• Aucun résultat trouvé

Folklore moderne de Bealtaine en Irlande

IMPORTANCE DE BEALTAINE ET IMPLICATIONS DANS LA VIE RURALE IRLANDAISE

1.3 CROYANCES ET SUPERSTITIONS

1.3.2 Superstitions climatiques

1.3.2.2 Maladies de mai liées au climat 155

Selon certains informateurs, le mois de mai était dangereux et les maladies contractées lors de cette période souvent graves, voire incurables. Les rhumes, notamment, étaient censés être les plus redoutables de l’année : on disait souvent qu’un rhume se déclarant le premier mai perdurerait jusqu’à la fin du mois.156 Dans le même ordre d’idée, les personnes âgées appréhendaient l’arrivée du mois de mai, car le moindre souci de santé pouvait s’avérer fatal.157 Il était fortement conseillé de ne jamais s’allonger dans l’herbe à May Day et ce, quel que soit le temps observé : une maladie était en effet

150

The frosts of March are the frosts of May. MS. 1097 §182 (Kildare). 151

Frost in March, Frost in May. MS. 1097 §189 (Laois) et §198 (Wicklow). 152

May follows March. MS. 1097 §194 (Wexford). 153

« En mai, ne te découvre pas d’un fil » (Cast / Change not a clout till May is out ou Till May is out

throw off no clout, etc.), proverbe que l’on retrouve pratiquement partout en Irlande et que l’on connaît,

par exemple, en France adapté au mois d’avril, ce qui s’explique facilement par les différences de climat évidentes entre les deux pays.

154

MS. 1095 §3-4 (Kerry). 155

Les éléments ici développés sont tirés d’une trentaine de témoignages concordants du questionnaire de l’Irish Folklore Commission. Aucune région irlandaise ne semble se distinguer par rapport à son attachement à cette catégorie de superstition.

156

On retrouve cette croyance dans le proverbe : « Si l’on attrape un rhume en mai, il perdurera pendant tout le mois de mai. » (Get a cold in May and you’ll have it for May.) MS. 1095 §57 (Tipperary). MS. 1095 §4 (Kerry). La tuberculose était également particulièrement redoutée en mai. MS. 1096 §71, §77 (Galway).

157

Dans le comté de Galway, les personnes âgées avaient pour habitude de dire « pourvu que nous soyons [encore] en vie à cette période l’an prochain (may we be alive this time next year). MS. 1096 §74 (Galway). Voir l’Annexe IV pour l’original en irlandais. On disait également « maladie en mai, cimetières remplis » (illness in May, graveyards full). MS. 1095 §77 (Galway).

susceptible de se déclarer. Mais une sieste sur l’herbe augurait surtout une mort probable dans l’année, c’est-à-dire avant le premier mai suivant.

Le lien mars / mai que nous avons mentionné se retrouvait dans certains proverbes relativement courants, principalement dans le Leinster : « Mars cherche et mai trouve. »158 / « Mars cherche, avril essaie, et le mois de mai suivant dira si vous survivrez. »159 D’autres proverbes se focalisaient sur la dangerosité supposée du mois. On disait d’une personne malade qu’elle « ne grimperait jamais la colline de mai »,160 en d’autres termes que le mois de mai (ou d’avril) lui serait fatal, ou plus simplement qu’ « [elle] ne verrait jamais May Day ».161

Cependant, comme souvent pour les superstitions relatives à Bealtaine, la croyance était duelle : ce qui était néfaste pouvait très vite s’avérer bénéfique, ce que l’on redoutait devenait souvent ce vers quoi l’on se tournait en cas de malheur ; le proverbe « mai tue ou soigne »162 reflète parfaitement cet état de fait.

