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Folklore moderne de Bealtaine en Irlande

BEALTAINE ET LE SURNATUREL : SUPERSTITIONS ET COUTUMES

2.1 LA SORCELLERIE DE BEALTAINE

2.1.4 Conjurer les sorts

2.1.4.1 Généralités liées au barattage

Dans certains cas, une méthode, plutôt radicale, était employée : le barattage ne devait tout simplement pas être effectué à Bealtaine ou à May Eve.141 La méthode réduisait ainsi considérablement le nombre de vols magiques potentiels, puisqu’elle excluait toute pratique de sorcellerie nécessitant un barattage lors de sa mise en application. Dans le même ordre d’idée, nous avons déjà mentionné le fait que le prêt de lait, de produits laitiers, de produits de la ferme, voire de tout objet, était généralement interdit à Bealtaine ; la superstition prend d’ailleurs, à la lumière de notre étude de la

139

Voir, par exemple, MS. 1095 §21, §22, §31 (Cork), §34 (Clare), §46 (Tipperary), MS. 1096 §104 (Leitrim).

140

MS. 1095 §15, §16, §30 (Cork), §43 (Clare), MS. 1096 §67 (Galway), §93 (Sligo), §99 (Leitrim). 141

sorcellerie, une toute nouvelle dimension et devient ainsi plus facilement compréhensible.

Mais, dans le grand Ouest de l’Irlande, c’est-à-dire dans le Munster, le Connacht et une partie de l’Ulster, si le barattage était malgré tout effectué, la méthode de protection la plus sûre consistait à demander à quiconque pénétrait dans la pièce où l’on transformait le lait en beurre de « donner un tour »142 dans la baratte, c’est-à-dire d’aider au barattage. A ce propos, il était souvent dit : « viens y ajouter ton poids ».143 Notons par ailleurs que la tradition, si elle était particulièrement respectée à Bealtaine et May Eve, périodes où le vol magique de beurre était le plus susceptible de se présenter, ne se cantonnait pas au début du mois de mai et était généralement respectée tout au long de l’année.

2.1.4.2 Le sel

Le sel était également une denrée omniprésente dans les superstitions de sorcellerie de Bealtaine. Lorsque l’on prêtait du lait à un étranger, il suffisait de placer une pincée de sel dans le liquide, ou parfois directement dans la baratte,144 pour le protéger de toute influence néfaste.145

Plus que d’être un préventif, le sel permettait de contrer directement les sorts : jeter un peu de sel dans la baratte faisait revenir le beurre volé.

[Le sel est utilisé pour ramener le beurre (mais la manière dont il est utilisé est incertaine) : certains disent qu’il faut le mettre dans la baratte au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit146 et la personne qui a volé le beurre apparaît à la porte et il faut lui demander un coup de main pour le barattage et le beurre réapparaît immédiatement dans la baratte]. 147

142

Give a twist / dash / brash / turn / blow / beat selon les expressions employées. MS. 1095 §13, §29 (Cork), §32, §42 (Clare), MS. 1096 §98, §102, §104 (Leitrim). La coutume est également connue en Ulster, principalement dans le Donegal ; MS. 1096 §151, §153 (Donegal) etc., mais aussi dans le Cavan et le Monaghan, MS. 1096 §112 (Cavan), §133, §134 (Monaghan). Dans ce dernier exemple, il fallait également dire « Dieu bénisse le travail » (God bless the work) et « Dieu bénisse les vaches » (God bless

the cows) si l’on empruntait du lait.

143

Come on and put the weight of yourself on it. MS. 1096 §98 (Leitrim). 144

MS. 1095 §10 (Kerry), MS. 1096 §99 (Leitrim). 145

MS. 1095 §17, §19 (Cork), §32 (Clare), MS. 1097 §166 (Westmeath). 146

Comme souvent en Irlande, le Saint-Esprit est plutôt appelé Holy Ghost, que l’on pourrait traduire de manière littérale par « Saint-Fantôme », que Holy Spirit. Le terme Holy Ghost n’existe pas uniquement en Irlande et, s’il est généralement moins usité que Holy Spirit, on le retrouve à peu près partout dans le monde chrétien de langue anglaise.

