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Folklore moderne de Bealtaine en Irlande

MANIFESTATIONS SOCIALES

3.1 ASSEMBLEES FESTIVES

3.1.2 Le May Bush collectif

Le May Bush collectif, souvent assimilé ou confondu, comme nous l’avons vu, avec le May Pole collectif, était généralement utilisé d’une manière sensiblement différente, en dépit du fait que la nature de la coutume fût effectivement comparable avec la tradition du « mât de mai » : il s’agissait d’un usage populaire principalement urbain.

Comme pour le May Pole, il convient de rappeler la distinction séparant May Bush individuel et May Bush collectif. Le May Bush individuel était un « buisson de mai » en d’autres termes un amas de branches, de fleurs, parfois de rubans, accroché soit au May Pole individuel (une « branche de mai », c’est-à-dire à une petite branche de sorbier elle-même souvent plantée sur un tas de fumier), soit dans différents lieux de la maison, notamment les fenêtres, la cuisine ou le pas de la porte.

Le May Bush collectif est en tous points comparable à ce May Bush individuel, à la différence près qu’il suivait les principes d’une manifestation sociale populaire principalement urbaine : dans les zones rurales, le « buisson de mai », le May Bush individuel, était une affaire familiale, souvent associée au XXe siècle au culte de la Vierge Marie ; dans les grandes villes,16 ainsi que certaines zones rurales de l’Ulster et du Leinster, ce buisson, s’il gardait souvent cette association avec la Vierge, se présentait comme le point central de plusieurs traditions collectives à caractère festif ou religieux.

Lorsqu’il n’était pas intégré à la tradition du « mât de mai », le May Bush était porté en procession par la population à May Day.17 La coutume se retrouvait de manière quasi-exclusive dans les zones que nous venons de

16

La notion de « grande ville » était, et reste dans une certaine mesure, toute relative en Irlande. Tralee, avec sa dizaine de milliers d’habitants intra muros, est l’un des plus grands pôles urbains du Connacht. De même, une petite agglomération comme Ballyhaunis, dans le comté de Mayo, était considérée comme une zone urbaine, en dépit du fait que la ville ne compte aujourd’hui que deux mille habitants environ (et n’en comptait au mieux, à l’époque, que quelques milliers de plus).

17

Un grand nombre de processions, parfois liées à la vénération de la Vierge Marie, se déroulaient en Irlande pendant toute la durée du mois de mai. Voir, par exemple, MS. 1095 §32 (Clare) et MS. 1096 §70 (Galway). Dans d’autres cas, les processions n’étaient absolument pas liées au christianisme. Les 18 et 19 mai 1752, par exemple, plusieurs milliers de laboureurs et de fermiers, hommes et femmes, défilèrent dans les rues de la ville de Limerick ; le défilé marquait l’adoption d’un nouveau système agricole dans le district. Les femmes portaient des vêtements ornés de paille et de blé vert. Journal of the Royal Society

mentionner, c’est-à-dire les pôles urbains d’importance et certains villages de l’Ulster et du Leinster. Les enfants portaient alors le « buisson » à travers les rues de la ville ou à travers champs ; la procession était agrémentée de chants et de danses, et les jeunes gens profitaient de l’occasion pour mettre en place une collecte d’argent itinérante.18

Comme le fait remarquer Kevin Danaher dans la partie, très complète, qu’il consacre aux May Bushes irlandais dans son ouvrage de référence, la tradition ne fut pas toujours réservée aux enfants.19

Un témoignage intéressant, que nous devons à Sir William Wilde, nous permet d’entrevoir cet état de fait : tout en gardant un aspect hautement festif, la tradition du « buisson de mai », loin de se cantonner à une fête pour enfants, revêtait un caractère presque solennel, ne serait-ce que parce qu’elle était un motif de fierté et un prétexte à nourrir des rivalités sous-jacentes :

[A Dublin, les préparatifs] commençaient vers le milieu du mois d’avril, et même plus tôt encore, et [cela] entraînait des rivalités, qui conduisaient souvent aux plus redoutables des émeutes, particulièrement entre les « garçons de la Liberté » de la rive gauche, et les « garçons d’Ormond » de la rive droite du fleuve, [parfois à l’intérieur même des groupes], quant à savoir quel rue ou district exhiberait le May Bush le plus beau et le mieux orné, ou pourrait se vanter du plus grand et du plus ardent des feux de joie [...]. Car des semaines auparavant, un bon nombre de jeunes gens oisifs, garçons ou filles, s’étaient voués à la « collecte du May [Bush] » et les groupes parés de rubans, arborant des rameaux verts et parfois escortés de musiciens itinérants, allaient de maison en maison solliciter des rubans, des mouchoirs, des morceaux de soie [aux couleurs vives] [...] pour orner le

