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Illustrations du concept de minorités appliqué à cette recherche Sont inclus dans le concept de minorités, pour les fins de cette recherche, les

UNE PRÉSENTATION DE L’ÉTAT DU DROIT

Paragraphe 1 : Les concepts de peuples autochtones et de minorités

B. Illustrations du concept de minorités appliqué à cette recherche Sont inclus dans le concept de minorités, pour les fins de cette recherche, les

communautés et les individus ayant un mode de vie propre, qu’ils considèrent souvent porteur de valeurs et de conceptions différentes de celles de la majorité. Il s’agit de communautés qui ne bénéficient pas du statut de peuples autochtones, n’étant en principe pas « issus du sol même où ils habitent »268. Les groupes minoritaires ne sont pas dominants au sein d’un État, d’une entité subétatique ou d’un groupe d’États et revendiquent une identité propre. De plus, cette dénomination inclut certains peuples tribaux non autochtones269. Ce pourrait être le cas, par exemple, du

265 Charles TAYLOR, Reconciling the Solitudes. Essays on Canadian Federalism and Nationalism, Montreal, Kingston, McGill-Queen’s University Press, 1993, 208 p. Selon cet auteur, les Québécois et les Autochtones entretiennent une « diversité profonde » alors que les immigrants au Canada ont une diversité identitaire, mais qui n’est pas comparable à celle d’une nation.

266 Samim AKGÖNÜL, « La naissance du concept de minorité en Europe », dans Jean-Pierre BASTIAN et Francis MESSNER (dir.), Minorités religieuses dans l’espace européen. Approches sociologiques et juridiques, Paris, PUF, 2007, p. 41 et 42.

267 Yves BIZEUL, « Définition sociologique : minorité versus majorité », dans Jean-Pierre BASTIAN et Francis MESSNER (dir.), Minorités religieuses dans l’espace européen. Approches sociologiques et juridiques, préc., note 266, p. 95-104.

268 Josette REY-DEBOVE, Petit Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Le Robert, 2005, p. 134.

269 Ceux dont « l’élément historique, le fait d’être les descendants des premiers habitants d’un territoire qui étaient prédominants dans la définition des autres termes [autochtone et indigène] sont ici absents, l’organisation sociale comprise dans un sens large étant ici l’élément principal de la définition », F.

peuple Maroons du Suriname, déporté d’Afrique au moment de la colonisation européenne, qui n’est pas issu du sol même où il habite.

Enfin, tout au long de cette recherche, le concept de minorités se référera principalement au peuple Rom. Le peuple Rom se situe essentiellement sur le territoire européen, et ce depuis le XIVème siècle. Certains de ses membres vivent selon les règles du nomadisme et d’autres sont sédentaires270.

Par conséquent, le concept de minorités n’inclut pas ici les minorités sociales comme les femmes et les homosexuels ou les minorités politiques, telles que les Québécois ou les Wallons271. Il n’intègre pas non plus celles qui se définissent en référence à un art de vivre ou à une contre-culture, comme les hippies. Ces groupes ont leurs spécificités propres, mais ils n’entrent pas actuellement dans la catégorie des titulaires de la norme que nous étudions.

Paragraphe 2 : Les titulaires de la norme : entre droit individuel et droit collectif La définition des concepts de peuples autochtones et de minorités, les décisions et documents internationaux font référence à deux types de titulaires de la norme. Ils sont individuels ou collectifs et varient en fonction du système juridique de référence272.

En Europe, et plus spécifiquement devant la Cour ou la Commission européenne des droits de l’homme, l’obligation positive ou le droit au respect des

DEROCHE, « La notion de « peuples autochtones » : une synthèse des principaux débats terminologiques », préc., note 208, p. 51.

270 À propos du peuple Rom, voir J-P. LIEGEOIS, Roms en Europe, préc., note 124, 311 p.

271 Sur la distinction entre minorités sociales et politiques, voir Andrée LAJOIE, Quand les minorités font la loi, préc., note 112.

272 Sur le débat entre droits individuels et droits collectifs, voir Francesco CAPOTORTI, « Are Minorities Entitled to Collective International Rights ? », dans Y. DINSTEIN et M. TABORY, The Protection of Minorities and Human Rights, Martinus Nijhoff Publishers, 1992, p. 505-511 ; Michael McDONALD, « Should Communities Have Rights ? Reflections on Liberal Individualism », dans A. A. AN-NA‘IM, Human Rights in Cross-Cultural Perspectives, a Quest for Consensus, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1992, p. 134-161 ; B. MARTIN, « Les droits culturels comme mode d’interprétation et de mise en œuvre des droits de l’homme », préc., note 18, p. 241-243 ; J. M. LARRALDE, « La Convention européenne des droits de l’homme et la protection de groupes particuliers », préc., note 21, p. 1247-1274 ; F. BENOÎT-ROHMER, « La Cour européenne des droits de l’homme et la défense des droits des minorités nationales », préc., note 20, p. 563-586 ; Florance BENOÎT-ROHMER, « La Cour de Strasbourg et la protection de l’intérêt minoritaire : une avancée décisive sur le plan des principes ? », (2001) R.T.D.H., p. 999-1015.

