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Folklore moderne de Bealtaine en Irlande

BEALTAINE ET LE SURNATUREL : SUPERSTITIONS ET COUTUMES

2.1 LA SORCELLERIE DE BEALTAINE

2.1.4 Conjurer les sorts

2.1.4.3 Bénédictions et messes

Outre le fait que les prêtres étaient régulièrement mentionnés, comme nous avons pu le remarquer, dans les légendes de sorcellerie,155 nous pouvons constater que, dans les premiers jours du mois de mai, la ferveur chrétienne était poussée à son paroxysme. Comme en témoigne un certain nombre d’informateurs, la messe du premier dimanche de mai était particulièrement courue.156 De même, les fermiers avaient parfois pour habitude de célébrer, avec l’aide du prêtre de la paroisse, une messe privée dans leur maison le jour de Bealtaine.157 Les prêtres officiaient d’ailleurs dans les fermes pendant toute la durée du mois de mai afin de célébrer ces messes, censées protéger le bétail des maladies comme des esprits mal intentionnés.158 Souvent, ils bénissaient le bétail et les récoltes au nom de la Vierge, ce qui n’est pas étonnant puisque le mois de mai lui est consacré, dans la tradition catholique. Si le prêtre ne pouvait se déplacer, le fermier priait lui-même au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit à May Eve ou May Day, toujours pour

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Il nous suffira de rappeler que, dans la liturgie chrétienne contemporaine, le sel est encore omniprésent, par exemple dans la tradition du baptême. Les exemples que l’on pourrait trouver dans la Bible sont, évidemment, extrêmement nombreux ; nous nous contenterons ici de rappeler que le Christ est appelé le « sel de la délivrance » qui pénètre le ciel et la terre.

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Leur implication permettait de conjurer le sort, ou au pire d’en limiter les effets. 156

MS. 1095 §57 (Limerick), MS. 1097 §172 (Westmeath). 157

MS. 1095 §17 (Cork), MS. 1097 §167 (Westmeath). 158

MS. 1095 §30 (Cork), §32 (Clare). Dans d’autres cas, un moyen de conjurer le sort de vol magique consistait à faire célébrer une messe dans la maison du voleur potentiel. MS. 1095 §13 (Cork). Certains plaçaient également une Croix de sainte Brigitte au-dessus de la porte de l’étable. MS. 1096 §151 (Donegal).

contrer le vol magique.159 La coutume semble avoir perduré jusqu’au milieu du XXe siècle, et, à titre exceptionnel, jusqu’à nos jours.

2.1.4.4 L’eau

L’association des coutumes chrétiennes aux techniques permettant de conjurer les sorts à May Day ne se cantonnait d’ailleurs pas à la célébration de messes et de bénédictions. Si l’eau, en particulier l’eau du puits ou de la source locale, était parfois mise en relation avec la protection contre le vol de lait, principalement dans le comté de Cork,160 l’élément prenait toute son importance lorsqu’il avait été préalablement béni par un membre clergé local.

L’utilisation de l’eau bénite était en effet largement répandue en Irlande à Bealtaine, encore une fois principalement dans le Munster, où la croyance aux vols magiques semble avoir été la plus répandue. Il était très courant d’asperger les vaches laitières d’eau bénite à May Day ou May Eve dans le but avoué d’éviter tout vol de « chance » par une personne mal intentionnée.161 Un informateur du comté de Tipperary explique que l’apparition des lièvres

159

MS. 1095 §17 (Cork), §52, §55 (Tipperary), §62 (Waterford), §64 (Waterford et Wexford), MS. 1097 §179 (Longford). Traditionnellement, il était également de bon augure de se signer avant de débuter le processus de barattage. MS. 1096 §106 (Leitrim).

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Un informateur du comté de Cork explique que l’on avait coutume de ramener un peu d’eau de cette source dans la maison et de l’y garder pendant la nuit du 30 avril au premier mai. « Une nuit, vers minuit ou [peut-être] plus tard, une fille demanda à l’autre si elle avait ramenée [l’eau de la source dans la maison]. Elle répondit que non. Elles se levèrent toutes les deux et allèrent à la source, ramenèrent l’eau et allèrent se recoucher. » (It was always the custom to have spring water in the house for the night. One

night about 12 o’clock or later one girl asked the other did she bring in the spring ‘no’ said the other. Both got up and went to the well and brought in the water and went back to bed.) MS. 1095 §29 (Cork).

