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UNE PRÉSENTATION DE L’ÉTAT DU DROIT

Paragraphe 1 : Les concepts de peuples autochtones et de minorités

A. Le concept de minorités en droit international public

2. La doctrine internationaliste

De nombreux auteurs font référence à la définition élaborée par le rapporteur spécial Francesco Capotorti, ce qui démontre son importance, bien que certains paraissent aussi s’en détacher, en mettant en lumière ses limites.

La définition du concept de minorité à laquelle adhère Patrick Thornberry renvoie d’abord à un élément objectif, à savoir l’existence en fait du groupe minoritaire, qui se manifeste par le maintien de différences culturelles, religieuses ou linguistiques. Elle se compose, ensuite, d’un élément subjectif : le sentiment de solidarité. En outre, l’auteur explique que lorsque le concept de minorité s’applique dans le cadre de l’article 27 du Pacte international, il protège les groupes non

dominants et nécessite pour le requérant, d’avoir la qualité de citoyen ou la nationalité du pays. Néanmoins, il indique qu’il s’agit d’une vision restrictive, ce

critère de la nationalité étant, par ailleurs, controversé249. Il ne considère donc pas la

lutter contre la discrimination, qu'elle touche le groupe dans son ensemble ou ses membres à titre individuel, et de leur donner la possibilité de s'intégrer librement dans la vie du pays dans la mesure où ils le souhaitent. De la même façon, le type idéal de "peuple autochtone" met l'accent sur l'aboriginalité, la territorialité et le désir de demeurer collectivement distinct, autant d'éléments qui sont liés logiquement à l'exercice du droit a l'autodétermination interne et à l'autonomie.

50. Bien entendu, il y aura des cas correspondant à la fois au type idéal de "minorité" et à celui de "peuple autochtone" et méritant les deux sortes de protection. Ainsi, un groupe peut être "autochtone" et revendiquer non seulement un certain degré d'autodétermination mais aussi le droit de s'intégrer librement dans la société à des fins données. Un groupe que l'on qualifierait de "minorité" peut néanmoins avoir un certain degré d'aboriginalité et de territorialité et revendiquer une certaine forme d'autonomie qui représente pour lui un moyen raisonnable de se protéger de la discrimination. Le fait que les chevauchements soient inévitables ne remet pas en cause l'approche que je propose ni ne la rend inopérante dans la pratique. Au contraire, si l'on veut être pratique et réaliste, il faut à mon avis adopter une approche téléologique et relier les caractéristiques des groupes à leurs aspirations et aux droits qu'ils peuvent revendiquer et dont il est réaliste de penser qu'ils peuvent les exercer », E-I. DAES, « Document de Mme Erica-Irene Daes » dans A. EIDE et E-I. DAES, Document de travail sur le lien et la distinction entre les droits des personnes appartenant à des minorités et ceux des peuples autochtones, E/CN.4/Sub.2/2000/10, 19 juillet 2000, en ligne :

http://www.unhchr.ch/Huridocda/Huridoca.nsf/0/4b3232bc0596aaf7c125692900513f0e?Opendocume nt, § 48-50.

249 Bien que le critère de la nationalité ou de la citoyenneté s’applique à la mise en œuvre de l’article 27 du Pacte, interprétation à laquelle adhère l’auteur, il n’en demeure pas moins que Patrick Thornberry remet en cause cette condition. Il expose sa vision critique à plusieurs reprises: P. THORNBERRY, International Law and the Rights of Minorities, préc., note 28, p. 8 et p. 171.

qualité de citoyen et le fait d’être un groupe non dominant comme des critères essentiels à la définition du concept de minorité.

