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Les degrés de force normative du droit au respect des modes de vie minoritaires et autochtones

UNE PRÉSENTATION DE L’ÉTAT DU DROIT

Paragraphe 1 Les degrés de force normative du droit au respect des modes de vie minoritaires et autochtones

Catherine Thibierge indique que la force normative peut être impérative, obligatoire et exécutoire, obligatoire et contraignante, mais peut aussi être moins intense. Par exemple, dans le cas de la Cour européenne des droits de l’homme, les « droits à » ont une force graduelle qui est

« susceptible de trois degrés : le premier degré est constitué par la force d’inspiration, pour le législateur, des droits proclamatoires ou déclaratoires énoncés dans certains instruments internationaux, non sanctionnés et non obligatoires ; le

176 Catherine THIBIERGE, « Synthèse », dans C. THIBIERGE et alii, préc., note 57, p. 755. 177 Id.

degré intermédiaire est celui de la force incitative, exercée tant sur les juges que sur les législateurs internes, bien illustré par les droits européens des droits de l’homme, cette force d’incitation étant liée au caractère justiciable de ces droits devant la CEDH et à leur vocation à intégrer le droit interne ; et le degré le plus fort est celui de la force obligatoire et contraignante des « droits à » d’ores et déjà érigés en droits subjectifs »178.

Le dernier degré de force normative concerne les normes imprécises et incertaines, telles qu’issues de la soft law. Celles-ci peuvent néanmoins avoir une force référentielle, facultative ou incitative179.

Cette définition va nous permettre de situer le droit au respect des modes de vie minoritaires et autochtones dans ses degrés de force normative. Cette norme se manifeste de différentes manières au sein des trois systèmes juridiques analysés. Elle procède différemment selon que nous soyons dans le cadre d’un mécanisme explicite ou implicite d’objectivation. En conséquence, sa force normative a des degrés variables en fonction des espaces de référence.

Ce droit est, par principe, d’intensité moins forte lorsqu’il est consacré par le Comité des droits de l’homme, qui, en tant qu’organe quasi-juridictionnel, rend des communications obligatoires mais non exécutoires ou contraignantes. Au contraire, il dispose, a priori, d’une force obligatoire et contraignante lorsqu’il s’inscrit au sein de décisions judiciaires supranationales consacrées par les Cours européenne et interaméricaine. Néanmoins, devant les trois organes, ce droit représente davantage une « force d’inspiration » ou une « force incitative » pour les États, voire « une force de référence »180, puisque ceux-ci disposent d’une marge de manœuvre plus ou moins grande selon les systèmes pour le mettre en œuvre.

Plus concrètement, concentrons-nous d’abord sur l’émergence de la norme par un mécanisme explicite d’objectivation. La Cour et la Commission européennes indiquent que les États ont une obligation positive de permettre aux Tsiganes de

suivre leur mode de vie ou reconnaissent aux Samis un droit au respect de leur mode

178 Id., p.763 [c’est nous qui soulignons].

179 Sur les degrés de la force normative, C. THIBIERGE, « Synthèse », préc., note 176, p. 761-765 [c’est nous qui soulignons].

180 La « force de référence » se définit ainsi : « la norme est alors dotée d’un modèle qui n’est pas nécessairement obligatoire pour ses destinataires. Ce peut être la force d’un modèle d’interprétation, ou encore d’un modèle de solution », C. THIBIERGE, « Synthèse », préc., note 176, p. 755.

de vie propre181. Le Comité des droits de l’homme précise, quant à lui, que l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, peut s’interpréter comme attribuant, d’une part, un droit à une identité culturelle, religieuse et sociale propre182 ou, d’autre part, une protection des modes de vie étroitement associés au territoire et à l'utilisation des ressources183. La norme visant à protéger les modes de vie roms, tribaux ou autochtones fait alors partie du Droit objectif, dans la mesure où elle représente un principe imposé par une juridiction184. Dans ce cas, elle dispose en principe d’une force juridique obligatoire et contraignante. Néanmoins, elle est consacrée en tant qu’obligation de moyens et la Cour ne mentionne aucun modèle de conduite ou aucune solution précise propre à sa mise en œuvre. Identifier sa force à une force d’incitation plutôt qu’à une force obligatoire et contraignante ou d’inspiration, paraît donc plus approprié.

La démonstration de la force juridique est toute différente lorsqu’on est confronté à un mécanisme implicite d’objectivation de la norme. En la matière, aucun droit au sens strict n’est formellement édicté. En effet, la Cour interaméricaine ne reconnait aucune obligation en tant que telle. Elle mentionne uniquement que la sauvegarde des modes de vie autochtones ou tribaux représente l’objectif des mesures spéciales adoptées par elle. Leur protection n’est pas alors une règle de droit au sens strict. Néanmoins, elle dispose d’une force normative certaine. Premièrement, elle représente une conduite indirectement promue par la Cour et solidement encadrée par elle, à travers la consécration de droits aux territoires, aux ressources ou à une vie digne. Deuxièmement, il s’agit d’un objectif recherché par elle185. En ce sens, elle

181 Chapman c. Royaume Uni, préc., note 42 [c’est nous qui soulignons] ; G et E c. Norvège, préc., note 146 [c’est nous qui soulignons] ; voir également pour plus de développement, Doris FARGET, « La protection juridique des modes de vie minoritaires et autochtones : analyse comparée des décisions de deux juridictions régionales », (2008) 13(2) Lex Electronica, en ligne : http://www.lex- electronica.org/docs/articles_4.pdf, p. 5-12.

182 Le chef Bernard Ominayak et la bande du lac Lubicon c. Canada, préc., note 144. 183 C.D.H., Observation générale no23, préc., note 143, § 3(2).

184 Selon Gérard Cornu, la notion de Droit objectif est définie comme suit : « Ensemble de règles de conduite socialement édictées et sanctionnées, qui s’imposent aux membres de la société », G. CORNU, Vocabulaire juridique, préc., note 61, p. 333.

185 Voir supra, le mécanisme d’objectivation implicite, Titre 1, Chapitre 2 de cette partie et D. FARGET, « La protection juridique des modes de vie minoritaires et autochtones : analyse comparée des décisions de deux juridictions régionales », préc., note 181, p. 12-21.

représente donc une norme moins tangible186, mais dont la force n’en demeure pas moins normative, puisqu’elle dispose d’une force incitative ainsi que d’une force d’inspiration – en raison de l’introduction de modèles de mise en œuvre. Elle dispose aussi d’une force obligatoire via le droit collectif au territoire et aux ressources.

Ainsi, que nous soyons au sein du système juridique européen, interaméricain ou onusien, la protection des modes de vie minoritaires ou autochtones a une force normative propre à définir toute norme juridique. Celle-ci n’exclut pas cependant l’existence d’une force obligatoire puisque le concept de force normative inclut, dans certains cas, celui de force obligatoire. Afin de mieux en situer l’intensité, il s’avère important de préciser, en l’espèce, quelles en sont les variables.

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