May Bush. A May Eve, la foule, [parfois composée de centaines de

personnes], se rendait à un lieu précédemment convenu avec des scies, des hachettes, des cordes, des voitures, des chevaux et toutes les choses pouvant servir à couper et ramener le May Bush chez soi. [La foule] était généralement escortée de joueurs de fifre et de violon. Souvent, des affrontements sérieux s’ensuivaient, principalement dans les environs de Dublin, où les autorités devaient fréquemment intervenir pour empêcher

18

[Le May Bush était porté en procession de maison en maison]. Ils chantaient et collectaient des pennies puis allaient acheter des sucreries etc.. On souhaitait ‘longue vie et épouse heureuse et une chandelle pour le May Bush’. Il y eut une procession de ce type l’année dernière [...]. Les enfants posaient le buisson sur le sol et s’asseyaient en cercle [autour de celui-ci] pour manger les friandises etc. qu’ils avaient achetées avec les pennies. ([May Bush carried round from house to house]. They sang, and

collected pennies, then bought sweets etc.. The wish was ‘Long life and happy wife and a candle for the May Bush’. There was such procession last year. [...] The children put down the bush on the ground and sat down round it in a circle to eat the sweets etc. they had bought with the pennies). MS. 1097

§155 (Louth). Voir également MS. 1096 §89 (Mayo) et MS. 1097 §158 (Louth), §161 (Meath). Après les festivités, le May Bush était généralement jeté ou brûlé, lorsqu’on ne le laissait pas simplement choir sur le sol jusqu’à sa décomposition complète.

19

The Year in Ireland, Op. cit., p. 91. L’auteur estime qu’il s’agit d’une adaptation récente due, en partie au moins, à des lois « victoriennes » visant à interdire certaines coutumes relatives aux May Bushes et

qu’un jardin ou un domaine fût dépouillé de ses aubépines en fleur. Le trophée était cependant généralement enlevé triomphalement, au milieu des [cris de réjouissance] de la foule et installé au lieu convenu et on fixait sur ses branches un certain nombre de petites bougies, que l’on allumait à la nuit tombée et qui [éclairaient les danseurs] [...]. Tôt le matin de May Day, on décorait le [May Bush] de fleurs, de rubans, de morceaux de soie aux couleurs les plus vives ; et, au terme des festivités, on livrait le [May Bush] aux flammes du feu de joie moribond. Dans les temps anciens, le « buisson de la Liberté » (Liberty bush) était coupé dans la forêt de Cullen. A Dublin, particulièrement, on faisait son possible pour voler le May Bush et afin de parer [à cette éventualité] de solides gaillards montaient la garde la nuit, depuis l’heure de son installation jusqu’à l’achèvement de la fête.20

Les tentatives de vol du May Bush étaient courantes :21 en effet, selon la croyance populaire, réussir à s’accaparer le May Bush revenait, une fois encore, à voler la chance du ou des propriétaires jusqu’au premier mai suivant.22

Le témoignage de Wilde nous permet également de constater l’association de la coutume avec le grand feu de joie de May Day. Contrairement à ce que nous avons choisi d’appeler le « feu de Bealtaine », feu prophylactique rural principalement associé à la purification du bétail, le feu de joie de May Day était un phénomène essentiellement urbain ; centre des festivités du premier mai, on le retrouve presque exclusivement en association

20

[In Dublin, the preparation] commenced about the middle of April, and even earlier, and a rivalry,

which often led to the most fearful riots was incited, particularly between the ‘Liberty boys’ upon the south, and the ‘Ormond boys’ upon the north side of the river ; and even among themselves, as to which street or district would exhibit the best dressed and handsomest May Bush, or could boast the largest and hottest bonfire [...]. For weeks before, a parcel of idle scamps, male and female devoted themselves to the task of ‘collecting for the May’; and parties decorated with ribbons, and carrying green boughs and sometimes escorted by itinerant musicians, went from house to house soliciting contributions of ribbons, handkerchiefs, and pieces of gaudy silk [...] to adorn the May Bush. [...] Upon May Eve a crowd of persons, often numbering several hundreds resorted to the spot previously arranged, with saws, hatchets, ropes, cars, horses, and all the necessary tackle for cutting and carrying home the May Bush, and were generally escorted by fifers and fiddlers. Serious rencontres very often ensued upon these occasions, particularly in the neighbourhood of Dublin, where the authorities had frequently to interfere to prevent some lawn or demesne being despoiled of its wide-spreading thorn. The trophy was, however, generally carried off in triumph, amidst the shouts and rejoicings of the people, and erected in its allotted station, and upon its branches were fixed a number of small candles, which at night-fall were lighted, and afforced a brilliant illumination for the dancers [...]. Early upon May Morning the bush was decorated with flowers, ribbons, and pieces of silk of the most gaudy colours ; and at the conclusion of the festivities the bush was consigned to the flames of the expiring bonfire. In former days the Liberty bush was cut in Cullen’s wood. Efforts were often made, particularly in the City of Dublin, to steal away the May Bush, to avert which a guard of stout fellows was set to keep watch and ward nightly, from time of its erection until after the festival. Irish Popular Superstitions, Op. cit., pp. 22-4, cité dans The Year in Ireland, Op. cit., pp. 91-2.