modes de vie propres bénéficient uniquement aux individus membres des communautés roms ou samies. Ce principe fut précisé par la Commission, en 1983, dans l’affaire G. et E. c. Norvège. Il fut ensuite confirmé par diverses affaires ayant contribué à l’établissement de l’obligation positive à l’égard des Roms273. La possibilité de reconnaître une telle obligation à un groupe d’individus, par exemple à une communauté autochtone, a été formellement éliminée274.

Bien que les dispositions de la Déclaration des Nations Unies sur les droits

des peuples autochtones profitent tant aux individus qu’aux groupes, l’adoption de ce

document par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2007 ou même sa rédaction durant les vingt années qui ont précédé, n’ont pas pour autant influé sur l’approche privilégiée par le Comité des droits de l’homme275. Sans négliger la portée collective

273 Beard c. Royaume Uni, requête n°24882/94, arrêt, (18 janvier 2001) Cour E.D.H., en ligne : http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=5&portal=hbkm&action=html&highlight=&sessionid =8916432&skin=hudoc-fr (consulté le 22.09.08) ; Buckley c. Royaume Uni, préc., note 130 ; Chapman c. Royaume Uni, préc., note 42 ; Connors c. Royaume Uni, préc., note 139 ; Coster c. Royaume uni, requête n°24876/94, arrêt, (18 janvier 2001) Cour E.D.H., en ligne :

http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=3&portal=hbkm&action=html&highlight=&sessionid =8916432&skin=hudoc-fr (consulté le 22.09.08) ; Jane Smith c. Royaume Uni, requête n°25154/94, arrêt, (18 janvier 2001) Cour E.D.H., en ligne :

http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=2&portal=hbkm&action=html&highlight=&sessionid =8916432&skin=hudoc-fr (consulté le 22.09.08) ; Lee c. Royaume Uni, requête n° 25289/94, arrêt, (18 janvier 2001) Cour E.D.H., en ligne :

http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=4&portal=hbkm&action=html&highlight=&sessionid =8916432&skin=hudoc-fr (consulté le 22.09.08) ; Noack et autres c. Allemagne, requête no 46346/99, décision, (25 mai 2000) Cour E.D.H., en ligne :

http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highlight=46346/99 &sessionid=44175527&skin=hudoc-fr (consulté le 15.12.09) ; Moldovan et autres c. Roumanie (no 2),

requêtes no 41138/98 et 64320/01, arrêt (12.07.05) Cour E.D.H., en ligne : http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=2&portal=hbkm&action=html&highlight=41138/98 &sessionid=60687517&skin=hudoc-en (consulté le 15.12.09) ; Stenegry et Adam c. France, requête n°40987/05, décision, (22 mai 2007) Cour E.D.H., en ligne :

http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highlight=FRANCE &sessionid=54844047&skin=hudoc-fr (consulté le 03.06.10).

274 G et E c. Norvège, préc., note 146 ; Konkama et 38 autres villages Sames c. Suède, requête no 27033/95, décision, (25 novembre 1996), Com E.D.H., en ligne : http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highlight=konkama& sessionid=60687517&skin=hudoc-en (consulté le 12.09.10) ; Convention-Cadre pour la protection des minorités nationales, préc., note 38.

275 Précisons que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones possède la valeur d’une recommandation de l’Assemblée générale. Elle est non juridictionnelle et de l’ordre du politique. Le Comité des droits de l’homme n’a donc pas compétence sur sa mise en œuvre. Néanmoins, en tant que document adopté à l’Assemblée générale par 143 États, le 13 septembre 2007 et constituant le cadre général pour les droits des peuples autochtones sur le plan international, nous pensons qu’elle représente un outil d’interprétation du droit international des droits de l’homme en vigueur actuellement et notamment des deux pactes des Nations Unies.

