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Folklore moderne de Bealtaine en Irlande

MANIFESTATIONS SOCIALES

3.1 ASSEMBLEES FESTIVES

3.1.4 Jeux et sports de mai

Les assemblées festives urbaines de May Day, principalement centrées sur le May Bush ou le May Pole collectifs, étaient donc l’occasion de se réunir joyeusement, par le biais de la danse, du chant, et de processions animées mais souvent bon enfant ; parfois, cependant, l’alcool, mêlé à des jeux de séduction relativement osés pour l’époque, semble avoir entraîné les réjouissances hors du cadre très strict de la bienséance victorienne. La taille de la ville organisant les festivités de May Day étant proportionnelle à l’ampleur de ces festivités, il semble raisonnable de penser que plus une agglomération était grande, plus les débordements étaient fréquents. A ce constat, somme toute logique, venait s’ajouter un autre paramètre : seules les plus grandes villes irlandaises organisaient des manifestations sportives et ludiques en parallèle aux réjouissances de May Day, ce qui n’était pas sans occasionner certains troubles de l’ordre public.

A Tralee, une certaine Miss Cameron, qualifiée de « cinquantenaire excentrique », organisait, au milieu du XIXe siècle des Jeux de mai. Elle faisait ériger une estrade sur l’une des places de la ville, sur laquelle les juges, dont elle faisait partie, se plaçaient afin de mieux évaluer les performances des protagonistes. Le Kerry Magazine, daté de janvier 1856, rapporte que les

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Il s’agit là bien entendu d’une figure de style ayant pour vocation de schématiser le problème. Nous pourrions, de ce point de vue, faire la comparaison avec les expressions « pays du Nord » et « pays du Sud » qui désignent respectivement, en géopolitique, les pays riches et les pays pauvres, sans pour autant correspondre totalement à une vérité géographique.

gagnants pouvaient remporter des vêtements, pour femme ou pour homme, ainsi que du tabac à priser ou à rouler. Le journaliste dépeint une scène haute en couleur :

Le spectacle débutait par une grande danse, [accompagnée] par la musique des joueurs de cornemuse et des violonistes. [Les hommes participaient à des courses à pied, où des chapeaux étaient mis en jeu] [...]. [Les participants devaient courir avec des sacs attachés à leur cou]. [...] On donnait du tabac à priser ou à rouler aux meilleurs [compétiteurs], hommes ou femmes. [Les jeux se déroulaient dans l’ordre et la discipline]. [...] Les autres jours du mois de mai, les gens de la ville allaient à Ballyseedy pour se divertir, danser et boire, coutume qui continue encore partiellement aujourd’hui.46

Si les manifestations sportives de Tralee se déroulaient dans un calme apparent, nuancé par l’usage d’alcool à Ballyseedy, il en allait tout autrement à Dublin. Nous avons déjà mentionné l’opposition entre les « garçons de la Liberté » et les « garçons d’Ormond » :47 cette opposition menait parfois à des émeutes et des morts malheureuses.48 L’organisation des sports de mai à Dublin était l’occasion de débordements encore plus prononcés.

Il existait en fait deux centres d’attraction principaux dans la capitale irlandaise : le May Pole d’Harold’s-cross Green et le May Pole de Finglas, autour desquels se déroulaient les Jeux de mai.

Nous ne savons que peu de choses sur les festivités d’Harold’s-cross Green. Dans son Irish Popular Superstitions, écrit au milieu du XIXe siècle, William Wilde annonçait déjà que les traditions avaient pratiquement disparu des mémoires. Le premier May Pole connu, situé sur la place du village, avait été détruit en 1820. On sait simplement que des Jeux de mai y étaient

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The scene opened with a dance, on a large scale, to the music of several pipers and fiddlers. Foot

races by men, for hats, from the platform to Caherane, followed [...]. Bags or sacks were fastened round the necks of the competitors, and in that way they were to proceed [...]. The tobacco and snuff were dealt out to the best grinners, male and female. The amusement was kept during the day with great order [...]. On all other May-days the townspeople repaired to Ballyseedy to amuse themselves by dancing and drinking, a custom which is still partially kept up. The Kerry Magazine, XXV, Vol. III : janvier 1856,

pp. 11-2. Un informateur de l’Irish Folklore Commission atteste les festivités de Ballyseedy qui se tenaient, selon lui, le premier dimanche de mai et qui attiraient un grand nombre d’habitants de Tralee. MS. 1095 §7 (Kerry).