Pour sa part, Ingride Roy utilise la dénomination de « groupes en situations minoritaires » pour désigner les minorités250. Elle élimine deux des critères du rapport Capotorti : l’infériorité numérique et la nationalité ou la citoyenneté251, tout comme Patrick Thornberry. Elle fait appel à cinq critères de reconnaissance, développés par d’autres auteurs. Il s’agit de la présence d’un groupe de personnes en nombre suffisamment élevé pour être reconnu en tant que groupe ; des caractéristiques physiques, ethniques, religieuses, linguistiques, culturelles « ou une histoire et des

liens nationaux qui diffèrent du reste de la population au sein d’un État donné » ; de

la formation du groupe sur la base d’une adhésion volontaire, souvent implicite de ses membres ; d’un sentiment de solidarité constant et stable ; d’une position non dominante ou d’une minorisation252.

Les points de vue d’autres auteurs, tels que Will Kymlicka, Norbert Rouland253, Peter Kovacs254, Jennifer Jackson Preece255 ou Jarmila Lajcakova256, sont

250 « Nous insistons sur l’expression « groupes en situations minoritaires », compte tenu qu’à notre avis, ce n’est pas tant le fait qu’une minorité existe objectivement au sein d’un État qui entraîne des difficultés, mais plutôt le fait qu’un groupe en particulier puisse faire l’objet d’une « minorisation » au sein d’un État. Par ailleurs, l’utilisation de l’expression « groupes en situations minoritaires » plutôt que « minorité » donne une perception moins péjorative du groupe. Elle a l’avantage de ne plus placer le groupe en position d’infériorité par rapport aux autres groupes et met en évidence le fait que c’est la situation qui crée problème et non le groupe en tant que tel », I. ROY, préc note 223, p. 22.

251 Id., p. 23 et 24. 252 Id.

253 Norbert Rouland retient deux éléments pour définir une minorité ethnique. Le premier se réfère à des populations socialement et juridiquement défavorisées. Le second porte sur la conscience

d’être une minorité. Norbert ROULAND, « Chronique d’anthropologie juridique : le temps des

minorités », (1993) 25 Droit et Culture, p. 101. Par ailleurs, cet auteur s’oppose à l’assimilation des deux statuts (minorité et peuple autochtone), voir Norbert ROULAND, « L’émergence du droit des minorités et des peuples autochtones dans les conventions et traités internationaux », dans Norbert ROULAND, Le droit à la différence, p. 193. Pour une définition des concepts de minorité et de peuple autochtone, voir aussi, N. ROULAND, S. PIERRE-CAPS et J. POUMAREDE, Droit des minorités et des peuples autochtones, Paris, P.U.F., 1996, 581 p.

254 P. KOVACS, La protection internationale des minorités nationales aux alentours du millénaire, préc., note 28, 95 p.

255 Jennifer JACKSON PREECE, Minority rights: between diversity and community, Cambridge, Polity Press, 2005, 213 p.

256 Sur les limites de la combinaison des critères objectif et subjectif (auto-identification) et sur une approche renouvelée fondant la justification de la protection des minorités sur trois critères – à savoir, la paix et la sécurité humaine, la dignité et la culture –, en contexte rom et en Slovaquie, J. LAJCAKOVA, Ethnocultural Justice for the Roma in Slovakia, préc., note 102, p. 160-169.

également pertinents. Par exemple, la distinction opérée par Will Kymlicka entre Nations sans États et peuples autochtones est intéressante,

« There is no universally agreed criteria for distinguishing indigenous

peoples from stateless nations, but one criteria concerns the role these groups played in the process of state formation. As a rule, stateless nations were contenders but losers in the process of European state formation, whereas indigenous peoples were entirely isolated from that process until very recently, and so retained a pre-modern way of life until well into this century. Stateless nations would have liked to form their own states, but lost in the struggle for political power, whereas indigenous peoples existed outside this system of European states. The Catalans, Puerto Ricans, Flemish, Scots and Québécois, then, are stateless nations, whereas the Sami, Inuit and American Indians are indigenous peoples »257.

Le rôle joué par le groupe dans le processus de formation de l’État déterminerait donc son statut258. Cependant, cette distinction ne permet pas, a priori, de différencier peuples autochtones et peuple Rom. De plus, ce dernier n’est ni une nation sans État au sens de Kymlicka, ni un peuple autochtone.

