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Folklore moderne de Bealtaine en Irlande

MANIFESTATIONS SOCIALES

3.1 ASSEMBLEES FESTIVES

3.1.1 Le May Pole collectif

Comme le fait remarquer William Wilde dans Irish Popular Superstitions :

Il apparaît que le May Pole ne fut jamais d’usage courant en Irlande, et il est évident qu’il s’agit d’une importation anglaise. Il est inconnu dans le Connacht ;1 [les endroits] où il était le plus populaire [...] étaient généralement des plantations anglaises, comme le Westmeath, où on le trouve très fréquemment.2

1

Cette vision trop manichéenne doit être nuancée : les May Poles n’étaient pas absents du Connacht, ils étaient plus exactement extrêmement rares.

2

The May Pole never appears to have been in general use in Ireland, and is evidently of English

introduction. In Connacht it is unknown ; and even those places where it obtained most repute in other parts of the country were generally English settlements, as in Westmeath, where it was constantly to be found. Irish Popular Superstitions, Op. cit., p. 38.

Le May Pole collectif ne doit pas être confondu, rappelons-le, avec le May Pole individuel (ou « familial ») étudié dans notre deuxième chapitre. Le May Pole individuel pourrait se traduire par « bâton » ou « branche de mai » ; il désignait en fait souvent une branche de sorbier, utilisée dans les conditions décrites précédemment. Le May Pole collectif3 était un « mât de mai » ; le terme anglais pole est ambivalent, ce qui a parfois pu entraîner des confusions dommageables.

Le May Pole collectif était donc un mât que l’on érigeait à May Day,4 souvent en grande pompe, sur les places principales des villes et de certains villages. Si le village ne comportait pas de place suffisamment spacieuse, le May Pole était alors planté au bord d’une route, ou plus souvent à une intersection, peut-être pour conserver le caractère fédérateur de la tradition.5 Le mât était parfois orné de fleurs,6 de petites branches, de rubans, de « boules de mai » ou même de coquilles d’œufs ; en d’autres termes, le May Pole était parfois orné d’un « buisson de mai » et prenait alors effectivement le nom de May Bush. Danaher estime que ce phénomène est dû à une confusion populaire de deux traditions distinctes : le May Pole collectif et le May Bush collectif, que nous étudierons ci-après.7 On parle en effet régulièrement de l’érection d’un May Bush alors qu’il est clairement établi que l’on érigeait un mât, à la nuance près que l’utilisation du terme May Bush implique que le mât était orné de fleurs ou de rubans. Une fois installé, de grandes réjouissances, principalement axées sur la danse et le chant, s’ensuivaient.8

L’essentiel des May Poles irlandais se retrouvait en Ulster, et dans une moindre mesure dans le Leinster. Le « mât de mai » le plus réputé fut sans aucun doute celui d’Holywood, comté de Down :

D’après nos archives, le premier May Pole fut érigé à Holywood à May

Eve il y a environ 160 ans [vers 1780] lorsqu’un groupe de navigateurs

hollandais arriva en ville, érigea un petit mât [orné de guirlandes de fleurs]

3

Le terme May tree (« arbre de mai »), plus rarement utilisé, renvoie également à la même coutume. 4

Parfois un deuxième May Pole était érigé le dimanche suivant May Day. MS. 1097 §158 (Louth). 5

Une autre hypothèse rapprocherait cette thématique « d’intersection » des concepts de « frontières », que l’on retrouve par exemple dans l’eau de frontière mentionnée dans le chapitre précédent.

6

Même si les informateurs ne le précisent pas toujours, probablement parce que cela tombait sous le sens, les fleurs utilisées étaient nécessairement des « fleurs de mai ».

7

The Year in Ireland, Op. cit., p. 96. 8

MS. 1095 §33 (Clare) pour Ennis, jusque dans les années 1940. MS. 1095 §64 (Waterford et Wexford) pour Carrick-on-Suir en 1849. MS. 1095 §34 (Clare), §56 (Limerick), §66 (Galway). MS. 1096 §99 (Leitrim), §114 (Cavan), §123 (Fermanagh). MS. 1097 §160 (Meath), §166 (Westmeath), etc..

et festoya. Les habitants se joignirent aux festivités et la célébration devint annuelle jusqu’en 1943 lorsque le mât fut détruit par un orage. Il y avait trois May Poles et on m’a dit qu’on en [construira] un nouveau dès que du bois sera disponible.9

En 1852, William Wilde écrit :

A notre connaissance, le seul véritable mât encore érigé aujourd’hui se trouve à Holywood, près de Belfast ; il arborait les drapeaux et banderoles orange et bleus le 12 juillet ainsi que les arceaux de fleurs et les guirlandes10 vertes du premier mai. La dernière fois que nous l’avons vu, il était décoré de bateaux miniatures, emblématiques de la vocation des villageois.11

L’association de la coutume du May Pole à la Bataille de la Boyne12 renforce indubitablement la théorie de Wilde selon laquelle la tradition du May Pole est une importation anglaise ; la plupart des informateurs assimilent d’ailleurs la tradition à la culture protestante anglo-saxonne.