Afin de se protéger des sorts, on lavait à l’eau de cette source le premier morceau de beurre fabriqué à

Bealtaine. MS. 1095 §16 (Cork). Dans le même ordre d’idée, les ustensiles servant à fabriquer le beurre

étaient lavés à l’eau de source, la puissance effective de cette manipulation étant renforcée s’il s’agissait d’« eau de frontière », et on aspergeait les vaches laitières de cette eau. MS. 1095 §13 (Cork). Notons par ailleurs qu’un seul exemple, à notre connaissance, associait eau bénite et eau de source : « Mrs, Ryan, née à Lackanmore-Doon, maintenant âgée de 80 ans, explique que sa mère mettait un charbon ardent dans un récipient contenant de l’eau bénite et [demandait à ses] filles de placer [celui-ci] dans une des sources du district. » (Mrs Ryan native of Lackanmore-Doon who is now 80 relates that her mother used

to put a coal into a vessel of holy water and send the daughters with it to put it into a well of spring water in the district.) MS. 1095 §56 (Limerick). L’association eau de source / eau bénite / charbon ardent est

unique dans les MSS. de l’Irish Folklore Commission. 161

MS. 1095 §7 (Kerry), §15, §19, §24, §26, §27 (Cork), §34, §35 (Clare), §52 (Tipperary), §57 (Limerick), MS. 1096 §132 (Monaghan), §139 (Donegal), MS. 1097 §185 (Offaly) pour les exemples en langue anglaise dans les MSS. de l’Irish Folklore Commission relatifs à Bealtaine. Il était de très mauvais augure de ne pas se plier à la coutume. L’aspersion était parfois étendue à tous les animaux de la ferme (même si les vaches, et en second lieu les chevaux, semblent avoir été le centre des préoccupations). MS. 1095 §15 (Cork) et MS. 1097 §185 (Offaly). Selon les cas, cette aspersion était effectuée par le prêtre ou plus simplement par le chef de famille. MS. 1095 §7 (Kerry). La protection s’étendait parfois à la mauvaise influence hypothétique des fées, que nous aborderons plus tard. MS. 1095 §26 (Cork).

trayeurs était, dans la plupart des cas, due à l’imprudence des propriétaires, qui avaient négligé l’aspersion de leurs vaches à Bealtaine.162

La coutume ne concernait pas seulement les vaches laitières ; pour plus de sécurité, les propriétaires aspergeaient d’eau bénite les étables, les quatre coins de leur terrain,163 et, occasionnellement, leur habitation personnelle.164 Les barattes, objets d’une importance incontestable pour le vol de lait et de beurre, étaient également aspergées à May Eve ou May Day.165

L’association, dans l’esprit populaire, de l’eau bénite à une denrée protectrice, salvatrice, n’est plus à démontrer en Irlande, comme dans tout autre pays influencé par la tradition chrétienne. L’efficacité de l’eau bénite contre la mauvaise influence du lièvre trayeur est, nous semble-t-il, largement comparable à la superstition slave, exploitée dans divers ouvrages de littérature depuis le XIXe siècle, selon laquelle cette eau bénite pouvait venir à bout des « vampires » ; dans le même ordre d’idée, la balle d’argent, mentionnée dans certains contes populaires irlandais du lièvre trayeur, se rapproche de manière suffisamment explicite de certaines croyances européennes relatives aux loups-garous, croyances encore une fois amplement reprises par certains auteurs d’inspiration romantique.

En Irlande, l’eau (bénite ou non) protégeait le bétail et les denrées laitières : qu’il s’agisse de l’adaptation d’une tradition antérieure au christianisme ou que les différentes croyances mentionnées en Irlande ou en Europe de l’Est aient une origine commune n’est, pour le moment, pas l’objet de notre étude ; ces questions seront abordées ultérieurement.

Notons que l’eau bénite ne servait pas uniquement à protéger le bétail et à conjurer les sorts : à May Day ou May Eve, on aspergeait également de cette eau les champs et les récoltes afin de faciliter leur pousse.166 On enterrait parfois une petite bouteille dans son jardin ou dans les champs, toujours pour améliorer la productivité du sol, mais également pour empêcher les êtres

162

MS. 1095 §57 (Tipperary). 163

MS. 1095 §6 (Cork et Kerry), §30 (Cork), §40 (Clare) et MS. 1096 §93 (Sligo). 164

MS. 1095 §6 (Cork et Kerry). « [On aspergeait] de l’eau bénite sur tous les coins de la maison, en récitant des prières spéciales. » (Holy water spread in every corner of the house with special prayers.) MS. 1096 §89 (Mayo).