Cet auteur distingue également les minorités nationales et les groupes ethniques ou immigrants259. Les premières sont, selon lui, des communautés historiques, distinctes et potentiellement autonomes politiquement. Elles occupent un territoire donné et partagent une culture ainsi qu’une langue. Elles ont été incorporées au sein de l’État volontairement ou involontairement et de manière collective. De plus, leurs membres partagent un sentiment d’appartenance. Au contraire, entrent dans la catégorie des groupes ethniques les immigrants, qui ont quitté leur communauté nationale individuellement et volontairement, pour s’intégrer à une autre société. Comme le souligne Jarmila Lajcakova, de nombreuses communautés, peuples ou nations se situent dans la « zone grise » de la dichotomie, entre minorités nationales et groupes ethniques, dont le peuple Rom. Elle fait valoir que ce peuple a quitté son territoire originel pour s’établir ailleurs, mais, ses membres

257 W. KYMLICKA, « Theorizing Indigenous Rights », préc., note 223, p. 282 ; W. KYMLICKA, « American Multiculturalism and the ‘Nations Within’ », préc., note 223, p. 221 et 222 [c’est nous qui soulignons].

258 Voir aussi sur ce point : Will KYMLICKA, « Beyond the Indigenous/Minority Dichotomy ? », dans S. ALLEN et A. XANTHAKI (dir.), Reflections on the UN Declaration on the Rights of Indigenous Peoples, préc., note 227, à paraître.

partagent néanmoins une langue et une culture spécifique ainsi qu’un fort sentiment d’appartenance. D’où la difficulté à le classifier parmi l’une ou l’autre des catégories proposées260. La distinction opérée par Kymlicka met en relief la relation au territoire qu’ont les minorités et néglige la vision déterritorialisée de l’identité. Migration, sentiment d’appartenance et partage d’une identité forte à travers une langue et une culture ne sont pas incompatibles. Par ailleurs, il existe une grande hétérogéméité de situations au sein du peuple Rom, certains groupes pouvant être qualifiés de minorités ethniques dans certains pays ou de minorités nationales dans d’autres. C’est pourquoi, la distinction proposée par cet auteur paraît restrictive dans le cadre de notre objet d’étude.

Dans un article récent, Kymlicka évoque le cas des Roms, les qualifiant de « groupe subordonné » [subaltern group] aux côtés des immigrants261. Les Roms

étant associés aux immigrants – association critiquable, par ailleurs – l’auteur laisse entendre que ces deux groupes appartiennent à la catégorie des minorités ethniques ayant des droits polyethniques.

Il convient de s’interroger sur la pertinence de l’association entre peuple Rom et immigrants. Nous pourrions alors critiquer la multiplication des catégories de droits et de bénéficiaires qui en résulterait, pouvant déboucher sur un système juridique à géométrie variable qui perde en lisibilité. Cependant, Kymlicka poursuit en mettant en exergue les dangers liés à la reconnaissance de normes adaptées aux besoins des peuples autochtones, telle qu’elle est envisagée par la Déclaration des

Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, alors qu’aucun équivalent

n’existe pour les minorités nationales. Selon lui, la Déclaration validant la distinction entre peuples autochtones et minorités nationales légalise aussi la création artificielle des deux catégories. Le principal danger qui guette alors le concept de peuple autochtone consiste en l’extension artificielle à l’infini de celui-ci, incluant les minorités nationales et offrant une porte de sortie à ces communautés quasiment ignorées par le droit international. De fait, sans l’indiquer explicitement, Kymlicka

260 J. LAJCAKOVA, Ethnocultural Justice for the Roma in Slovakia, préc., note 102, p. 174 et s. 261 Will KYMLICKA, « Beyond the Indigenous/Minority Dichotomy ? », dans S. ALLEN et A. XANTHAKI (dir.), Reflections on the UN Declaration on the Rights of Indigenous Peoples, préc., note 227, à paraître.

paraît en réalité se désolidariser de la définition du concept de peuples autochtones, qui lui semble illégitime et paraît promouvoir une reconceptualisation qui rassemblerait les statuts de peuples autochtones et de minorités262.