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Liberty boys et Ormond boys. 48

organisés et que l’enthousiasme populaire était relativement soutenu.49 Quelques années plus tard, en 1836 plus précisément, les tenanciers de pubs, désireux de raviver la flamme éteinte des Jeux de mai d’Harold’s-cross et de relancer ainsi leurs affaires, essayèrent de rétablir la coutume. Le résultat fut en demi-teinte : si leur cotisation financière permit d’ériger un nouveau mât décoré, comme il se doit, de fleurs et de rubans, les Jeux de mai n’eurent pas le succès escompté. La ferveur des habitants de Dublin s’était en effet dégradée au fil des années. En dépit des prix offerts aux gagnants des jeux, la tradition d’Harold’s-cross renouvelée disparut donc rapidement.50

Notre connaissance des Jeux de Finglas est plus approfondie. Le May Pole de Finglas, centre de toutes les festivités, évolua à travers les âges. S’il était, à l’origine, orné de rubans colorés, comme le voulait la tradition, il prit une forme toute particulière vers le début du XIXe siècle : chaque lundi de Pâques, le mât de Finglas51 était peint en blanc et « orné de spirales rouges et bleues, tel une enseigne de barbier ».52 Il était ensuite enduit de savon. Toutes sortes de prix étaient fixés à son sommet, le but du jeu étant, bien entendu, de réussir à attraper le lot convoité afin de le ramener chez soi.53

D’autres compétitions, plus surprenantes et ludiques les unes que les autres, se déroulaient également dans les environs du May Pole de Finglas : on courait après un cochon et on essayait d’attraper sa queue (préalablement rasée et savonnée) ; des courses (traditionnelles ou courses dites « en sac ») étaient organisées ; on élisait les meilleurs danseurs et musiciens ; on montait des ânes au cours de ce que l’on appellerait aujourd’hui des « rodéos » : le vainqueur était celui qui restait le plus longtemps sur l’âne de son voisin ; on participait à des concours de grimaces, après avoir préalablement passé la tête dans un collier de cheval : la personne effectuant la moue la plus impressionnante récoltait le plus beau lot ; on jouait à une variante de « colin-maillard » : un homme aux yeux bandés devait repérer le porteur d’une cloche ; des compétitions de lutte, de saut en longueur et en hauteur permettaient aux

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Weston St. John, Joyce. The Neighbourhood of Dublin. Dublin : M.H. Gill and Son Ltd., 1912, p. 192. 50

Ibid.. 51

Finglas est un petit village de la banlieue nord de Dublin ; le mât était érigé près des jardins botaniques de Glasnevin.

52

Encircled with a red and blue spiral stripe like a barber’s pole. Irish Popular Superstitions, Op. cit., p. 39. Voir aussi The Neighbourhood of Dublin, Op. cit., p. 272.

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Châles, chapeaux, manteaux, mouchoirs, gants et bonnet pour femmes étaient distribués aux vainqueurs, ainsi que des sommes allant jusqu’à trente livres. Irish Popular Superstitions, Op. cit., p. 40.

jeunes hommes les plus vigoureux et sportifs de remporter un certain nombre de prix, auxquels venait s’ajouter une incontestable reconnaissance sociale.54

Les Jeux de Finglas se déroulaient dans une ambiance festive soutenue : on érigeait des tentes, où le verre de whiskey pouvait s’acheter à un penny seulement ; des spectacles étaient organisés dans tout le village ; des groupes de musique paradaient dans les rues du matin au soir ; la nuit tombée, les jeunes gens se retrouvaient devant le May Pole où ils dansaient jusqu’à une heure avancée, en présence de leur Roi et Reine de mai.55

Pendant longtemps, les célébrations bénéficièrent d’un grand succès, au point de rivaliser avec la grande foire de Donnybrook, qui avait également lieu en mai.56 Dans les années 1820, cependant, les Jeux de Finglas commencèrent à péricliter. Les commerçants essayèrent de contrer la désertion du site en formant des corporations ; le « Tolka Club », devenu par la suite la « Corporation de Finglas », tenta de préserver les amusements et distractions de mai du quartier,57 en vain. La disparition des jeux, que l’on estime généralement avoir eu lieu en 1845, eut des causes diverses :