147

[Salt is used to bring butter back (uncertainty about the way it was used) : some say it is put in the

churn in the name of the Father, the Son and the Holy Ghost and the person who had taken butter would appear at the door and ask to give a hand at churning and the butter would appear on the churn immediately]. MS. 1096 §151 (Donegal). Un informateur du comté de Galway, écrivant en irlandais,

On notera évidemment la mention du « Père, du Fils et du Saint-Esprit » : l’association à la tradition chrétienne ne s’arrête pas à cet exemple. On faisait en effet souvent appel à du sel béni, qui devait être placé dans la baratte par le prêtre lui-même.148

Le sel était essentiellement bénéfique lorsqu’il était utilisé à Bealtaine : son aspect curatif ou préventif était omniprésent dans les traditions. Pour protéger le bétail, il fallait lui donner du sel béni à Bealtaine ;149 certains fermiers saupoudraient du sel sur les vaches pour les protéger du vol magique.150 Le sel béni permettait en outre de préserver les récoltes de certaines maladies lorsqu’il était dispersé sur les champs.151

Dans les traditions de sorcellerie, la denrée était associée aux coutumes de vols ayant pour objet les sources privées :

A May Morning, au lever du soleil, on saupoudrait généreusement le sel sur les sources, particulièrement celles qui fournissaient de l’eau pour laver le beurre. Les points d’eau potable et surtout les rivières recevaient leur part de sel, qui protégeait les eaux.152

Beaucoup de gens, encore aujourd’hui, mettent une pincée de sel dans le lait lorsqu’ils le donnent à quelqu’un afin qu’ils ne puissent pas prendre leur crème et [ce procédé était censé être encore plus efficace] si un grain de sel était jeté dans la source à May Eve.153

L’utilisation du minéral dans les superstitions de Bealtaine est facilement interprétable, peut-être presque trop évidente : si, traditionnellement, le sel était utilisé dans la fabrication du beurre, c’est surtout son aspect mystique qui jouait un rôle prépondérant dans les traditions lui étant associées. Le sel est un élément purificateur quasi-universel, à cause peut-être de ses

raconte qu’il fallait placer une assiette remplie de sel sous un buisson pendant la nuit du 30 avril au premier mai ; on récupérait l’assiette recouverte de rosée le lendemain et on plaçait un grain de sel dans la baratte pour la protéger des voleurs. MS. 1096 §65 (Galway).

148 MS. 1096 §104 (Leitrim). 149 MS. 1097 §171 (Westmeath). 150 MS. 1095 §59 (Limerick). 151 MS. 1097 §178 (Longford). 152

On May Morning at sunrise, salt was sprinkled plentifully on all wells, particularly the ones from

which supplies of water for washing butter were got. Drinking ponds and especially rivers also received their share of the salt distribution which protected the waters. MS. 1095 §27 (Cork).

153

Many people at present day put a pinch of salt in milk when giving it to others so that they couldn’t

take their cream and [this process was supposed to hold good if a] grain of salt was thrown into well on May Eve. MS. 1095 §8 (Kerry). On retrouve des affirmations équivalentes dans MS. 1095 §32 (Cork) et

caractéristiques de conservation des aliments ou pour son effet corrosif. Nous pouvons affirmer, sans avoir besoin de recourir à notre analyse comparative à venir (et, au demeurant, sans prendre de grands risques), que cet aspect purificateur du sel est commun à de très nombreuses traditions ; rappelons par ailleurs que le minéral est, par exemple, largement représenté dans la religion chrétienne, qui en fit pratiquement un élément divin,154 ce qui pourrait expliquer l’approbation du clergé irlandais et son implication dans les coutumes superstitieuses relatives au sel à Bealtaine. Cet aspect universel rend l’utilisation du sel dans les coutumes préventives et curatives de Bealtaine très facilement compréhensible ; à vrai dire, l’absence de coutumes incluant l’utilisation du sel aurait été plus surprenante encore.