• Aucun résultat trouvé

LA SIGNIFICATION DE LA NORME JURIDIQUE

Section 3 Le rapport aux autres

Le rapport aux autres se manifeste au sein de la famille et de la communauté. Il se caractérise par des responsabilités, des devoirs, des tensions356 et des rôles qui varient à la fois en fonction de l’institution au sein de laquelle on se situe – famille ou communauté – et en fonction du statut de l’individu au sein du groupe – jeune, aîné(e), parent, enfant357.

Par exemple, en contexte autochtone, les aînés sont souvent considérés comme les gardiens des connaissances. À ce titre, ils exercent un rôle d’éducateurs et de transmetteurs du savoir. Par ailleurs, un rapport d’interdépendance avec autrui coexiste de manière plus ou moins prononcée avec une recherche de respect de l’indépendance de chacun. L’individualisme n’est traditionnellement pas une valeur promue, ni au sein des communautés autochtones, ni au sein des collectivités roms, le rapport aux autres se caractérisant davantage par un sentiment d’appartenance ou de solidarité. Alain Reyniers indique en la matière :

« Un Tsigane vit rarement seul. […] [Il] voyage avec sa famille […] Le noyau familial est fréquemment associé, de manière temporaire, à d’autres noyaux qui forment des ensembles sociaux plus vastes et mouvants, au gré des va-et-vient. C’est au sein de ces ensembles que chaque Tsigane trouve des possibilités d’entraide et de solidarité, au besoin en jouant sur ses relations de parenté. L’édifice social qui résulte du mouvement des familles est parcouru de tensions multiples : la collectivité, qui pousse à l’unanimité de ses membres, notamment à l’harmonisation du niveau de vie, à l’adoption de valeurs similaires, à sa pérennité dans le resserrement des liens matrimoniaux n’est pas toujours soutenue par les cellules familiales qui ont sur tous ces points leurs exigences propres »358.

356 B. DROBENKO (dir.), Territoires et minorités : la situation des gens du voyage, préc., note 307, p. 67.

357 K. GENTELET, A. BISSONNETTE et G. ROCHER, La sédentarisation : effets et suites chez des Innus et des Atikamekw, préc., note 307, p. 48 et 49 ; H. MENDRAS, Éléments de sociologie, préc., note 307, p. 79-81.

358 A. REYNIERS, « Migrations, mobilité et territorialité chez les tsiganes », préc., note 339, p. 67. Sur le sentiment de solidarité en contexte autochtone, voir aussi J-C., FRITZ et al., La nouvelle question indigène. Peuples autochtones et ordre mondial, préc., note 28, p. 428, p. 406 et 412.

Nous avons déjà mentionné que le rapport à l’espace se caractérisait par des liens généalogiques et de filiation entre l’individu et son environnement359. De façon similaire, en contexte nomade les rapports au temps et à l’espace sont vécus de manière plus cyclique. De plus, en contexte autochtone le rapport au territoire se révèle à travers les rapports aux autres, au temps et à l’espace360. Le rapport aux autres dépend aussi, chez les Autochtones, de la conception du territoire privilégiée.

« Les liens généalogiques génèrent alors des responsabilités morales envers le monde naturel et tous les êtres vivants ce qui donne naissance à des relations réciproques définissant des responsabilités entre les êtres humains et l’environnement. Un ensemble de droits et d’obligations, de codes de conduite sont élaborés et permettent de gérer les relations entre l’homme et son environnement »361.

Pour les Roms, l’interdépendance entre les rapports au territoire et aux autres se vérifie également, puisque, les déplacements – qui renvoient aux rapports au temps et à l’espace – garantissent l’organisation sociale et familiale du groupe. Cela met en évidence l’interdépendance et la perméabilité des trois types de rapports.

Cependant, les aspects traditionnels du rapport aux autres tendent parfois à se réduire, en raison du déclin des valeurs « traditionnelles ». Pour autant, cela n’aboutit pas toujours à une disparition d’un mode de vie rom ou autochtone, puisqu’il peut y avoir une appropriation et une réinterprétation de valeurs initialement non roms ou non autochtones adaptées aux choix de vie de ces communautés. Cela renvoie à la définition même de ce que l’on considère comme étant autochtone ou rom362.

Par conséquent, l’existence de spécificités dans les conceptions valorisées, issues ou non de la tradition, est une constante qui ressort clairement des rapports au temps, aux autres et à l’espace. Elles cohabitent souvent avec des aspects plus

359 F. DEROCHE, « Les peuples autochtones et leur relation à la terre et aux ressources naturelles », préc., note 340, p. 278.

360 K. GENTELET, A. BISSONNETTE et G. ROCHER, préc., note 307, p. 22-26. 361 Id.

362 Cette définition appartient aux membres des communautés eux-mêmes. Néanmoins, l’obtention d’une définition par eux pose deux difficultés. D’une part, comment déterminer les autorités légitimes pour y parvenir, sachant que le problème de leur représentativité est présent ? D’autre part, à quelle fin servira-elle en droit, sachant qu’une définition de ce qui est autochtone ou rom peut aisément conduire à l’essentialisation, voire à des politiques de séparation ?

communs, démontrant une fois de plus l’importance d’une approche nuancée. Afin de saisir correctement cette manifestation identitaire qu’est le mode de vie, une approche holiste et une vision interreliée seront privilégiées. De plus, elle sera comprise en tant que phénomène socialement construit.

En somme, le concept de mode de vie fait référence à une réalité complexe, en raison notamment de sa mutabilité et de son métissage. Il fait aussi référence à une réalité sensible et humaine, d’où les conséquences non négligeables que peuvent avoir sur lui les pressions provenant de l’extérieur et de l’intérieur des communautés, sciemment ou inconsciemment imposées. Cela demande tant aux chercheurs qu’au législateur d’en traiter avec précaution et minutie. L’interprétation juridique des modes de vie minoritaires et autochtones sera évaluée à la lumière de l’exposé qui précède.

T

ITRE

2 :L

A SIGNIFICATION DE LA NORME DANS LES DISCOURS

Documents relatifs