21

Voir Béaloideas, VII, p. 175, Dublin University Magazine, XXII, 1843, p. 671, cités dans The Year in

Ireland, Op. cit., pp. 92-4. De même, voir MS. S.713 (Meath).

22

avec le May Bush collectif ; ce dernier était souvent utilisé comme combustible du feu de joie.23 Les manuscrits de l’Irish Folklore Commission étant particulièrement discrets sur ce point, nous devons une nouvelle fois nous tourner vers Wilde pour trouver une description précise de la coutume :

[On amassait] de la tourbe, du charbon, des vieux os, en particulier des morceaux de cornes de vaches [ramenés] des tanneries et des crânes de chevaux [ramenés] des abattoirs, des bûches de bois etc. auxquels quelques commerçants ajoutaient généralement un peu de poix et des tonneaux de goudron. On quémandait de l’argent [et] rares étaient ceux qui refusaient de « donner quelque chose pour le May Bush » [...]. Des factions rivales faisaient quelques sorties pour prendre possession du butin, et certains perdaient la vie au cours des échauffourées qui s’ensuivaient. A Dublin, on allumait les feux de joie dans le soirée de May Day, généralement à proximité du May Bush.24

De grandes festivités, placées sous le signe de la musique, de la danse et parfois, comme le fait remarquer Wilde, de la débauche, s’ensuivaient toute la nuit durant.25

L’utilisation d’ossements de vaches et de chevaux dans la tradition des feux de joie de May Day nuance la théorie selon laquelle les traditions du May Bush collectif étaient, en Irlande, exclusivement le reflet d’importations anglaises récentes ; l’introduction d’éléments ruraux, aux connotations a priori païennes, dans une coutume pourtant essentiellement urbaine permet de supposer une adaptation récente d’usages plus anciens. Un autre exemple, tiré une nouvelle fois des écrits de William Wilde, renforce cette hypothèse :

Autrefois, on dansait avec ferveur la « longue danse » dans le comté de Kilkenny au célèbre fort de Tibberoughny, près de Piltown. L’assemblée, constituée des porteurs du May Bush, de danseurs, de musiciens et de

23

Voir Ibid., p. 90 et Irish Popular Superstitions, Op. cit., pp. 20-1. On retrouve les feux de joie de May

Eve dans les MSS. S.682 (Meath), S.703 (manuscrit du comté de Meath mais relatant des faits attribués

aux comtés de Derry et de Donegal), MS. 1095 §32 (Clare), §35 (Clare, par quatre informateurs différents). Selon les informateurs, le feu de joie était soit le centre des festivités (le May Bush jouant un rôle secondaire), soit une « conséquence » du May Bush (le feu de joie consistant simplement à faire brûler le buisson de mai en guise de conclusion aux festivités).

24

Turf, coals, old bones, particularly slugs of cows’ horns from the tan-yards, and horses’ heads from

the knackers, logs of wood etc. [were collected], to which some of the merchants generally added a few pitch and tar-barrels. Money was solicited [and] few ventured to refuse to contribute ‘something toste de May Bush’ [...] Several sorties were made by opposing factions to gain possession of these hoards, and lives have been lost in the skirmishes which ensued. In Dublin the bonfires were always lighted upon the evening of May Day, and generally in the vicinity of the May Bush. Irish Popular Superstitions, Op. cit., cité dans The Year in Ireland, Op. cit., pp. 95-6.