Plus d’une requête fut faite au gouvernement par certains membres de la petite noblesse demeurant dans le voisinage dans le but d’interdire les divertissements de Finglas ; et le sujet fut considéré comme suffisamment important pour être déféré devant le Conseil Privé du souverain britannique (Privy Council) ; mais ce que l’intervention officielle ne put empêcher fut complètement effacé par la peur du choléra de 1833, puis par le

teetotalism, [doctrine prêchant l’abstinence d’alcool].58

L’impact de ce que Kevin Danaher appelle « la respectabilité victorienne »59 est donc loin d’avoir été négligeable. Les combats, amenant parfois au meurtre, les réjouissances et festoiements bruyants, souvent obscènes, les beuveries des May Bushes / Poles collectifs et autres Jeux de

54 Ibid.. 55

Ibid.. Voir également The Neighbourhood of Dublin, Op. cit., p. 272. 56

Voir infra. 57

Les Jeux de mai de Finglas étaient alors appelés les humours of Finglas, c’est-à-dire les « humeurs », « l’essence » de Finglas.

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More than one application was made to the government to interdict the Finglas amusements, by some

of the gentry residing in the neighbourhood ; and the subject was even considered grave enough to be referred to the Privy Council ; but what official interference was unable to put down –first, the cholera panic, in 1833, and then teetotalism, completely abolished. Irish Popular Superstitions, Op. cit., p. 41.

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mai attirèrent, presque nécessairement, la désapprobation des forces publiques à leur égard.

Pire encore, dès le XVIIIe siècle, un certain nombre de lois anglaises prohibèrent l’érection de ces May Bushes / Poles : en 1775, le vol des « buissons de mai », apparemment devenu trop courant et suscitant de trop nombreuses rivalités, fut interdit et sanctionné. En 1792, l’érection de « mâts de mai » fut officiellement considérée comme une nuisance publique ; elle tomba alors sous le coup de la loi, avec une amende de vingt shillings à la clé.60

Les sanctions prirent un certain temps à être mises en application en Irlande. Elles eurent cependant un impact certain d’autant que, apparemment, la loi n’évolua pas vers plus de tolérance. Dans un calendrier donné par un correspondant du comté de Down à un informateur du comté de Dublin, on trouve les annotations suivantes pour le jour du premier mai :

Le May Bush ou May Pole ne doit pas être installé ou toléré par qui que ce soit près de son habitation : amende de deux livres ou emprisonnement.61

De même :

Le May Bush ou May Pole ne doit pas se situer à moins de dix pieds de n’importe quelle route du comté de Dublin : amende d’une livre, [...] ou sur n’importe quelle route ou dans n’importe quelle ville [...] : amende de dix livres.62

La répression ne se limita pas aux coutumes du May Pole collectif. Certaines foires, autres lieux hypothétiquement dangereux car prétextes à de nombreux débordements, subirent les mêmes restrictions ou interdictions. La foire de Donnybrook, à Dublin, était probablement l’une des plus grandes foires irlandaises, d’ailleurs instaurée par Charte royale en 1204. Célèbre pour ses danses, pour ses combats généralement induits par une surconsommation d’alcool, célèbre aussi pour ce que l’on appelle pudiquement ses « débordements érotiques », la foire de Donnybrook était devenue, au fil des siècles, une véritable institution. Le nom même de la foire évoquait, dans une

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Voir XV et XVI George III (1775-6), Ch. 26 : « An Act for encouraging the Cultivation, and for the better Preservation of trees, shrubs, Plants and Roots » et XXXII George III (1792), Ch. 30 : « An Act for improving and keeping in repair the Post Roads of this Kingdom ».

61

[May Bush] or [May Pole] not to be put up or suffered to remain by any person near his

dwelling –Penalty £2 or imprisonment. MS. 1097 §155’ (Dublin).

62

[May Bush] or [May Pole] not to be within ten feet of any road in the County of

certaine partie du monde anglo-saxon, le mode de vie dissolu des Irlandais.63 En 1855, cependant, une controverse, amorcée par la presse, plaça la foire de Donnybrook au centre de toutes les attentions. Les débordements et la débauche engendrés par la foire de mai causaient une paralysie économique intolérable à Dublin et dans ses environs. Une souscription publique fut mise en place afin de racheter le droit d’organiser la foire aux propriétaires des lieux, ce qui entraîna, à terme, la fin de la foire de Donnybrook.64