La seule tradition de May Pole dont j’ai entendu parler est celle d’une Lady anglaise de la Maison de Mount Southwell qui, il y a plus d’un siècle, organisait une danse du May Pole [...]. L’étrangeté [de la coutume] frappa l’imagination et la mémoire des habitants de Rathkeale vers 1812.13

Cette origine est une caractéristique à part entière du May Pole, ce qui explique que, contrairement aux autres coutumes folkloriques de May Day,

9

From our records I find the first May Pole was erected in Holywood on a May Eve about 160 years ago

when a party of Dutch seamen arrived in the town, put up a small pole festooned with flowers and made merry. Local residents joined in the revels and the celebration was an annual affair up till 1943 when the pole was blown down by the storms. There were three May Poles altogether and I am told a new one will be provided when timber is available. MS. 1096 §111 (Down).

10

Voir infra, chap. 7.1.3.3 pour une note sur la traduction de garland. 11

The only authorized pole now standing which we know of is at Holywood, near Belfast, where it used

to bear the orange-and-blue flags and streamers on the 12th of July, equally with the flower-decked hoops and green garlands of the first of May. When we last saw it, it was decorated with miniature ships, emblematic of the calling of the villagers. Irish Popular Superstitions, Op. cit., p. 38. L’auteur mentionne

également un May Pole à Mountmellick et dans le parc de Downpatrick ; une coutume relative à ce dernier mât est, selon l’auteur, largement comparable à la tradition du gui de Noël : lorsqu’une jeune femme passait près du May Pole, on pouvait l’inviter à danser et conclure la danse, le cas échéant, par un baiser. Wilde mentionne également une offrande de lait déposée au pied du May Pole de Downpatrick, « dans les temps anciens » (in former times). Ibid.. Ce type d’offrande à un « mât de mai » est unique à notre connaissance.

12

La Bataille de la Boyne (Battle of the Boyne) est aujourd’hui encore célébrée en Irlande du Nord le 12 juillet (adaptation grégorienne de la date du 1er juillet 1690), principalement par les protestants de l’Orange Order.

13

The only tradition I heard of a May Pole was of an English lady mistress of Mount Southwell House

who more than a century ago held a May Pole dance [...]. Its novelty struck the imagination and memory of Rathkeale folk about 1812. MS. 1095 §57 (Limerick).

nous ne réservions pas l’étude de cette origine à la troisième partie de notre travail : il semblait tellement évident aux Irlandais que la tradition du May Pole était une importation anglaise que l’érection du « mât de mai » constituait pratiquement une démarche militante, transcendant ainsi le cadre de la coutume folklorique traditionnelle. Elle impliquait, selon les cas, soit une appartenance forte à la communauté protestante soit, au contraire, un défi ostentatoire à cette même communauté. L’exemple le plus frappant est probablement ce témoignage nous parvenant du comté de Leitrim, témoignage qui mérite d’être traduit dans sa quasi-intégralité, ne serait-ce que pour sa précision, rare dans les manuscrits de l’Irish Folklore Commission :

Il y avait ce qu’on appelait un bal du May Pole sur les rives

d’Adoon-lough. Il durait une semaine, [de May Day au huitième jour du mois]. La

foule s’assemblait chaque soir, dansait et folâtrait jusqu’à minuit, ou plus tard encore. [On jouait] beaucoup de musique, principalement de la flûte : il n’y avait pas beaucoup de joueurs de violon à cette époque [...]. Les musiciens n’étaient pas payés ; ils [se contentaient du plaisir de jouer et d’un bon repas]. Si le 8 mai tombait un dimanche, les jeunes gens ne rentraient pas chez eux après la Messe mais [rejoignaient] le May Pole et préparaient un grand festin. On apportait une grande quantité de boxty14 [...], [beaucoup de lait], des œufs de canard en abondance et du beurre. Ils faisaient un feu à côté pour cuire les œufs. Le mât que j’ai vu était haut comme un poteau de but, et le drapeau vert irlandais [flottait en son sommet] : il y avait également un autre mât [au sommet duquel flottait] un autre drapeau de couleur sombre ou grisâtre avec une bande rouge et sous lequel était écrit « au diable les Anglais et leurs partisans ». L’assemblée achevait [la soirée] par une « danse de l’eau-de-vie », une sorte de ronde, [comparable à] une reel à seize mains, et on la dansait autour du mât au drapeau vert, chaque garçon et fille embrassant à son tour le mât et prononçant quelque commentaire à la fin du tour. C’est ainsi que s’achevait la semaine du bal du May Pole.15

14

Le boxty est une galette irlandaise à base de pommes de terre, particulièrement populaire dans les comtés de Leitrim et de Cavan.

15

There used to be what they called a May Pole dance on the strand at Adoon-lough. It would last for a

week and begin on May Day and end up on the 8th day of that month. The crowds would gather each evening and dance and gallivant till 12 o’clock or later. There would be plenty of music mostly flutes –there was not many fiddlers at the time [...]. The musicians were not paid, they were delighted to get playing and a good belly-ful of a feed. If the 8th of May fell on a Sunday the young people would not go home from Mass at all but go to the May Pole and prepare for a big feast. Plenty of boxty was got

[...], [lots of milk and] duck-eggs ‘galore’ and butter. They would have a fire nearby to cook the eggs.

The pole I saw was like a goal post-tall, and on top of it the Irish green flag : there was also another pole and on top of it was another flag its colour was sort or dark or greyish and a rep stripe across it, and underneath was printed ‘to hell with England and all her supporters’. The party would finish up with the ‘brandy dance’ a sort of chain dance, like the 16-hand-reel and it was danced around the pole with the green flag, each boy and girl in turn kissed the pole and said some remark on finishing up the turn. That ended the week’s May Pole dance. MS. 1096 §97 (Leitrim).