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Autres techniques de vol ; boue et excréments

Folklore moderne de Bealtaine en Irlande

BEALTAINE ET LE SURNATUREL : SUPERSTITIONS ET COUTUMES

2.1 LA SORCELLERIE DE BEALTAINE

2.1.3 Vol magique et sorcellerie

2.1.3.6 Autres techniques de vol ; boue et excréments

Nous retrouvons parfois, dans les divers manuscrits à notre disposition, des techniques de vol magique isolées et ne pouvant s’inscrire dans les grands axes que nous venons de développer. Ainsi, on racontait que, pour voler la production de beurre d’un propriétaire, il fallait arracher un peu de chaume du toit de sa maison et la placer sur son propre toit.127 Dans un autre cas, il fallait placer une baguette de coudrier au-dessus de la porte d’un voisin : un des deux voleurs, en général une femme, barattait chez elle, alors que le

123

Gather gather far and near everyone’s butter gather to me. MS. 1096 §67 (Galway). 124

And half to me. Ibid.. 125

Used to go around the neighbour’s field on May Morning saying the magic words ‘All the butter in

the land gather round the dead man’s hand’. MS. S.699 (Meath).

126 Ibid.. 127

deuxième protagoniste, son mari, regardait le bétail : chacun devait prononcer la phrase « viens, beurre, viens [!] » pendant toute la durée du vol.128

Mais c’est en fait l’utilisation de la terre, ou de la boue, trouvée dans les champs au petit matin de May Day, qui retiendra le plus notre attention :

La méthode la plus utilisée [pour voler la production de beurre] consiste à aller dans les champs où se trouve le bétail au lever du soleil, lorsque le bétail [se repose encore]. Quand les vaches se lèvent et se mettent à marcher, on prend le petit morceau de terre qui est coincé entre leurs ongles et on trait un peu de lait de chaque pis [avec lequel on humecte ce morceau de terre]. Cette terre est ramenée chez soi et placée au-dessus de la porte. Quand une personne qui a fait cela souhaite prendre le beurre, elle prend le petit morceau de terre et le met sous la baratte et commence à baratter.129

S’il y avait de la boue sur les cornes d’une vache, on ne devait pas la traire, [car cela portait malheur].130

Prendre un morceau de terre ou de boue entre les ongles de la vache et le placer sous la baratte lors du premier barattage. On faisait cela à May

Day.131

Si une vache marchait sur une bouse de vache, on utilisait le morceau de bouse [situé] entre les ongles pour voler le beurre.132

Le dernier exemple se focalise sur les excréments mais semble cependant être le reflet exact des méthodes mises en relation avec la terre : les excréments de vache ont à peu près la même consistance que la boue, en plus d’en avoir la couleur. Par ailleurs, les matières fécales animales, plus précisément les bouses de vaches, étaient très souvent associées à Bealtaine ; leur influence était au demeurant intimement liée aux pratiques de sorcellerie.

128

Come butter come. MS. 1096 §104 (Leitrim). La baguette de coudrier étant souvent une baguette de sourcier, peut-être faudrait-il trouver l’origine de cette pratique dans la symbolique de l’eau et son assimilation au lait. Le coudrier est par ailleurs largement utilisé dans de nombreuses coutumes liées à

Bealtaine, comme nous aurons l’occasion de le constater.

129

The most usual method is to go to the field where the cattle are at sunrise while the cattle is still lying

down. When the cow stands up and moves off the little piece of clay which is forced up between her toes is taken and a little milk from each teat is milked into it. This clay is taken home and put over the door. When a person who has done this wishes to take the butter she takes the little piece of clay and puts it under the churn and starts to churn. MS. 1096 §104 (Leitrim).

130

If mud were put on any cow’s horns she was not to be milked on this occasion. MS. 1096 §69 (Galway).

131

Take a piece of clay or mud from between the [nails] of the cow and place that piece under the churn

for the first churning. This to be done [on] May Day. MS. S.717 (Meath).

132

If a cow stood on a cowdung, the dung between the ‘ladar’ was used for butter stealing. MS. 1096 §90 (Mayo).

