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L’étude du discours par le recours à l’herméneutique Selon Gadamer, « la ligne de sens qui se montre à la lecture d’un texte

Paragraphe 3 : Du recours à d’autres théories

B. Justification du recours à l’étude des différents discours

2. L’étude du discours par le recours à l’herméneutique Selon Gadamer, « la ligne de sens qui se montre à la lecture d’un texte

s’interrompt nécessairement en entrant dans une pleine indétermination »89. Ce philosophe de renom met ainsi l’accent sur l’indétermination des écrits, mais aussi des lois, des traités, des décisions de justice et des concepts. Afin de remédier à l’incertitude du sens du droit au respect des modes de vie minoritaires et autochtones, l’analyse du discours nous permettra non seulement de proposer la meilleure interprétation possible de la norme nouvelle, d’identifier ses forces et ses faiblesses. Différents discours, judiciaires et extrajudiciaires, individuels et collectifs, représenteront des éléments d’analyse.

88 Discours juridique : « Unité de signification, de dimension plus large que celle de la phrase, dont la sémiotique juridique fait – à côté de l’étude des pratiques juridiques – l’un de ses principaux objets d’étude », A-J. ARNAUD (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, préc., note 60, p. 183.

89 Hans-Georg GADAMER, Vérité et méthode. Les grandes lignes d’une herméneutique philosophique (1960), trad. par Fruchon P., Paris, Seuil, 1996, p. 362

Afin d’interpréter le sens de la norme et, pour ce faire, d’analyser le discours judiciaire et extrajudiciaire, nous aurons recours à une théorie de l’interprétation en particulier, qui est l’analyse systémale et herméneutique utilisée par Andrée Lajoie, Gérard Timsit et inspirée des travaux de Hans Georg Gadamer. Elle étend le champ de la juridicité au sens de la norme et non plus seulement à son caractère juridique et obligatoire90. D’après Andrée Lajoie,

« il est possible de croire que «l'efficace du champ des valeurs dominantes» dans une société donnée y oriente les décisions judiciaires au moins dans le champ constitutionnel […] De même, pour qu'exceptionnellement des décisions, judiciaires ou politiques, favorisent non pas les valeurs dominantes mais celles des minorités, sociales ou politiques, il faut, au moins au Canada, une certaine intersection (au sens que donne à ce terme la théorie mathématique des ensembles) entre les valeurs majoritaires et minoritaires ou, à tout le moins, une absence d'incompatibilité totale entre les valeurs — ou, pour le dire plus crûment, les intérêts — de ces deux groupes »91.

Le concept de surdétermination apparaît ainsi incontournable92.

L’herméneutique, initialement mise en œuvre dans le cadre de l’étude du droit interne, peut se révéler également applicable en droit international public et spécifiquement en matière de contentieux. Il s’agit d’une approche intéressante vu l’espace occupé par la jurisprudence et le discours des juges dans cette recherche, vu également sa discipline de rattachement – un droit ayant intégré le fonctionnement de la Common Law. Cette théorie guide l’évaluation de la réception faite par les juges et experts internationaux et régionaux des attentes autochtones et minoritaires, de même qu’elle permet un certain contrôle de leur impartialité, entre projection et réception fidèle.

Le concept de surdétermination s’inscrit, selon André Lajoie, dans le courant herméneutique et constructiviste93 et vient combler les lacunes d’une conception

90 Andrée LAJOIE, Jugements de valeurs, Paris, P.U.F., 1997, p. 163.

91 Andrée LAJOIE, « Dans l’angle mort de l’analyse systémale », en ligne : https://papyrus.bib.umontreal.ca/dspace/bitstream/1866/133/1/Timsit+angle+mort.pdf (consulté le 02.08.08). Ce point de vue rejoint celui de Derrick BELL, Silent Covenants – Brown v. Board of Education, préc., note 84.

92 Andrée LAJOIE, « Surdétermination », dans A. LAJOIE et al., Théorie et émergence du droit : pluralisme, surdétermination et effectivité, préc., note 80, p. 85.

étriquée du positivisme juridique, qui ne se réfèrerait qu’au texte, non à son interprète ou à son contexte94. Andrée Lajoie s’en remet à la conception perelmanienne de la rhétorique, parce qu’elle intègre l’effet des attentes des auditoires et ne concentre pas sa recherche sur l’horizon historique et la tradition de l’interprète95. En ce sens, la rhétorique perelmanienne, telle que mise en œuvre par Andrée Lajoie, représente une théorie adaptée à notre objet et complémentaire des apports du positivisme juridique. Elle permet une meilleure compréhension du sens de la norme juridique nouvelle et remplit deux objectifs attribués à cette recherche, qui sont d’expliquer et de comprendre le processus à l’œuvre.

En revanche, Gérard Timsit se refuse à emprunter simultanément à l’analyse systémale et à l’analyse rhétorique de Perelman96. Selon cet auteur, la détermination

du sens d’une norme juridique est possible à travers le texte, l’interprète et la communauté interprétative. Trois concepts y participent : la prédétermination qui se fonde sur le sens donné par le texte, la codétermination qui se base sur le sens donné par l’interprète et la surdétermination qui provient des « habitus interprétatifs » ou d’un « réservoir de valeurs collectives » de la communauté97.

L’analyse systémale de Timsit s’adapte particulièrement bien à notre objet d’étude. D’abord, elle ne positionne pas l’interprète dans un contexte de totale liberté. Celui-ci est à la fois lié par le texte et par la communauté juridique98. Cette conception paraît bien équilibrée et correspond à la situation des juges et experts dont la jurisprudence est analysée ici. Ensuite, rappelons que ceux-ci traitant du droit au respect des modes de vie minoritaires et autochtones, font face à la complexité des valeurs et des codes culturels de même qu’à un contexte dialogique. Par conséquent, un recours au courant herméneutique modéré paraît plus adéquat.

94 Id., p. 142. Sur les origines et les apports de l’herméneutique et ses liens avec l’analyse systémale, voir cet ouvrage p. 140-167.

95 Id., p. 145.

96 G. TIMSIT, « La surdétermination de la norme de droit : questions et perspectives », préc., note 80, p. 100.

97 A. LAJOIE, Jugements de valeurs, préc., note 90, p. 164 ; Gérard TIMSIT, Les noms de la loi, Paris, P.U.F., collection « Les voies du droit », 1991, 199 p. ; Gérard TIMSIT, Les figures du jugement, Paris, P.U.F., collection « Les voies du droit », 1993, 204 p.

98 Gérard Timsit rejoint en cela le point de vue soutenu par Ronald Dworkin, pour qui le juge n’est pas totalement libre dans ses interprétations et dans l’inclusion de principes à la normativité juridique, puisqu’il serait lié par l’histoire législative et judiciaire et par les valeurs de la collectivité. Voir Ronald DWORKIN, Taking Rights Seriously, Londres, New impression with a reply to critics, 1978, p. 47.

3. Le dépassement de l’herméneutique mise en œuvre par

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