165

MS. 1095 §10 (Kerry), §13, §18, §23 (Cork), §32 (Clare), §46 (Tipperary). 166

MS. 1095 §8, §15, §23, §26 (Cork), §32 (Clare), §47 (Tipperary) etc., MS. 1096 §105 (Leitrim), §116 (Armagh), MS. 1097 §162 (Meath), §189 (Laois).

malfaisants (sorcières, fées167 ou toute personne étrangère) de pénétrer sur ses terres.168 De même, on mettait parfois un peu d’eau bénite sur les œufs prêts à éclore à Bealtaine.169

Au moins deux exemples tirés des manuscrits de l’Irish Folklore Commission associent ces pratiques d’aspersion, non pas à May Day, mais à la fête des Rogations qui, célébrée quarante jours après Pâques, est de toute façon chronologiquement proche du premier mai.170 Comme nous aurons l’occasion de le constater, le rapprochement entre Beltaine / May Day et la fête de Pâques, ou les fêtes y étant associées, ne sont pas rares ; nous ne nous étonnerons donc pas du fait que, dans un grand nombre de cas, « l’eau de Pâques » se substituait à l’eau bénite dans les traditions de Bealtaine.

L’eau de Pâques désigne, aujourd’hui encore, une eau bénite distribuée par le prêtre, le plus souvent le samedi de la semaine pascale, selon un rituel précis. Certaines personnes conservaient cette eau jusqu’à Bealtaine, où elle était utilisée de la même manière que l’eau bénite « ordinaire », principalement dans le Munster et le Leinster. Les effets étaient cependant, selon la croyance, démultipliés de par son association encore plus probante à la tradition chrétienne et à sa fête la plus représentative.171 Le but recherché par cette aspersion d’eau de Pâques était en tout point similaire à l’aspersion

167

Voir infra, chap. 2.2. 168 MS. 1095 §57 (Limerick). 169 MS. 1095 §56 (Limerick). 170 MS. 1095 §19 (Cork), MS. 1097 §188 (Laois). 171

L’eau de Pâques était ainsi aspergée sur le bétail à May Day (MS. 1095 §22 (Cork)) ou à May Eve, avant le départ pour la transhumance. « Après avoir trait les vaches la veille du premier mai, ils aspergeaient de l’eau de Pâques avant [le départ pour les pâturages]. La femme de la maison aspergeait les vaches [alors que] le plus jeune enfant [de la maison] tenait un cierge [béni]. » (After milking the cows

on May Eve they were sprinkled with Easter water before being turned on in the fields. The woman of the house sprinkled the cows while this was being done the youngest child held the Blessed Candle.) MS.

1095 §49 (Tipperary). Les chevaux étaient parfois inclus dans les pratiques d’aspersion, comme mentionné dans MS. 1095 §64 (Waterford et Wexford), plus rarement les porcins et la volaille. MS. 1095 §21 (Cork). Dans certains cas, on nettoyait les pis des vaches à l’eau de Pâques. MS. 1095 §17 (Cork). Pour les récoltes et la baratte, les techniques sont également comparables à celle déjà mentionnées en relation avec l’eau bénite traditionnelle (pour les récoltes, voir MS. 1095 §32 (Clare), §49 (Tipperary), MS. 1097 §186 et §189 (Laois) ; pour la baratte, MS. 1095 §21 (Cork), §46 (Tipperary) ; pour la maison et les étables voir MS. 1095 §22 (Cork), §32 (Clare), 57 (Limerick), MS. 1097 §189 (Laois)). « [L’eau de Pâques] est aspergée trois fois au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » (The [Easter] water is

sprinkled on each three times in the name of the father and of the son and of the holy ghost.) MS. 1095

§46 (Tipperary). La seule coutume relative à l’eau de Pâques qui semble s’être démarquée de l’aspersion traditionnelle est mentionnée par un informateur du comté de Laois : « L’eau de Pâques était aspergée sur le foyer à May Eve pour empêcher que la maison ne brûlât. » (Easter Water spilt on the hearth on May

Eve to prevent the house from burning.) MS. 1097 §186 (Laois). Cet exemple étant unique en son genre,

d’eau bénite traditionnelle, et ce jusqu’au milieu du XXe siècle où la coutume était encore connue et parfois mise en pratique :172 il s’agissait une nouvelle fois de s’attirer bonne fortune et prospérité, de contrer les vols magiques et autres influences néfastes ;173 la protection était, comme souvent, censée durer une année entière, jusqu’à la Bealtaine suivante.174