Ainsi, on disait parfois que, contrairement à ce qui vient d’être avancé, les personnes malades recouvraient la santé à Bealtaine. Plus étonnant encore, ces mêmes malades, en particulier les personnes âgées, si elles survivaient au mois de mai, continueraient de vivre jusqu’au jour de Bealtaine suivant. Selon une théorie moins optimiste, rapportée par un informateur du comté de Longford, la survie était assurée jusqu’au mois de novembre uniquement, le mois de novembre étant « un autre mois dangereux pour la santé ».163 Le mois de mai, comme le mois de novembre, constituaient ce que l’on pourrait appeler des « zones frontières » du point de vue temporel : on passait d’un état à un autre, en l’occurrence de l’été à l’hiver ou inversement. La dangerosité de ces périodes de transition, dangerosité en l’occurrence

158

March will seek and May will find. MS. 1097 §162 (Meath). 159

March searches, April tries and the following May will tell you whether you’ll live or die, mentionné plus d’une vingtaine de fois dans le question de l’Irish Folklore Commission.

160

He (or she) will never climb May hill. MS. 1097 §182 (Kildare). 161

He’ll never see May Day. MS. 1096 §153 (Donegal). Peut-être est-il intéressant de remarquer que, en irlandais moderne, l’expression idir dhá thine Bhealtaine (littéralement être « dans l’embarras ») est toujours courante.

162

May kills or cures. MS. 1097 §196 (Wexford). 163

MS. 1097 §178 (Longford). Deux proverbes vont d’ailleurs dans ce sens : « S’ils survivent au mois de mai, ils survivront [probablement] à l’été. » (If they put in May they might put in the summer.) MS. 1095 §49 (Tipperary). « Si nous vivons jusqu’en mai, nous verrons un nouvel été. » (If we live till May, we’ll

principalement imputable au changement climatique, semble avoir induit un sentiment de crainte. Cette crainte est une thématique récurrente à la symbolique de Bealtaine : on la retrouve ici associée à la maladie mais il ne s’agit en aucun cas d’une occurrence unique. Les superstitions relatives à la transhumance peuvent être comprises dans ce sens ; l’appréhension était par ailleurs une constante dans pratiquement toutes les coutumes de Bealtaine. Et l’une des interprétations de cette appréhension est le caractère transitoire, frontalier de la fête du premier mai. Nous l’avons déjà annoncé : aucune fête n’est célébrée par hasard, son rituel a un sens précis, la place qu’elle occupe d’un point de vue chronologique n’est pas anodine.

Afin de conjurer les maladies du mois de mai, il existait également un certain nombre de coutumes à respecter. Il était par exemple souhaitable, selon un certain nombre d’informateurs, d’acheter les vêtements d’été, a fortiori les bottes et les chaussures des enfants, à May Day : cette simple démarche apportait chance et bonne santé à l’acquéreur. Certaines autres superstitions, comme par exemple ne pas refaire le lacet d’une chaussure défaite ou retourner son manteau à May Morning, étaient censées consolider la bonne fortune. Mais, encore une fois, on conseillait parfois d’opter pour la démarche exactement inverse ; il était tout aussi courant de se voir recommander de ne jamais acheter de nouveaux vêtements ou de nouvelles chaussures à May Day afin d’éviter les maladies, si courantes en mai.

La dualité des superstitions de Bealtaine est, nous aurons l’occasion de le constater à maintes reprises, particulièrement frappante. Chaque élément lié à ces croyances devenait, selon l’interlocuteur, symbole de prospérité ou synonyme de tragédie. Il ne faut pas s’en étonner. Cette dualité, si elle se retrouvait sous une forme singulière dans les traditions de Bealtaine, est une composante relativement courante de la superstition : qui de nos jours pourrait affirmer que le chiffre treize est un nombre porte-bonheur plus qu’un signe de mauvais augure ? Nous savons seulement avec certitude que le chiffre a son importance dans la tradition populaire, une importance plus que probablement rattachée à la symbolique des Apôtres, notamment à l’épisode de la Cène. De la même manière, l’ensemble des coutumes renvoyant à la notion de climat à May Day nous permet de comprendre l’importance de ce climat, la peur que

celui-ci induisait. Les plus jeunes et les plus âgés, par définition plus sensibles aux variations du temps et aux maladies, étaient les premiers concernés par ces traditions. De même, la population agricole, soucieuse de voir son bétail prospérer et ses récoltes pousser, ne pouvait passer outre ces diverses superstitions.