Frotter les pis des vaches avec leurs excréments ou de la boue133 était, par exemple, de bon augure et apportait chance et prospérité à son propriétaire.134 Plus encore, la coutume permettait de se prévenir contre tout vol magique de beurre.135 Une première analyse nous pousserait à croire que la consistance, la texture de ces matières pourraient être à l’origine des croyances leur étant attachées : la terre humide de May Morning et la bouse de vache ne sont pas sans rappeler la texture du beurre fraîchement baratté : il s’agit d’une matière molle et visqueuse. L’association excrément / boue / beurre se retrouve dans un certain nombre de croyances :

A May Morning, [certaines] portes d’étables étaient enduites d’une matière putride [et] crémeuse. Pour prévenir les maux engendrés par cette pratique, une Messe de mai spéciale [...] était célébrée dans la maison ou à l’Eglise.136

[Certaines personnes] frottaient du ‘beurre sale’ sur les portails et les ouvertures à May Eve ou tôt à May Morning.137

[Un jour, quelqu’un étala] de la graisse au-dessus des portes des étables à

May Eve. Tous les veaux [en] moururent.138

Mais c’est peut-être l’influence de la rosée qui, une nouvelle fois, nous permettrait de comprendre la superstition. Ce n’est pas la terre traditionnelle, sèche, granuleuse qui permettait d’effectuer un vol magique mais bien la boue que l’on retrouvait au petit matin, en d’autres termes une terre spongieuse, imbibée d’eau, plus précisément de rosée.

133

MS. 1095 §41 (Clare). Parfois, il s’agissait de poils de vache, probablement enduits de boue. MS. 1095 §34 (Clare).

134

MS. 1095 §6 (Cork et Kerry). Un autre informateur déclare qu’il fallait frapper la vache puis la frotter avec ses propres excréments. MS. 1095 §9 (Kerry). Dans le comté de Donegal, on plaçait un peu de ces excréments dans la gueule d’un veau qui venait de naître afin que, en cas de vol magique, le lait ainsi volé fût souillé. MS. 1096 §137, §142 (Donegal). Une légende du comté de Galway mentionne un jeune homme qui, ayant surpris une sorcière sur le point de voler la « chance » d’un propriétaire par le biais de la magie, dit « des excréments de chien sur toi » (Dogs excrements on you) ; une fois rentrée chez elle, la sorcière retrouva sa baratte remplie de matières fécales. MS. 1096 §65 (Galway).

135

MS. 1095 §35 (Clare). « Coutumes préventives contre le vol de lait et de beurre : la bouse de vache utilisée à la fête des Rois pour maintenir les douze bougies [...] était [mise de côté] jusqu’à May Eve où elle était [battue] et utilisée pour laver le [pis] des vaches. » (Milk and butter stealing preventions : the

cowdung used on 12th night to hold the twelve rush candles was put away until May Eve when it was softened with walés ( ?) and used to wash the cow’s udder.) MS. 1096 §68 (Galway).

136

On May Morning it was known to happen in places that the doorsteps of the cow byres were pasted

with putrid stuff of a creamy nature. To prevent harm coming from this practice a special May Mass (as it was called) was offered in the house or at the Church. MS. 1095 §46 (Tipperary).

137

Dirty butter was rubbed to the gates and gaps on May Eve or early May Morning. MS. 1095 §30 (Cork).

138

Grease rubbed over doors of cowhouses on May Eve. [All the calves died]. MS. 1095 §54 (Tipperary).

De même, les excréments du bétail s’inscrivent dans le cycle naturel que nous avons décrit plus haut : une bouse de vache est le rebus d’une digestion d’herbe imbibée de rosée, une transmutation en matière visqueuse, graisseuse – qui n’est pas sans rappeler le beurre – d’un liquide représentant symboliquement le lait. Nous n’aurons toutefois pas la prétention d’affirmer qu’il s’agit là des seules implications de l’utilisation symbolique des excréments : ce sont, en l’occurrence, les plus évidentes.