2.1.4.5 Le métal

a) L’eau et le métal

Toujours pour prévenir et contrer le vol magique, l’eau était parfois utilisée conjointement au métal. Ainsi, pour démasquer la personne ayant volé le beurre d’un propriétaire, une technique consistait à faire bouillir dix épingles neuves en métal dans du lait : « Lorsque le lait [commençait] à bouillir, la personne qui [avait volé] le beurre [arrivait] en courant à la porte car les épingles [s’étaient] plantées dans son cœur. »175

Il était également de bon augure de placer un fer à cheval, ou tout autre objet en fer, dans les sources privées, afin de se préserver des voleurs.176 Dans le même ordre d’idée, un informateur du comté de Cork nous fait part d’une légende locale, où l’on retrouve certains thèmes récurrents dans les histoires de vol à Bealtaine : présence d’un prêtre, association à la première fumée, formules magiques.

Un matin de May Day, une femme se trouvant au bord d’une rivière trempait le soc d’une charrue dans l’eau et un prêtre qui passait par là alors qu’elle disait « la moitié de ton beurre pour moi » dit « et l’autre moitié pour moi » et la personne dont la fumée avait été la première à s’échapper n’eut pas de beurre cette année-là. Cela s’est passé il y a bien des années et on nous dit que le prêtre rendit à la femme la portion qu’elle était censée avoir perdue et qu’il avait gagnée.177

172

MS. 1095 §47 (Tipperary). 173

Nous pensons tout particulièrement l’influence des fées. 174

MS. 1097 §155’ (Dublin). 175

When the milk begins to boil the person taking the butter will come running to the door as the pins

will be sticking in that person’s heart. MS. 1096 §99 (Leitrim). Nous rencontrerons un grand nombre

d’exemples de ce type lorsque nous passerons en revue les superstitions relatives au feu et au vol magique. Voir supra, chap. 2.1.3.4 et infra, chap. 2.1.4.6.

176

MS. 1096 §37, §41 (Clare). 177

One May Day Morn a woman was by the bank of a river here dipping the sock of a plough in the

water and a clergyman came along just as she was saying ‘half of your butter to me’ and he said ‘and the other half to me’ and the person from whose chimney the smoke was first out had no butter that year. This happened many years ago and we are told that the clergyman restored to the woman the portion she was supposed to have lost and which he had gained. MS. 1095 §23 (Cork).

L’utilisation conjointe de l’eau et du métal – en l’occurrence, un métal bien spécifique étant donné qu’il s’agit du soc d’une charrue – permettait donc de s’accaparer la production de beurre de son voisin ; il semble que cette histoire ne soit en fait qu’une adaptation de l’écrémage symbolique des rivières : l’eau représente ici la prospérité du propriétaire car elle symbolise sa production de lait et le soc de charrue se substitue aux objets traditionnels utilisés pour l’écumage magique.178 L’utilisation d’un objet aux fonctions purement agricoles dans une croyance de ce type n’est évidemment pas anodine.

Le métal, le fer notamment,179 revêtait une importance particulière dans les croyances et superstitions rattachées à Bealtaine. Nous avons vu que les dons et les prêts effectués à May Day étaient, d’une manière générale, mal perçus par la population rurale. Selon certains, l’interdiction portait tout particulièrement sur les objets en fer. Nous retiendrons trois exemples. Selon le MS. 1096 §131 (Monaghan) : « Prêter quelque objet que ce soit à May Day porte malheur, tout particulièrement s’il est en fer. » 180 De même, dans le MS. 1096 §132 (Monaghan), on trouve la référence suivante : « Emprunter une chaîne ou n’importe quel objet en fer entraînait une [très forte] suspicion. »181 Enfin, dans le MS. 1095 §52 (Tipperary) : « On sait bien qu’il ne faut pas prêter de chaînes ou de marteaux à May Day. »182

b) Importance de la forge et du forgeron

La mention des « chaînes » et des « marteaux » renvoie directement au travail de la forge. Il n’est donc pas étonnant de constater que l’activité du forgeron entretenait encore, jusqu’à l’époque de rédaction du questionnaire, un

178

L’association eau / métal (plus justement / fer) pourrait également trouver son origine, comme nous aurons l’occasion de le constater, dans la croyance répandue selon laquelle l’eau utilisée par le forgeron pour refroidir le fer revêtait des pouvoirs bien spécifiques ; à titre d’exemple, mentionnons le MS. S.685 (Meath) : « Un forgeron qui se lave les mains dans l’eau qui refroidit le fer est censé devenir fort. » (A

blacksmith that washes his hands in the water [that] cools the iron is supposed to be made strong.)