25 Ibid..

spectateurs, pénétrait le fort par la brèche du sud-ouest, faisait le tour du retranchement plusieurs fois, gravissait le haut monticule par le chemin du nord-est, plaçait l’emblème de l’été à son sommet, et débutait les festivités. Le May Bush, ou May Pole, était ici décoré de ces boules dorées [des « boules de mai »] fournies par les beautés mariées dans le voisinage pendant les trois jours précédant le Carême. Un homme réputé [pour sa connaissance des fées], portant une grand clé dans la main, conduisait la [procession], et après avoir assigné les rondes prescrites [aux personnes l’accompagnant], entrait dans le fort, puis, en enlevant son chapeau, disait par trois fois, d’une voix puissante et sonore « Brien O’ Shea-he-hi-ho ! »26 Ne recevant aucune réponse, il essayait une autre brèche ou porte du fort enchanté ; mais les deuxième et troisième tentatives se révélant tout autant infructueuses, il [...] disait qu’il n’avait pas la bonne clé, ou que l’on s’était trompé de jour : ce n’était pas la « véritable bonne vieille May Day ». On allumait ensuite le grand feu de joie de l’été au centre de ce fort ou ráth. 27

L’assimilation de coutumes et de croyances aussi variées que le feu de joie de May Day, le May Bush collectif, la célébration de l’été, les « boules de mai », la rivalité ancien / nouveau jour de May Day, les fées et la mystique des forts semble confirmer qu’une adaptation des coutumes eut effectivement lieu, au moins de manière ponctuelle : il s’agirait en l’occurrence de ce que nous pourrions appeler une forme de « syncrétisme folklorique ».

L’exemple de Tibberoughny est particulièrement intéressant. Lors de notre visite du site, nous avons pu constater son hétérogénéité historique, géographique, culturelle : le « fort » de Tibberoughny,28 s’il est effectivement situé aujourd’hui encore en zone rurale, à quelques kilomètres seulement de la bourgade de Piltown, se trouve également, et peut-être avant tout, à proximité d’une tour apparemment construite vers 1185 par le Prince Jean, futur roi

26

Des combats de faction entre les O’ Sheas de Mullinbeg et les Holdens de Knockbrown, Mullinavat eurent lieu jusque dans les années 1940 dans la paroisse. O’ Shea, Mary. Parish of Templeorum, a

Historical Miscellany. Lieu d’édition inconnu : éditeur inconnu, 1999-2000, pp. 62-3.

27

The long dance was in times past performed with great spirit in the county Kilkenny, at the celebrated

moat of Tibberoughny, near Piltown. The assemblage –consisting of the bearers of the May Bush, the dancers, musicians, and spectators– entered the moat at the south-western gap, circumambulated the outer entrenchment several times, ascended the lofty mound by the north-east path, placed the emblem of summer on the summit, and commenced the revels. The May Bush, or May Pole, was here adorned with those golden balls provided by the beauties married in the neighbourhood at the preceding Shrovetide. A renowned fairy man, with a large key in his hand, led the van, and having apportioned his prescribed rounds, entered the moat, and then, taking off his hat, called in a loud sonorous voice three times ‘Brien O’ Shea-he-hi-ho !’ Not receiving an answer, he tried another gap or door of the enchanted fort ; but his second and third efforts having likewise proved unsuccessful, he [...] said it was the wrong key he had, or that there was some mistake about the day –it was not the ‘real right ould May Day’. The great summer bonfire was afterwards lighted in the centre of this fort or ráth. Irish Popular Superstitions, Op. cit.,

p. 48. 28

d’Angleterre. Cette tour fut cédée par Cromwell à un certain Algernon May en 1653.

Tibberoughny est donc un ráth préchrétien, situé en Irlande rurale mais placé dans la zone d’influence d’une construction moyenâgeuse anglaise et à proximité d’un pôle urbain : l’hétérogénéité indiscutable du site induisit probablement une confusion des traditions, un mélange des coutumes proche du syncrétisme. Cet exemple précis nous permet d’ores et déjà de comprendre à quel point l’étude des origines des traditions peut s’avérer ardue dans le cadre des célébrations de Bealtaine. L’analyse sera d’autant plus difficile que, dans le cas des feux de joie comme pour la majorité des traditions, le XXe siècle vit, rappelons-le, la ferveur populaire s’amoindrir sensiblement, au point de faire disparaître la plupart des us et coutumes. Pour l’exemple des feux de joie, Kevin Danaher fait tout naturellement le constat suivant :

Il existe des traditions dans un grand nombre de régions qui attestent que les feux de joie à May Eve étaient communs et répandus, mais la coutume a presque entièrement disparu.29 Dans la ville de Limerick, May Eve demeure la « nuit des feux de joie » et jusqu’à récemment les enfants de Belfast allumaient des petits feux dans les ruelles en l’honneur de leur « Reines de mai ».30