des communications fondées sur l’article 27 du Pacte, ce dernier se positionne en faveur de l’attribution de droits individuels lorsqu’il statue sur une requête ayant trait à cette disposition276. Il différencie régulièrement les affaires présentées sur le fondement de l’article 27, qui attribue un droit individuel, de celles qui pourraient intervenir sur le fondement de l’article 1er du Pacte international relatif aux droits

civils et politiques, qui reconnaît un droit collectif à l’autodétermination. Néanmoins,

le Comité, tout en réitérant le fait que l’article 27 du Pacte confère des droits individuels, reconnaît également le contexte collectif de l’exercice de ces droits ainsi que les intérêts des groupes. Reprenant la formulation de l’article 27 du Pacte, il précise ainsi très souvent que le droit à sa culture propre est exercé par l’individu en commun avec les autres membres de la communauté277. C’est pourquoi, selon James

Anaya, « […] in its practical application article 27 protects group as well as

individual interests in cultural integrity »278. De même, pour Patrick Thornberry, l’article 27 du Pacte consacre un droit hybride, entre droit individuel et droit collectif, bénéficiant aux individus, mais nécessitant un exercice collectif279.

La Cour interaméricaine attribue, pour sa part, des droits au territoire aux communautés autochtones ou tribales. Par exemple, le droit de propriété sur les territoires ancestraux bénéficie aux communautés et non aux individus qui en sont membres280. Il en va de même pour le droit au consentement préalable, libre et éclairée281. La collectivité de ces droits est confirmée par le projet de Déclaration

interaméricaine relative aux droits des peuples autochtones, qui consacre à la fois

des droits collectifs et individuels282. Le système interaméricain est actuellement le seul à mettre en oeuvre des droits collectifs, bien que le système onusien ait ouvert une brèche en leur faveur, à travers l’adoption de la Convention no169 relative aux

276 C.D.H., Observation générale no23, préc., note 143, § 1 et 3(1).

277 Voir par exemple la communication Lovelace c. Canada, préc., note 200, § 173. 278 J. ANAYA, Indigenous Peoples in International Law, préc., note 28, p. 135.

279 P. THORNBERRY, International Law and the Rights of Minorities, préc., note 28, p. 173. Pour l’ensemble des critères voir le même ouvrage, p. 165-173.

280 The Mayagna (sumo) Awas Tingni community v. Nicaragua, préc., note 151. 281 Saramaka People v. Suriname, préc., note 152.

282 Projet de Déclaration interaméricaine relative aux droits des peuples autochtones, AG/RES.1022 (XIX-O/89), Organisation des États Américains, en ligne : http://cidh.org/ProjetDeclartion.htm.

peuples indigènes et tribaux et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

L’analyse de ces trois systèmes fait ressortir, une fois de plus, la reproduction de la dichotomie entre droits collectifs et droits individuels. Or, malgré la consubstantialité des dimensions individuelle et collective en matière identitaire, la norme nouvelle conserve, quel que soit le système, la rigidité de cette catégorisation283.

Précisons enfin que toutes les minorités et les peuples autochtones du globe ainsi que leurs membres ne souhaitent et ne peuvent revendiquer sur la scène judiciaire supranationale un mode de vie spécifique. Étant prétorienne, la protection juridique examinée ne peut pas, en théorie, bénéficier à tous. Les critères importants qui devraient être retenus, pour qu’une communauté et ses membres bénéficient de la protection, sont le sentiment de pratiquer un mode de vie minoritaire ou autochtone et le fait de suivre ce mode de vie. Ce second critère suppose l’attachement à des références et des conceptions propres, un rapport spécifique au temps, à l’espace et aux autres ainsi que la volonté de conserver un tel mode de vie, malgré certains empêchements « techniques », tels que l’absence d’accès à son territoire ancestral pour certains Autochtones ou le manque d’espaces de stationnement auquel sont confrontés les Roms nomades. Enfin, un élément accessoire semble avoir de l’importance pour être titulaire de ce droit : celui de la marginalisation ou de la minorisation du mode de vie de la communauté au sein de la société globale284.

283 Sur la rigidité de ces catégories dans le traitement des questions identitaires, notamment autochtones, D. M. JOHNSTON, « Native Rights as Collective Rights: A Question of Group Self- Preservation », préc., note 21.

284 La Partie II de cette étude se penche sur ce que signifie le concept de mode de vie. Afin d’éliminer toute ambiguïté, précisons d’emblée que la volonté effective de suivre un mode de vie propre peut uniquement être appréciée par le recours à une auto-évaluation (c'est-à-dire en fonction des revendications du requérant). Elle ne peut donc pas être évaluée de l’extérieur. Nous adhérons à une conception immatérielle du mode de vie, selon laquelle un mode de vie n’est pas nécessairement visible ou manifeste au regard de l’autre, mais fait référence, au contraire, à un vécu, visible et concret ou non. D’où la difficulté d’en juger de l’extérieur. Par ailleurs, nous interprétons le concept de mode de vie de façon souple, incluant le métissage des modes de vie.

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