179

L’argent est le deuxième métal le plus mentionné en relation avec May Day, principalement dans l’Est du pays, où l’influence normande fut la plus probante. Nous avons déjà vu l’influence de ce métal sur le lièvre trayeur et les sorcières (MS. 1096 §133, §134 (Monaghan), §139 (Donegal)). A May Eve, on mettait parfois un peu d’argent (silver et non pas, bien entendu, money) dans la baratte pour le préserver du vol magique (MS. 1096 §106 (Down)). De même, on trayait parfois une vache qui venait de naître sur de l’argent à May Day et certaines personnes mettaient un peu d’argent dans le seau qui servait à la traite. MS. 1096 §133 (Monaghan).

180

Unlucky to lend anything on May Day especially if made of iron. 181

To borrow a chain or anything made of iron was the worst sign of a suspect. 182

lien étroit avec l’arrivée du premier mai. Cela pourra d’ailleurs s’avérer d’un intérêt capital lors de notre analyse de la mythologie de Beltaine et notre étude des origines.

Dans le comté de Cork, « certains forgerons encore en vie ne travailleraient sous aucun prétexte ce jour-là » ;183 dans le comté de Galway « le forgeron ne [travaillait] jamais à May Day ».184 « La forge était en général fermée et, pour le forgeron comme le fermier, c’était un jour férié [placé sous le signe de la peur]. »185 On disait parfois qu’il ne fallait jamais payer le forgeron à Bealtaine.186

Le forgeron est traditionnellement entouré d’un mysticisme naturel, en Irlande comme ailleurs, mysticisme très probablement issu de traditions ancestrales sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir. Le forgeron possède le secret du feu, celui de la transmutation des métaux. Thomas J. Westropp fait d’ailleurs remarquer que « chez les Irlandais, le forgeron était un magicien [ ; dans] l’antique Lorica de saint Patrick, [on] prie contre les sorts des forgerons, des femmes et des druides ». 187

En Irlande, ce mysticisme était encore renforcé lorsque placé dans le contexte de Bealtaine ; dans le comté de Galway, seuls les forgerons installés depuis trois générations pouvaient démasquer les personnes ayant perpétré un vol magique de beurre.188 Plusieurs légendes mentionnant des forgerons ou, plus souvent, la descendance féminine des forgerons, furent associées à certaines sources sacrées visitées à May Day.189 Un informateur du comté de Longford rapporte l’histoire suivante : « Une fille du voisinage, la fille d’un forgeron, mit un fer à cheval au-dessus de sa porte afin [d’attirer] son futur

183

There are smiths still living who would not dare to work on that day. MS. 1095 §27 (Cork). On retrouve la croyance, par exemple, dans le MS. 1096 §71 (Galway).

184 MS. 1096 §69 (Galway). 185 MS. 1095 §27 (Cork). 186 MS. 1096 §87 (Mayo). 187

The smith was a magician amongst the Irish and the ancient St. Patrick’s Lorica prays against the

spells of smiths, women and druids. Westropp, Thomas J.. Folklore of Clare. Ennis : Clasp Press, 2000,

p. 59. 188

MS. S.40 (Galway). 189

mari. »190 La jeune fille attendit toute la matinée, jusqu’à midi, et un jeune homme marié finit par lui rendre visite pour lui annoncer son départ pour l’Amérique. L’épouse du jeune homme mourut pendant son séjour outre-Atlantique et il revint pour épouser la fille du forgeron.191 Enfin, dans certaines régions irlandaises, il semblerait que le forgeron ait parfois eu la charge de tuer le bétail. La coutume s’est apparemment perpétuée jusqu’à l’aube du XIXe siècle.192

c) Le fer et le feu

L’utilisation du fer pour se prévenir du vol magique de lait ou de beurre est confirmée par un grand nombre d’informateurs. Le métal utilisé se présentait souvent sous la forme de fers à cheval, de clous, de chaînes ou d’épingles. Ainsi, dans le comté de Leitrim, on rapporte qu’il était coutume de clouer « un fer à cheval ou un morceau de fer sur le fond de la baratte [pour se préserver du vol de beurre] ».193 Dans le comté de Sligo, les clous plantés dans la baratte à Bealtaine avaient la même vocation et causaient des douleurs atroces à toute personne désireuse de s’accaparer le beurre du propriétaire,194 et dans le comté de Westmeath, il fallait placer une chaîne autour de la baratte