Ceci nous ramène une fois encore à la pertinence de la distinction entre les concepts de minorité et de peuple autochtone. Malgré la difficulté de définir, puis de distinguer les peuples autochtones, tribaux et les minorités, et malgré la fluidité des concepts, nous considérons que les revendications et les enjeux restent différents pour chacun d’eux, d’où la pertinence de la différenciation. Pour autant, cela ne signifie pas que les minorités, tel le peuple Rom, soient moins légitimes à bénéficier de droits et d’accommodements263.

De ce fait, nous retiendrons trois critères pour définir le concept de minorité. Il s’agit de la position non dominante264 au sein de la société globale et du sentiment

de solidarité ou d’appartenance à un groupe minoritaire. Un troisième critère est

262 « A durable international framework will require a more coherent account of the relationship between indigenous peoples and national minorities, and a more consistent approach to self- government rights. And this in turn will require a dramatic rethinking of the underlying concepts and categories used in international law. We need to recognize that indigenous peoples aren’t the only group in need of targeted rights – this is also true, in different ways, of national minorities, the Roma, Dalits, immigrants, and others. The idea of indigenous rights as just a one-off exception to the rule that minorities are a single category with generic minority rights is not sustainable, either morally or politically. This broader rethinking of categories is needed not only to achieve the broader transformative potential of the indigenous Declaration for other groups, but also perhaps to prevent a retreat in support for indigenous peoples themselves.

Unfortunately, I am not optimistic that such a rethinking is likely in the foreseeable future. Security- based fears about national minorities are deeply entrenched in the international order, and neither states nor indigenous groups have much interest in questioning the current exclusion of national minorities from the debate. Both states and indigenous peoples are likely therefore to continue to act on the assumption of a firewall, even amidst the growing signs of its dissolution. Sooner or later, however, we will need to address more systemic questions about the relationship between national minorities and indigenous peoples, between generic rights and targeted rights, and between normative principles of justice and geo-political security fears. Without a more coherent account of these relationships, the indigenous Declaration rests on shifting sands », W. KYMLICKA, « Beyond the Indigenous/Minority Dichotomy ? », préc., note 260.

263 Il sera important de vérifier les effets de l’émergence du droit au respect des modes de vie minoritaires et autochtones sur les concepts de peuple autochtone et de minorité ainsi que sur leur distinction. Voir pour cela, cette étude, Partie III, Titre 2, Chapitre 2.

264 Comme dans le cas des peuples autochtones, celle-ci doit être distinguée de la capacité d’action dont disposent les minorités. Elles ne sont pas dominantes, puisque leurs membres sont numériquement moins nombreux et souvent marginalisés. Néanmoins, elles disposent d’un certain pouvoir. Voir sur ce point cette Partie, Chapitre 1 du Titre 1.

retenu, cité par la plupart des auteurs et des documents officiels sous la notion de « diversité culturelle » ou de « caractère distinct ». Nous préférons nous y référer sous le concept de « diversité profonde », signalant qu’un groupe est porteur d’une identité collective propre et comparable à celle d’une nation265. Ce concept n’élimine pas pour autant l’existence possible de similitudes avec l’identité du groupe dominant et met l’accent sur une diversité qui n’est pas seulement liée au folklore, mais qui est au contraire plus globale, réelle et concrète, de l’ordre du socioculturel, des comportements sociaux266 et fortement influencée par une « mémoire collective »267. Nous devons cependant en user avec prudence de sorte qu’il ne conduise pas à la muséification des identités minoritaires et autochtones, ce qui contribuerait au processus d’enfermement identitaire.

B. Illustrations du concept de minorités appliqué à cette recherche

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