue jusqu’à l’aube du XXe siècle. Il s’agissait de la plus grande foire du Sud-est de l’Irlande ; les gens y venaient depuis les comtés de Kilkenny, Waterford et Carlow. Le voyage s’effectuait le plus souvent à pied et était agrémenté par des chants. Des instruments de musique légers, guimbardes et concertinas, autorisaient quelques haltes consacrées à des danses telles que la quadrille, la gigue ou la matelote pour utiliser les termes français renvoyant aux reel, jig et hornpipe mentionnées par un informateur relatant sa propre expérience de la foire de New Ross dans les années 1890.

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It was a fair day –hiring fair. Men and women, boys and girls marched to Kilmacthomas to be hired

for a year’s work. According as each was hired he, or she, received a shilling which sealed the contract. The workers kept this day as a holiday or day of recreation and enjoyment and held dances in the village during the entire day, the music being supplied by travelling fiddlers who made sure to be present for the occasion and by pipe-players. A collection was made among the crowd for the musicians –the hat was sent round and the collection often reached as high as £3 or £4. MS. 1095 §62 (Waterford). Un

informateur du comté de Cavan nous confirme que la musique et la danse étaient particulièrement appréciées par les employés qui en profitaient pour prendre quelques jours de repos entre les deux

Halfyear Days. MS. 1096 §113 (Cavan).

82

Les sources relatives à la description de la foire de New Ross qui suit incluent le MS. 1097 §188 (Laois ; mentionnant le comté de Wexford) et §192 (Wexford), Fair Day, Op. cit., p. 123. Cronin, Denis A., Gillian, Jim et Holton, Karina (éd.). Irish Fairs and Markets, Studies in Local History. Bodmin : Four Courts Press, 2001. DeVál, Séamas S.. Bun Clóidi, a History of the District. Athchló : éditeur inconnu, 1989 (1966). Finn, Mary. A Wexford Childhood, 1915-30. Dublin : Lissadell Publishing, 1990. Auteur inconnu. St. Mary and St. Michael Parish Church, New Ross, 1902-2001. Dublin : Farmar, 2001. Rossiter, N., Hurley, K., Roche, W., et Hayes T.. A Wexford Miscellany. Wexford : Wexford Historical Publications, 1994. Auteur inconnu. Bassett’s Wexford, Borough and County, Guide Directory. Lieu d’édition inconnu : éditeur inconnu, 1881. Murphy, James. Rosbercon Parish, a History in Song and

Story. Kilkenny : Kilkenny People Printing Ltd., 2000.

83

Old May Fair of New Ross. 84

Une foire à Rosbercon, du 2 au 5 mai, dut son échec en 1286 à l’importance de la foire de New Ross. Holton, Karina. « From Charters to Carters : Aspects of Fairs and Markets in Medieval Leinster », Irish

Les garçons et les filles qui souhaitaient se faire embaucher se retrouvaient sur le champ de foire85 du quartier d’Irishtown.86

[Ceux] qui savaient traire arboraient une entrave.87 Les filles, parées de robes et de chapeaux aux couleurs vives et clinquantes, paradaient dans la foire, parfois seules, parfois accompagnées par des garçons. Le plus souvent, elles s’adossaient à un mur et discutaient [entre elles]. [...] Les filles utilisaient généralement les couleurs les plus voyantes. Les préparatifs débutaient des semaines avant le 3 mai. Les jeunes filles portaient des chapeaux ornés de plumes et de fleurs de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. [...] Les filles qui cherchaient un travail, mais aussi les femmes et les enfants, revêtaient leurs pantalons en coton ; et on gardait ces habits légers jusqu’à la mi-septembre, quand le temps changeait à nouveau.88

Les tenues vestimentaires des femmes à la foire de New Ross ont d’ailleurs engendré un proverbe local ; dire d’une fille qu’elle était « comme un trois mai »89 signifiait qu’elle était endimanchée, avec toutefois une certaine dimension ironique, généralement due aux couleurs criardes des vêtements de l’intéressée.90

L’embauche se faisait selon le protocole déjà mentionné ; après discussion et arrangements, un shilling était échangé et scellait la transaction. Le lendemain, la plupart des jeunes gens se retrouvaient à la foire de Waterford ; les moins chanceux y continuaient leur recherche d’emploi tandis que les autres, certains d’avoir un travail jusqu’en novembre au moins, profitaient des réjouissances offertes par la seconde foire.

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Fair Green, qui désigne, suivant les cas, un champ ou une place située dans la ville ou le village et sur lesquels la foire avait lieu.

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Certains informateurs ajoutent qu’ils se réunissaient à la Long Stone sans donner plus de précisions. 87

Souvent, les jeunes gens souhaitant se faire embaucher arboraient un signe distinctif. Nous avons déjà vu de quoi il retournait pour le district de Rathowen et la paroisse de Barr na Cuaile. A titre d’exemple, mentionnons également la foire du 16 mai de Bective, comté de Meath, durant laquelle les garçons en quête d’emploi portaient une petite branche de sorbier à la main et les filles un brassard blanc à leur bras. MS. S.691 (Meath).

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Girls and boys who could milk carried a spancel. The girls in their bright and flashy coloured frocks

and hats paraded up and down the fair sometimes by themselves sometimes accompanied by the boys. More often they stood against walls in groups talking. [...] The girls were usually dressed in the most gaudy colours. For weeks before the 3rd of May each girl would be getting ready. Hats with all the colours of the rainbow in feathers and flowers and ornaments decorated the girls’ heads. [...] Not only May-hiring girls but all the women and children changed into cotton frocks ; and this light clothing was maintained until mid-September when once again the weather changed. MS. 1097 §192 (Wexford).

89

Like a third of May. 90

Les foires de mai étaient par ailleurs souvent appelées Ladies Fairs, c’est-à-dire « Foires des Dames » à cause justement des tenues particulièrement soignées de ces « Dames ».

Enfin, comme souvent, la foire à l’embauche de New Ross était associée à une grande foire aux bestiaux, dernière occasion pour le fermier de faire des affaires avant le début de la transhumance.